La nomination de Amadou Ba au poste de Premier ministre fait partie des décisions présidentielles qui n’ont quasiment surpris personne. Il est des contextes où l’avènement d’un leader apparaît comme une solution qu’on ne peut ignorer sans danger. Evidemment que le Président avait une large palette de choix qui auraient pu être tout aussi légitimes, mais celui de Amadou Bâ a ceci de particulier qu’il fait quasiment l’unanimité. Et ce, aussi bien au sein de la majorité présidentielle que dans la société. Amadou Ba en personne ne fait peut-être pas l’unanimité (y’a-t-il un être humain capable de faire une telle prouesse ?) mais sa nomination a été globalement bien accueillie et ce relativement à plusieurs paramètres.
La valeur intrinsèque de l’homme, l’orientation que le président de la République veut donner à son gouvernement, le contexte politique, la demande sociale, les enjeux économiques qui se profilent à l’horizon, sont entre autres des données à la fois objectives et subjectives qui jettent une lumière sur le choix de sa personne.
Quand il a été sorti du gouvernement, on a entendu toutes sortes de supputations, mais il n’a jamais laissé apparaître le plus petit signe de frustration. Il a adhéré stoïquement et rationnellement à la décision de son patron et a même proclamé sa disponibilité à défendre le gouvernement et à continuer à accompagner le parti.
A sa passation de service au ministère des Affaires Etrangères, il disait : «Je ne connais pas de loyauté de circonstance, ni de loyauté à géométrie variable. On est loyale ou on ne l’est pas.»
Amadou Ba c’est un homme de valeurs. La plus grande immoralité est de ne bénir les choses que parce qu’elles nous sont favorables et de les médire lorsqu’elles sont contraires à nos désirs. Or c’est justement la posture la plus répandue dans le landerneau politique sénégalais. Nombreux sont ceux qui passent de folie et sagesse et ce, non par un éclair de lucidité ou un progrès dans la connaissance, mais par pur opportunisme. C’est une sorte d’enfantillage de l’esprit du politicien qui consiste à réduire le monde à son nombril. Tant qu’ils sont dans le gouvernement, ils défendent les positions les plus extravagantes, mais sont les plus zélés à les dénoncer dès qu’ils y sont congédiés. Les plus pernicieux restent dans le camp présidentiel, mais ne se gênent guère à faire des critiques et des manœuvres souterraines pour à la fois se venger de leur non-reconduction au poste et pour se faire une virginité ou une ablution politique. Ces pratiques ne sont pas seulement mauvaises sur le plan strictement moral, elles pervertissent la démocratie parce qu’elles faussent la lecture du jeu politique.
Il s’agit d’une indécence pseudo réaliste qui consiste à parasiter les désirs (conscients et inconscients) du Peuple pour régler des comptes politiques. Par de telles manœuvres, c’est le peuple lui-même qui est en fin de compte piégé par des politiciens de métier qui n’ont d’autre boussole que leur ego. La nomination d’un gouvernement, dans aucun pays, surtout dans une société aussi complexe que la nôtre, prend en compte des facteurs qui ne sont pas toujours objectifs.
Le chef de l’Etat Macky Sall nous enseigne qu’il faut par conséquent que ceux qui sont nommés comme ceux qui sont démis aient un rapport quasi religieux avec la République pour en comprendre les ressorts et justifications. On n’est pas toujours démis d’un gouvernement par manque de résultat et performance : on a parfois besoin de mettre à l’abri ses meilleurs atouts pour faire face à l’imprévu et aux périodes d’infortune. Les rentrées et sorties dans un gouvernement sont donc des choses naturelles que tout esprit républicain devrait en principe pouvoir comprendre.
La mise en congé d’Amadou Ba par le Président Macky Sall était sans doute motivée par deux logiques : d’abord le mettre à l’abri des tumultes et des guerres de positionnement, ensuite tester ses qualités, notamment dans son rapport avec la gestion des affaires de la cité. Cette distance au pouvoir lui a permis de se faire mieux apprécier des Sénégalais et de prouver son ancrage dans l’Apr qu’il a continué à servir avec abnégation et conviction. Combien de personnalités de premier plan ont décidé de se rebeller ou de mettre en veilleuse leurs activités au sein du parti après leur sortie du gouvernement ? Combien de responsables, de Dg, de Pca ont choisi la voix de la neutralité au lendemain de la perte de leur poste ? Amadou Ba fait de la politique, mais il ne vit pas de la politique : il a certes ses convictions politiques, mais il est avant tout un technocrate. Le Pm ne fait pas partie de ces technocrates froids, hautains et distants du Peuple. Il a toujours gardé son ancrage dans son environnement social (Parcelles Assainies et Dakar), ce qui lui a permis de garder intacte sa légitimité politique.
C’est vrai que beaucoup de gens redoutent (avec raison d’ailleurs) les technocrates en ceci qu’ils prétextent d’une sorte de suprématie scientifique pour snober le Peuple, mais quand le technocrate et en même temps politique, ce risque n’est guère encouru. Par son attachement à son fief et sa constance dans la fidélité au chef de l’Etat, il a donné les gages et les preuves qu’il est un homme de valeur. Il a su donc modeler sa technocratie aux exigences d’une pratique politique ancrée dans les valeurs. On ne peut faire de la réussite la seule norme de la politique, car on ne serait plus dans une société humaine. Sans les valeurs, toute politique se détruit dans la contradiction et dans l’impasse.
En nommant Amadou Ba Pm, le président de la République a fait le choix d’un homme de consensus. En effet, même dans les partis d’opposition, Amadou Ba est bien apprécié comme un homme courtois, qui est certes ancré dans des convictions politiques solides, mais qui est capable d’écoute et de compromis lorsqu’il s’agit de l’essentiel, c’est-à-dire de l’intérêt du Sénégal. A l’Apr, on n’a jamais entendu Amadou Ba dans les luttes fratricides qui minent parfois les organisations politiques et amenuisent leur force de résistance face aux assauts extérieurs. Avoir un homme de cette trempe et d’un aussi facile commerce dans les rangs de l’Apr, surtout dans le contexte actuel, est assurément un atout que le Président Macky Sall a bien apprécié.
Dans l’absolu, la recherche du consensus est l’essence même de la politique. Toutes les ruses et toutes les armes (au sens large de ce terme) qu’on peut accumuler finissent fatalement par devenir caduques et non opérationnelles lorsque le caractère versatile de l’homme l’inspire à faire dans le caprice. Des êtres doués de raison, qui inventent et défont des choses ne devraient être gouvernés que selon le consensus. On ne pourra tout obtenir par la force, par la Justice, par la ruse et par tous les moyens illicites, sans des consensus larges et forts, tout pouvoir trouve sur son chemin une résistance acharnée, des contre-pouvoirs à la mesure de celui qu’il exerce sur les hommes. L’avènement d’un homme comme Amadou Ba, là où certains s’attendaient à la promotion d’un faucon, peut, par conséquent, être considéré comme un signal d’ouverture et de recherche des grands accords qui ont permis à notre pays d’être jusqu’ici à l’abri des soubresauts qui ont été fatals à la plupart des jeunes démocraties africaines.
Son long compagnonnage avec le président de la République est en plus un gage de confiance que les uns et les autres peuvent légitimement voir en lui. Amadou Bâ montre dans tous ses actes qu’on peut faire de la politique sans tomber dans le populisme et la surenchère permanente. Discret, travailleur et rigoureux dans sa gestion, il a le profil d’un Pm qui sert sans chercher à faire de l’ombre au chef. Les fastes et les invectives qui sont le pain quotidien de plusieurs politiques ne font que cacher une vacuité interne. Les hommes qui maîtrisent leur art n’ont pas besoin du tintamarre de la gouvernance folklorique qui est dans l’illusion d’être le centre du monde grâce à une omniprésence médiatique. Dans ses Maximes d’Etat, le Cardinal de Richelieu conseille : «Il faut écouter beaucoup et parler peu pour bien agir au gouvernement d’un Etat.» Le choix de Amadou Ba de travailler dans l’ombre peut donc être compris comme une éthique de gouvernance qui veut parler par les actes au lieu «d’agir» ou plus exactement de croire agir par la parole.
On comprend que les Sénégalais soient un peu impatients de voir et d’entendre leur Pm : les différents Pm qui se sont succédé avaient chacun un style communication qui lui ait propre. En ce qui concerne Amadou Ba, on peut, au regard de ce qu’il a montré depuis sa nomination, qu’il opte plutôt pour la sobriété et la recherche de consensus en lieu et place du spectacle. C’est vrai que la politique implique et nécessite du spectacle, mais ce serait une erreur de vouloir la réduire exclusivement à une entreprise de spectacle. Les attentes des Sénégalais sont pressantes pour autoriser à un homme vertueux de faire du spectacle sur leurs espoirs et leurs doléances. Il est temps que les hommes politiques sénégalais sachent que la meilleure façon de faire de la politique, c’est d’en faire peu. Tout a été dit dans ce pays : ce dont on a besoin, c’est d’un gouvernement et d’hommes politiques qui respectent le Peuple.
Excellence, Monsieur le président de la République, encore une fois les Parcelles et Dakar vous disent Dioko ndial.
Pape KHOUMA
Responsable politique/Apr
Parcelles Assainies