Derrière l’arrestation de Guy Marius Sagna se cache un projet pour Macky Sall de se perpétuer au pouvoir, à l’image de Paul Kagamé au Rwanda. L’alerte est de Aldiouma Sow qui s’inquiète du remplacement progressif du français, langue officielle, par l’anglais dans les discours du président de la République. Dans cet entretien, le chargé des Elections au Pastef analyse le dialogue politique et le rapprochement Wade-Sonko.

Pourquoi Pastef ne participe pas au dialogue politique ?
J’aimerais faire une précision : Pastef ne participe pas au dialogue national convoqué par le Président Macky Sall au sortir de l’élection présidentielle du 24 février 2019. Nous continuons à penser que ce dialogue n’est pas pertinent pour préserver le peu qui reste de la démocratie sénégalaise et éviter que le rôle des opposants et celui du gouvernement soient confondus. Ce dialogue est inopportun parce que sous sortons d’une élection présidentielle pendant laquelle il y avait un affrontement de programmes entre les candidats. Donc, c’est impertinent de convoquer à nouveau les acteurs politiques pour élaborer un nouveau programme de gouvernance. Vous avez parlé du dialogue politique, c’est une expression qui n’a pas lieu d’être. Il s’agit plutôt de discussions sur le processus électoral, quelque chose de normal et qu’on a l’habitude de faire au Sénégal depuis belle lurette. Macky Sall a parlé de dialogue politique parce que son objectif c’est de faire croire, aux yeux des Sénégalais, qu’on a un espace politique apaisé. Ce qui n’est pas le cas. Les exemples sont légion. Pastef est membre du Front de résistance nationale qui a dépêché un groupe de plénipotentiaires qui le représentent dans les discussions sur le processus électoral. Nous participons à ces discussions à titre technique. Sur la base de l’expérience que nous avons eue de la dernière Présidentielle, il arrive que j’envoie des notes pour consolider la position de l’opposition par rapport à ces questions.

Mais Ousmane Sonko, votre leader, critique les options prises par le pôle de l’opposition représenté par le Frn. Finalement, Pastef n’est-il pas contradictoire ?
Non, le frère Ousmane Sonko critique le dialogue national. Mais encore une fois, nous participons aux discussions sur le processus électoral dans le cadre du Frn. Nous avons un porte-parole et un adjoint qui parlent au nom du Front.

Pourquoi donc Pastef a critiqué le «consensus fort», selon le communiqué de la commission cellulaire, sur le report des élections locales ?
En réalité, il n’y a pas de report. Au moment où l’on parle, on a juste vu un communiqué qui parle de «consensus fort», une expression qui reste à définir. Moi je ne sais pas ce que cela veut dire et le communiqué devait nous aider en ce sens. Le Pds n’est pas représenté dans ce processus et c’est un parti représentatif dans l’espace politique sénégalais. L’élection est fixée par un décret. Et pour qu’il y ait report, il faut un nouveau décret assis sur un Code électoral modifié. Pour cela, en vertu du Protocole additionnel de la Cedeao, il faut un consensus des acteurs politiques. Le fait que le communiqué de la commission parle de «consensus fort» est révélateur de quelque chose. Il est temps, et il n’est pas trop tard, qu’on revoie l’approche et la méthode utilisées. Nous prenons acte de ce communiqué, mais il faut aller jusqu’au bout du processus.

Parlant du Protocole additionnel de la Cedeao, l’article 2 parle de large consensus des acteurs politiques. Si on sait que tous les pôles sont d’accord sur le report des Locales, est-ce qu’on ne peut pas parler de «consensus fort» ?
C’est une question d’interprétation, mais les positions sont divergentes. Chacun est libre d’avoir son point de vue, mais en l’état actuel des choses, toutes les opinions se valent.

Globalement, quelle lecture faites-vous des travaux sur le dialogue politique ?
Encore une fois, ce n’est pas un dialogue politique. C’est juste des discussions sur le processus électoral. Cependant, les points inscrits à l’ordre du jour nous paraissent opportuns. Les conditions dans lesquelles les Législatives et la dernière Présidentielle ont été organisées n’offrent pas des gages de transparence et de fiabilité parce que rien n’a été le produit d’un consensus. Que les gens se retrouvent pour en discuter, c’est normal ! Aujourd’hui, le pouvoir accepte que les choses soient évaluées. Cela veut dire qu’il reconnaît que le fichier et la carte électorale n’étaient pas fiables. A mon avis, s’ils étaient convaincus qu’ils avaient le meilleur dispositif, ils n’allaient pas accepter, par cohérence, que les choses soient revues.

Pourtant à la veille de chaque élection, les acteurs se réunissaient pour s’accorder sur les règles du jeu…
Ce qui se passait, c’est la revue technique du Code électoral. Sur la base de l’expérience de chaque acteur politique, on identifiait les anomalies dans le Code, c’est-à-dire les dispositions désuètes pour les remplacer par d’autres. Il arrive des fois qu’il y ait des contentieux qui portent sur le fichier électoral et que les acteurs s’entendent pour qu’il soit audité. Mais aujourd’hui, l’audit du fichier électoral et la revue du Code électoral sont des points à côté d’un autre appelé «l’évaluation de l’élection présidentielle», la «refonte globale» de ce scrutin. Donc pour le pouvoir, accepter cela veut dire qu’il rejoint l’opposition dans ses suspicions légitimes sur la manière dont ce processus électoral a été géré.
Le dialogue politique a divisé l’opposition en 2 fronts : Pds, Pastef, Tekki, Act… contre le Frn de Mamadou Diop Decroix, Idrissa Seck…
Il n’y a pas deux oppositions. On a toujours assisté à une pluralité de visions, de positionnements au niveau de l’opposition. Pastef a inauguré un nouveau discours qui tranche nettement avec celui d’en face. Je pense que la configuration actuelle de l’opposition n’est pas nouvelle. L’espace politique est fait d’alliances, de séparations, etc. Cela se passe dans l’opposition comme dans le pouvoir. Dans la coalition Benno bokk yaakaar, il y a des alliances tactiques et parfois stratégiques. Aujourd’hui, c’est la même configuration qui se passe au sein de l’opposition. Mais je ne peux pas réduire cela en 2 ou 3 camps. Je vois juste que dans cette opposition, les approches et les stratégies ne sont pas les mêmes, car chaque force tient compte de son histoire, de son identité et de sa vision. C’est bien pour la population de bénéficier de cette offre politique. A la sortie de chaque élection, il y a une nouvelle configuration politique marquée par des rapprochements ou des mésententes.

Mamadou Diop Decroix trouve que si ceux qui ont boycotté le dialogue national ont peur de Macky Sall, c’est leur affaire…
Je n’ai pas entendu cette déclaration, mais je sais que la peur ne fait pas partie de notre jargon. Nous, en entrant en politique, nous avons fait une proposition globale et systémique parce que Pastef considère que ce dont le Sénégal est victime n’est pas le fait d’un parti politique ou d’un homme. C’est plutôt le fait d’un ensemble d’acteurs qui interagissent entre eux pour pérenniser un système qui est là et qui ne peut en aucun cas sortir notre Sénégal de l’ornière. Nous avons écarté toute forme de compromission avec les acteurs de ce système.

Qu’est-ce qui justifie donc le rapprochement entre votre leader Ousmane Sonko et Me Abdoulaye Wade ?
Les gens ont commis pas mal d’amalgames après la visite de notre président Ousmane Sonko au Président Abdoulaye Wade. Il est parti voir un homme qui a un vécu et un capital intellectuel et qui a été aux commandes de l’Etat. Qui dit Etat dit réalités très complexes. Ousmane Sonko a été dans un secteur de l’Etat pendant 15 ans, ce qui lui permet d’avoir la stature d’un homme d’Etat. Mais c’est différent d’un président de la République. Jusqu’à preuve du contraire, nous considérons que le président Sonko est celui qui peut matérialiser notre projet de société. C’est normal que quelqu’un qui veut être président de la République rencontre un ancien président de la République qui a dirigé l’Etat pendant 12 ans. Deuxièmement, nous sommes dans l’opposition et Me Wade a vécu dans cette opposition pendant 26 ans. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a une alliance entre nous et le Pds. Parce que pour qu’il y ait alliance, il faut que les acteurs des 2 partis se réunissent et discutent de la manière de travailler ensemble.

Une alliance entre Pastef et le Pds est-elle envisageable aux prochaines Locales ?
Ce que je peux dire, c’est qu’elle n’est pas à l’ordre du jour. Est-ce que cette perspective est exclue ou est une possibilité ? Je ne peux pas le dire. Les jours à venir nous le diront. Mais après la visite à Me Abdoulaye Wade, nous irons à la rencontre d’autres leaders politiques, des acteurs de la recherche, de l’économie…

Quelle lecture faites-vous de l’arrestation de Guy Marius Sagna ?
Je commencerais par témoigner toute notre solidarité au frère, patriote et camarade Guy Marius Sagna (Ndlr : L’entretien a eu lieu avant la libération de l’activiste hier). Cette affaire révèle que tous les Sénégalais sont vulnérables parce que si l’Etat qui est censé nous protéger est une menace pour nous, nous sommes dans une insécurité judiciaire et juridique. Cela prouve que nous ne sommes pas dans un Etat de droit. Le droit pénal a été bafoué et ses principes élémentaires ont été remis en cause. On ne peut poursuivre un individu sans des faits qui ont été auparavant prévus par la loi. La justice a mis presque 4 jours pour notifier à Guy Marius Sagna les motifs de son arrestation. Il y a aussi une violation sur le caractère personnel de l’infraction. Le droit pénal se distingue du droit civil par le fait qu’en droit, on ne peut pas appréhender un individu s’il n’est pas auteur, coauteur ou complice. Dans cette affaire, Guy Marius Sagna n’a pas rédigé le communiqué, n’est pas la personne morale de cette organisation, ne l’a pas communiqué et mis à la disposition du public. Il n’est dans aucune de ces 3 catégories. Cette affaire montre que c’est la volonté qui régule nos rapports avec l’Etat alors que c’est le droit qui devrait l’être. Cela nous rappelle l’époque post-indépendance où être Communiste était considéré comme une infraction. L’objectif était de préserver les avantages de la puissance coloniale. Aujourd’hui, le terrorisme est un prétexte fallacieux pour réprimer les libertés publiques. L’autre objectif de cette arrestation arbitraire, c’est d’affaiblir le mouvement Aar li ñu bokk dans lequel Guy Marius Sagna a joué un grand rôle. On sait que dans les jours à venir, les prix des denrées seront revus à la hausse, la Senelec traîne des dettes et on s’achemine vers des délestages. Donc, on a un climat socioéconomique tendu. Conscient de la pression populaire qui pourrait naître de cette situation, le pouvoir en place cherche à museler les activistes et les acteurs politiques. Tout cela est fait pour permettre à Macky Sall de faire plus de deux mandats comme au Rwanda avec Paul Kagamé. Dans sa communication, Macky Sall fait référence au Président rwandais. Dans les discours, la langue officielle est de plus en plus remplacée par l’anglais. L’objectif est de faire comprendre aux Sénégalais que Macky Sall qui se considère comme le Kagamé sénégalais, qu’il faut qu’il reste le plus longtemps possible au pouvoir. Mais ce que Macky oublie, c’est que si Kagamé a su se perpétuer au pouvoir, c’est parce qu’il a une vision économique. Il a su réconcilier les Rwandais sur la base de la vérité. Ce qui n’est pas le cas de Macky Sall. Kagamé ne vit pas de lois rectificatives et l’économie sénégalaise est à son plus mauvais état.