Accès inégal aux ressources productives, manque de formation, marginalisation institutionnelle. Tels sont, entre autres, les freins qui limitent la participation des femmes à l’agroécologie. Ces obstacles ont été mis en lumière à la rencontre sur «l’agroécologie et l’apport des femmes dans l’agroalimentaire», organisée hier par la Commission genre et entreprenariat féminin de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar (Cciad).Par Amadou MBODJI –

 «Face aux crises environnementales, alimentaires et sociales, l’agroécologie s’impose comme une alternative crédible aux modèles agricoles productivistes. Elle ne se limite pas à un ensemble de techniques respectueuses de l’environnement : elle constitue également un mouvement social et politique qui interroge les rapports de pouvoir, les modes de production et les inégalités. Dans ce cadre, les femmes jouent un rôle central», a fait savoir Pape Demba Kane. L’ingénieur agronome à l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra) intervenait hier à l’atelier sur «l’agroécologie et l’apport des femmes dans l’agroalimentaire», organisé par la Commission genre et entreprenariat féminin de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture (Cciad) que dirige Mme Khady Fall Tall.

Malgré leur rôle central, précise l’agronome, «les femmes rencontrent de nombreux freins qui limitent leur pleine participation à l’agroécologie». M. Kane explique que «dans de nombreux contextes, les terres sont attribuées aux hommes, en vertu de normes coutumières ou de pratiques discriminatoires. Cette exclusion foncière prive les femmes de la possibilité d’investir durablement dans des pratiques agroécologiques. Les normes coutumières privilégient les hommes dans l’attribution des terres. Au Sénégal, moins de 20% des femmes rurales disposent d’un titre foncier (Enda Pronat, 2019)».
Les femmes sont aussi, selon lui, «sous-représentées dans les instances de gouvernance agricole et dans les organisations paysannes. Leur voix est rarement prise en compte dans les décisions concernant la gestion des ressources naturelles ou les politiques agricoles comme le souligne Agarwal (1994), cette exclusion limite leur capacité à influencer les politiques agricoles». S’y ajoute l’accès au crédit, aux intrants, aux technologies et aux formations techniques, qui reste limité pour les femmes. «Cette situation accentue leur dépendance vis-à-vis des structures patriarcales et freine leur capacité d’innovation (Ied Afrique, 2015)», renseigne l’expert.

Néanmoins, rassure Demba Kane, «l’agroécologie, dans sa vision et ses principes, ouvre des perspectives d’émancipation pour les femmes qui peuvent permettre de «redéfinir les cartes»». En guise d’exemple, il cite «les stratégies collectives où les groupements féminins constituent des espaces de solidarité et de mutualisation des ressources. Ils permettent aux femmes de renforcer leur pouvoir d’action collectif, d’accéder à des financements et de développer des activités génératrices de revenus. Il y a aussi le phénomène de l’écoféminisme vernaculaire, où les femmes s’approprient l’agroécologie comme un outil d’autonomie, sans confrontation directe aux normes patriarcales». A son avis, cet écoféminisme vernaculaire «illustre la capacité des femmes à transformer leur environnement social par des pratiques agricoles durables. Par exemple, des Ong comme Enda Pronat accompagnent les femmes dans la transition agroécologique. Ces initiatives ont permis d’accroître leur accès au foncier, de renforcer leur leadership communautaire et d’améliorer la sécurité alimentaire. Dans certaines communes, la proportion de demandes foncières féminines a fortement augmenté après des campagnes de sensibilisation, témoignant d’un changement social en cours».

Pour le chercheur, «l’analyse du rôle des femmes dans l’agroécologie met en évidence une double dynamique. D’une part, elles constituent des actrices incontournables de la durabilité agricole grâce à leurs savoirs, leurs pratiques et leur engagement quotidien. D’autre part, l’agroécologie représente un espace de transformation sociale, susceptible de réduire les inégalités de genre et de renforcer l’autonomie féminine. Cependant, cette potentialité ne peut se réaliser pleinement qu’à travers des politiques publiques inclusives, un soutien institutionnel fort et une reconnaissance explicite du rôle des femmes dans la gouvernance agricole».

En phase avec l’ingénieur, le président de la Cciad, Abdoulaye Sow, soutient que «l’apport des femmes dans l’agroécologie et l’agroalimentaire n’est pas seulement un enjeu de justice ou de genre. C’est un pilier de notre sécurité alimentaire, de notre résilience face aux changements climatiques, de notre développement économique durable et inclusif».
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