Que retenir de l’appel de Amadou Kouffa du Front de libération du Macina qui appelle les Peuls d’Afrique de l’Ouest au jihad ? On peut retenir deux choses. Premièrement, Amadou Kouffa est un entrepreneur identitaire qui veut utiliser la culture peule comme une rente politique. Deuxièmement, et c’est plus sérieux, cela montre que le jihadistes transcendent les frontières héritées de la colonisation et projettent leur combat à un niveau régional. Comme tous les entrepreneurs identitaires, Amadou Kouffa est à la fois dans la généralisation abusive et le «singulier collectif». Son appel est un cri dans le désert, parce qu’il n’y pas de persécutions peules depuis le sanguinaire Ould Taya en Mauritanie. Les conflits identitaires ont toujours des soubassements politiques. Ce sont toujours les politiciens qui avancent masqués derrière les conflits identitaires, même derrière le conflit artificiel qu’on veut créer entre Dogons et Peuls au centre du Mali, alors qu’ils ont toujours coexisté. Le problème du Mali n’est pas identitaire, mais un problème politique dû aux défaillances et à la faillite de l’Etat. Et quand l’Etat, qui est l’allégeance collective, faiblit ou disparaît, les populations se réfugient derrière les allégeances primaires des «identités meurtrières» comme l’ethnie, la tribu ou la région. La Libye et le Mali sont de bons exemples. L’exemple de la Libye illustre le génie et la profondeur de la pensée de Thomas Hobbes sur les ravages de la faillite de l’Etat. Pour Hobbes, tout le mal que l’Etat peut faire est infiniment moins dommageable comparé aux maux dus à l’absence d’Etat. Aujourd’hui, en Lybie et en Irak, s’il y avait un Référendum, les populations auraient plébiscité les excès de Saddam ou de Kadhafi comparés au chaos qui sévit dans ces pays car, comme le dit le proverbe arabe, «il est préférable d’avoir mille ans de tyrannie que vingt-quatre heures d’anarchie». Si la crise malienne devient identitaire parce que l’Etat, l’allégeance commune, n’est pas à la hauteur, ce sera le chaos. Et c’est ce que cherchent des entrepreneurs identitaires comme Iyag Ag Ghali ou Amadou Kouffa. Etant donné que les jihadistes transcendent les frontières héritées de Berlin, le Sénégal est une cible pour les groupuscules jihadistes et les entrepreneurs identitaires. L’offensive identitaire de Kouffa et son appel au jihad peul n’a aucune chance de prospérer au Sénégal pour deux raisons. Premièrement, le Sénégal est devenu une société dés-ethnicisée et détribalisée. Deuxièmement, l’Etat, l’allégeance commune, est encore debout. Et le premier devoir de tout homme d’Etat est de le renforcer. Cet Etat, qui survit aux régimes, qui est notre avantage comparatif, pour ne pas dire notre patrimoine le plus précieux.

Trump et la presse
Le Président Trump a engagé un combat perdu d’avance contre la presse américaine. Les pères fondateurs des Etats-Unis ont tellement sacralisé la liberté de presse qu’ils lui ont réservé le Premier Amendement. La démocratie est tellement consubstantielle à la presse que Thomas Jefferson, le troisième Président des Etats-Unis, a déclaré «préférer une presse sans gouvernement à un gouvernement sans presse» parce qu’un gouvernement sans presse n’est rien d’autre qu’une dictature. Et Trump rêve d’un gouvernement sans presse. La presse est une sorte de «go between», de pont entre les élites politiques et les populations et par principe, un régime totalitaire commence toujours par supprimer les corps intermédiaires pour permettre au «guide», au Caudillo ou Führer, de s’adresser directement au Peuple. C’est ce que veut faire Trump avec Twitter. La croisade de Trump contre nos confrères de Cnn est un combat perdu d’avance, parce que dans une démocratie, quand le Président s’emporte contre la presse, cela relève de l’anecdote et fait rire. Trump est beaucoup plus marrant quand il emploie le vocabulaire anachronique d’ennemis du Peuple. Quand Staline ou Mao qualifiaient une personne ou un groupe d’ennemis du Peuple, cela voulait dire un aller simple vers le Goulag ou les camps de rééducation ou la mort. Dans la bouche de Trump, ennemis du Peuple fait sourire. C’est la toute la différence. Trump n’est pas Staline et les Etats-Unis ne sont pas l’Urss.

La candidature de Kouthia
Kouthia a un incroyable talent. Il a beaucoup contribué à la chute de Yahya Jammeh, le Néron de Banjul, en montrant aux Gambiens le caractère grotesque du bonhomme et tout le ridicule dont il couvrait la Gambie. C’est peut-être pourquoi les dictatures n’aiment pas l’humour et la comédie, alors que la démocratie en raffole, parce que dans une démocratie on peut rire du président de la République et de sa famille (Macky Sall et le tiebou walo, Wade, Karim, Viviane Wade, sont tous passés dans le «Kouthia show»). Au-delà de la rigolade, Kouthia fait passer des messages très forts, mais à chacun son rôle. Si la candidature de Kouthia est comme celle de Coluche, c’est-à-dire pour le fun, ce serait une excellente chose, car permettant avec le talent qu’on lui connaît de dérider une vie politique horriblement ennuyeuse. Mais si sa candidature est sérieuse, cela prouve que la désacralisation de la politique a atteint un point de non-retour. Ce qui ne serait pas étonnant, vu le niveau et la qualité du débat politique. Senghor, réveille-toi ! Le prestige de la fonction présidentielle se meurt à petit feu.