En dépit de la loi criminalisant le viol et la pédophilie, les femmes restent toujours soumises à des violences sexuelles. L’Ajs tente d’inverser la tendance, mais le chemin pour y parvenir n’est pas facile à cause de plusieurs contingences. Par Cheikh CAMARA –

«Le viol et la pédophilie sont des violences sexuelles très graves qui détruisent la vie des victimes, particulièrement des femmes et des jeunes filles concernées.» La remarque émane des acteurs intervenant dans la prévention et les procédures de prise en charge des victimes de violences, en conclave à Thiès les deux derniers jours, à l’initiative de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs). Elle pense que «ce sont des problèmes de protection vitale, de santé et de respect des droits humains qui peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur les femmes et les enfants en particulier, ainsi que sur les familles et les communautés».

Cet atelier de renforcement de capacités a regroupé une trentaine de leaders communautaires, «Badienou gox», «Bayou daara», imams, organisations communautaires de femmes, chefs de file de la communauté (femmes, hommes, filles, garçons), acteurs de la santé, représentants des instances gouvernementales, acteurs du système scolaire, acteurs judiciaires, policiers, gendarmes, Société civile, entre autres, avec comme objectif général de mener des actions de vulgarisation, de sensibilisation sur la loi portant criminalisation du viol et de la pédophilie auprès des communautés, axées sur le changement de comportement afin de susciter chez elles une prise de conscience et les inciter à devenir porteuses de changement.

De façon spécifique, la formation vise à «sensibiliser la communauté sur les violences de façon générale, et de façon spécifique sur les violences sexuelles et les droits hu­mains», «renforcer la connaissance des acteurs sur les violences sexuelles et les droits humains». Il est aussi prévu de «renforcer la qualité de la prise en charge des victimes de violences basées sur le genre, spécifiquement des violences sexuelles», de «déterminer un état des lieux du viol et de la pédophilie au niveau local pour avoir une mesure, aussi juste que possible, de l’ampleur du phénomène au niveau local». Pour l’Ajs, il faut aussi «promouvoir la culture de la dénonciation pour la prévention et l’éradication des violences», et «favoriser une meilleure appropriation par la communauté de la loi criminalisant le viol et la pédophilie».
Pour Aminata Samb, membre de l’Association des juristes sénégalaises, Adja Rokhaya Samb, cheffe du Service départemental de la famille du ministère de la Femme, de la famille et de la protection des enfants, il ne faut pas oublier que «les hommes comme les femmes peuvent être victimes de violences sexistes et sexuelles». Toutefois, elles rappellent que «les données et études nationales et internationales montrent que les victimes de violences sexistes et sexuelles sont majoritairement des femmes, qui sont trois fois plus souvent exposées aux violences sexuelles».
«C’est pourquoi, rappellent-elles, à la suite de plusieurs mobilisations d’organismes de défense des droits des femmes et des enfants dénonçant des cas de violence suivis de meurtre, la loi n°2020-05 criminalisant le viol et la pédophilie a été promulguée.» «Des innovations apportées par la loi du 29 janvier 1999 modifiant quelques dispositions du Code pénal et définissant le viol, la loi n°2020-05 constituent une avancée majeure dans la protection et promotion des droits des femmes et des filles (des enfants). Le Sénégal dispose ainsi d’un cadre juridique de répression des violences sous toutes leurs formes dont leur effectivité peut concourir à leur prévention et éradication», ajoute Mme Samb. Cependant, l’Association des juristes sénégalaises déplore : «Une certaine partie de la population sénégalaise ignore encore l’existence de cette loi et continue de faire des violences sexuelles une affaire privée. Bien que la prévention et la lutte contre ce fléau constituent un impératif à la fois juridique et humanitaire, l’inertie continue de prévaloir au motif qu’il s’agirait d’une question ta­boue.»

Des actions en faveur de la lutte contre les violences basées sur le genre
Depuis des années, l’Ajs, consciente de la diversité et de la gravité des conséquences qu’elles entraînent pour les personnes qui les subissent, dit mener des actions en faveur de la lutte contre les violences basées sur le genre, et spécifiquement des violences sexuelles, dans le but de briser la loi du silence, d’aider les autorités à s’atteler au problème et faire en sorte que les survivants reçoivent des soins appropriés. Elle dit avoir aussi mis à leur disposition, une large gamme de services (soins de santé -physique et mentale-, soutien psychosocial, assistance juridique) à travers ses Boutiques de Droit, avec l’appui de ses partenaires techniques et financiers. Dans cette même perspective, l’Ajs a mis en œuvre un projet intitulé : «Contribuer à l’éradication des violences sexuelles par la sensibilisation, la vulgarisation et l’application effective de la loi criminalisant le viol et la pédophilie en zone urbaine et pé­riurbaine.» Avec l’appui financier de l’Union européenne, le projet intervient dans six régions du Sénégal, à savoir Dakar, Thiès, Kaolack, Diour­bel, Saint-Louis et Tamba­counda.
Correspondant