«J’ai 28 ans. Je suis orphelin de père du Joola. Mon père gérait la radio du bateau Le Joola. En 2002, j’avais 7 ans et demi, j’étais à l’école primaire, en classe de Ce1. Je suis le cadet de la famille et j’ai deux frères et deux sœurs. Le naufrage m’a surpris. Mon père voyageait de temps en temps, même quand il allait en France, il ne faisait que 2 ou 3 semaines. Il voyageait partout avec les bateaux parce que c’était un diplômé de la Marine nationale. Il est parti à l’âge de 49 ans. Le bateau a coulé le 26 septembre, mais c’est le vendredi matin qu’on a eu des nouvelles. Ce jour-là, je devais partir à l’école coranique. Ma mère m’a envoyé à la boutique pour acheter le petit déjeuner. J’ai duré là-bas et c’est en venant me chercher qu’elle a entendu, à travers la radio du boutiquier, que le bateau a coulé. Le boutiquier a éteint la radio parce qu’il savait que mon père y travaillait. Automatiquement, ma­man est retournée à la maison et a allumé sa radio. La question, c’était de savoir si papa s’en était sorti ou pas ? Pendant une semaine, on cherchait le corps de mon papa, parce que jusqu’au dimanche, on sortait des corps sans vie. Mon papa ne faisait pas partie de la liste des rescapés. Moi, je ne pouvais pas y croire parce que je me disais que papa savait nager. Il m’avait appris à nager, alors pourquoi il ne sortait pas ? J’étais trop jeune pour comprendre, mais mon père était un héros. C’est lui qui gérait la famille, je parle de famille au sens large du terme, sa mère, ses frères, ses sœurs. C’était un soutien de famille. Personne ne pouvait croire qu’il était parti. Sa mère ne voulait pas qu’on fasse le deuil parce qu’elle ne croyait pas que son fils était décédé. On a attendu jusqu’à lundi, après on a fait le deuil. C’était très dur de faire le deuil sans corps. Moi, on m’a fait quitter la maison le dimanche pour que je ne comprenne pas ce qui se passait. On m’a amené chez un oncle mais je suis retourné moi-même à la maison le même jour. J’ai marché jusqu’à Thiaroye Azur. A la maison familiale, il y avait beaucoup de monde, un de mes amis m’a dit : «ton papa est mort», mais je n’avais pas compris. C’est avec l’âge que je me suis rendu compte de la situation. Je me souviens d’un père qui aimait son travail, je voulais intégrer la Marine nationale pour faire comme lui. Après le drame, il y a son héritage, et les 10 millions du Président Abdoulaye Wade qui ont créé trop de problèmes dans les familles.»

L’après-Joola
«Ma mère n’a jamais été prise en charge. Elle est une brave femme. Mon père ne voulait pas qu’on étudie dans les écoles publiques parce que qu’il y avait trop de grève. Quand Papa est parti, de la classe de Ce1 à la terminale, c’est ma mère qui se dé­brouillait pour payer mes études et je n’ai jamais fait l’école publique. C’est en 2009 que l’Office national des pupilles de la Nation a été mis en place, les allocations allouées aux pupilles ont commencé à être payées en 2012. Moi, on m’a payé le 14 février 2012 et le 14 mars 2012, juste deux mois d’allocations parce que j’avais 18 ans. Je dois tout à ma mère. C’est elle qui a payé mes études et ma formation. C’est pourquoi tout ce que je gagne aujourd’hui, c’est pour elle.»

20 ans après, toujours les mêmes attentes 
«Je ne comprends pas pourquoi 20 ans après, on ne peut pas résoudre nos problèmes. Un Mémorial pour le bateau Le Joola, ça doit exister. Ceux qui sont nés après le naufrage ne connaissent pas le bateau. Pourtant, ils peuvent connaître le Titanic. On doit connaître notre histoire avant de raconter d’autres histoires. On fait toujours face au manque de civisme, la preuve avec la surcharge dans les bus. Dire qu’on est toujours en train de faire les mêmes pratiques qui ont conduit à cette catastrophe ! L’Etat ne se soucie pas de nos problèmes. Des responsables, des pères et mères de famille, des enfants sont partis ! On devait situer les responsabilités. Je n’ai plus confiance aux bateaux ou au Ter, parce que c’est sénégalais. Le Sénégalais peut voir une panne mais pour lui, ce n’est pas un souci, il va continuer à transporter des gens. Et après, quand il y aura une catastrophe, on dira que c’est la volonté divine. Même pour mon cursus scolaire, je ne suis jamais allé dans une école loin de chez moi par peur de prendre les bus et les cars rapides. Parce que je suis traumatisé par le naufrage. Tout ce qu’on attend de l’Etat, c’est qu’il mette en place le Mémorial et que les responsabilités soient situées. Et nous voulons le renflouement. Si je vois l’épave, je pourrai faire mon deuil. Je pourrai aller prier pour lui. Mais l’Etat n’a pas cette volonté de renflouer le bateau. C’est très dur de perdre son père. J’ai toujours sa photo avec moi et quand je suis en colère, c’est sa photo que je tiens.»
Par Dieynaba KANE