Le Président a annoncé qu’il ne se représenterait pas mais les manifestants s’inquiètent de la prolongation de son quatrième mandat.

L’appel à la prière du soir est à peine audible, couvert par le concert des klaxons. Lundi 11 mars, l’extrême est du pays savoure la décision de Abdelaziz Bouteflika de renoncer à briguer un cinquième mandat et de reporter les élections prévues le 18 avril. En plein cœur d’Annaba, sur le cours de la Révolution, on sort «célé­brer  ce moment histori­que» voire reprendre en chœur un slogan qui semble être devenu l’autre hymne national depuis la première manifestation, le 22 février : «Makach elkhamssa ya Bouteflika» («pas de cinquième [mandat] Bouteflika»). Un moment, la quatrième ville d’Algérie se laisse bercer par l’ivresse de cette victoire. Le pouvoir a bougé.
A 500 km de là, dans la capitale, Samia, 63 ans, apprend la nouvelle devant sa télévi­sion. «J’en ai perdu le souffle !», confie cette mère de famille qui avait manifesté le 8 mars pour la première fois depuis trente ans. «Je savais que le Président ne laisserait pas le pays sombrer dans la crise», poursuit-elle avant que son fils, Hillel, ne tempère sa joie. Pour lui, c’est «une arnaque. Ils suppriment l’élection, mais ils restent au pouvoir, le Président et son clan». Dans son message rendu public peu avant 19 heures, Abdelaziz Bouteflika a annoncé la mise en place d’un «gouvernement de compétence nationale» pour assurer les affaires de l’Etat et d’une «conférence natio­nale», «ouverte à tous», chargée d’élaborer la transition d’ici à la fin de l’année.
Sur la place Maurice-Audin, devenue le lieu des ralliements, dans le centre-ville d’Alger, plusieurs centaines de personnes convergent rapidement malgré la nuit, pour saluer ensemble ce qu’ils estiment être un premier pas. «Bien sûr qu’on est contents, s’exclame Arezki. Mais ce n’est qu’une réponse à l’une de nos demandes. Il y en a d’autres.» «C’est même pas un but. On a marqué un demi-but», poursuit Ahmed, narquois.

Non au mandat 4,5
Une femme se réjouit pourtant du départ du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui a présenté sa démission plus tôt dans la journée, immédiatement remplacé par le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui. Non loin d’elle, deux jeunes veulent, eux, parler aux journalistes : «On n’a pas demandé le départ du Président, ils doivent tous partir ! Ce sont tous des voleurs !», lancent-ils alors que des fumigènes sont allumés et que des feux d’artifice éclatent dans le ciel. Dans ce climat de joie mitigée, un groupe arrive sur la place, tenant une grande banderole blanche sur laquelle a été inscrit : «Nous exigeons un changement radical du système, non un changement de marionnettes.» Non loin de là, de la vitre d’une voiture, un jeune garçon brandit son «Non au mandat 4,5», comme une analyse lapidaire de la prolongation -de fait- du 4e mandat de Abdelaziz Bouteflika.
A Annaba, passé l’effet de surprise, la décision de «Boutef» est, là aussi, vite rétrogradée au rang de «première étape». Pour ceux qui ont bravé la fraîcheur de la nuit, le renoncement du Président impotent de 82 ans n’est pas suffisant : «On veut que tout le système dégage. C’est pour cela qu’on va continuer à marcher», argue Nasser, 27 ans. Pour cet agent de sécurité à l’université, le report de l’élection présidentielle et le changement de Premier ministre -«Un autre pion du système», comme il dit- n’est qu’un sursis de plus afin que le pouvoir continue d’exercer son emprise sur le pays. Mais lui en a assez, il ne veut plus continuer à gagner seulement 17 000 dinars (78 euros) par mois, même pas le prix d’une nuit à l’Hôtel Sheraton, building de verre qui surplombe avec insolence la ville côtière. «Il ne faut pas que l’on tombe dans le piège, nous réclamons le changement radical immédiat. C’est tout», ajoute-t-il. Lui et d’autres demandent un gouvernement provisoire composé de personnalités respectées et des élections rapidement organisées.
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