En novembre 2026 au Cam­bodge, le poste de Secrétaire général de l’Orga­nisation internationale de la Francophonie (Oif), occupé jusqu’à cette date par l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mu­shikiwabo, sera sans doute âprement disputé à la suite de préliminaires nationaux et internationaux non moins âpres. Dans cette perspective, l’idée qu’«un citoyen sénégalais» -c’est ainsi que se présente le Professeur de Lettres modernes Abdou Samb-, n’ait rien d’autre à faire que discriminer d’autres citoyens sénégalais en ne disant que du mal d’un seul d’entre celles et ceux qui ne lui ont rien demandé -cette idée dis-je-, est on ne peut plus ignoble. Ignoble est en effet l’attaque du phraseur Samb pour juste dire qu’il déconseille -ce à quoi Amadou Lamine Sall n’a pas besoin de répondre-, l’homme de culture dont il ne dit rien sur l’œuvre dans un texte rien que pour nuire à autrui. Tout ce que les femmes et les jeunes du monde entier -vous allez comprendre pourquoi-, réprouvent et pour cause.

Il y a 11 ans à Dakar
Le 29 novembre 2014, s’ouvrait à Dakar le XVe sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif). Il ne fait aucun doute que la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant l’usage de la langue française en partage divise l’opinion partout en Afrique francophone où des franges importantes de la Société civile considèrent encore que «le vrai visage de la Francophonie n’est rien d’autre que celui du néocolonialisme et d’une montagne de promesses non tenues [depuis] le sommet de 1989 à Dakar, [troisième du genre]» (Sud Quotidien, novembre 2014). Mais peut-on raisonnablement attendre du «néocolonialisme français» la tenue de promesses d’émancipation d’anciennes colonies ? Le Comité scientifique du XVe sommet -présidé par le journaliste El Hadji Hamidou Kassé- ne s’attarda pas sur la question, préoccupé qu’il était par les «raisons impératives» du choix du thème de la rencontre de Dakar : «Femmes et jeunes en francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement.» Pour notre part, nous préférons prendre au mot les signataires de la Déclaration de Dakar pour, au nom d’une géopolitique du care,  c’est-à-dire du «souci de l’autre» réinventer et promouvoir avec les femmes et les jeunes l’espace auquel ils disent adhérer ou finissent par adhérer pour 36 bonnes raisons.

Par suite de l’engagement de l’Oif, en 2000 au Luxembourg, à «promouvoir l’égalité hommes-femmes», la prise de position de l’organisation, en octobre 2012 à Kinshasa, contre «toutes les formes de discrimination et de violence faites aux femmes et aux filles», la contribution à l’organisation du «Forum des femmes francophones» en mars 2013 à Paris, l’appui à la création de réseaux genre, la détermination, en 1999 à Moncton, au Canada, «à répondre aux attentes» des jeunes, etc., le sommet de Dakar se devait de consolider les acquis et de produire, entre autres, une déclaration dont voici un extrait centré sur les femmes et les jeunes :
«Préambule
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5. Conscients de la place et du rôle croissant des femmes et des jeunes dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale, ainsi que des enjeux qu’ils représentent pour le présent et l’avenir de l’espace francophone, notamment en Afrique, malgré les difficultés auxquelles ils sont souvent confrontés ;
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Valeurs
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7. Exprimons notre vive préoccupation face à la persistance des violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, en particulier à l’égard des femmes et des enfants dans l’espace francophone, notamment dans les pays en crise ou en sortie de crise. Nous nous engageons à intensifier notre appui en faveur de ces Etats dans le processus de restauration de l’Etat de Droit et de réconciliation nationale, qui prend en compte la complexité des situations et les perspectives des femmes et des jeunes. Encourageons, à cet égard, le renforcement du partenariat entre l’Oif et le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme et saluons la signature en mai 2014 de l’accord de coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge ;
(…)
9. Saluons l’action de la Francophonie en matière de gestion des crises et de règlement des conflits, qui fait d’elle un acteur majeur de la Communauté internationale, et demandons au Secrétaire général de renforcer les initiatives destinées à prévenir les conflits, en particulier le passage de l’alerte précoce à la réaction rapide, tel que recommandé par le panel d’experts de haut niveau institué en 2010. A cet égard, nous nous mobiliserons ensemble aux niveaux national et international, pour la participation pleine et entière des femmes et des jeunes aux mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits par leur implication dans les processus de négociation et de signature des accords de paix ;
(…)
17. Nous nous engageons à soutenir toute initiative, notamment législative, visant à accroître la participation des femmes et des jeunes aux instances de décision, à la gouvernance locale et à la vie politique. Adopterons et conforterons des mécanismes encourageant la parité à court terme au sein des diverses instances décisionnelles politiques et économiques de nos Etats et gouvernements ;
18. Reconnaissons la contribution constante et salutaire de la Société civile, en particulier des défenseurs des droits de l’Homme, en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment pour les femmes et les jeunes. Décidons d’apporter à la Société civile un soutien renforcé dans l’exercice de ses activités et d’en faire un partenaire essentiel dans la consolidation de la démocratie et de l’Etat de Droit ainsi que dans la promotion d’un développement durable et solidaire ;
(…)
Emploi
24. Convenons que sans une éducation de qualité, inclusive et accessible à tous dans un contexte de sécurité, la réduction des disparités, l’autonomisation des femmes et la question de l’emploi des jeunes ne peuvent faire l’objet d’une prise en charge satisfaisante.
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27. Décidons de renforcer l’action économique dans l’espace francophone ainsi que la coopération et la solidarité en faveur de l’insertion des jeunes et des femmes. A cet égard, adoptons la Stratégie économique pour la Francophonie et encourageons l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies d’accompagnement de l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, créatrices de richesses. Nous nous engageons à mettre en place les réformes nécessaires permettant aux femmes et aux jeunes d’accéder aux ressources économiques et de bénéficier du droit à la propriété, à l’héritage et à la terre. Demandons à l’Oif et aux opérateurs de renforcer leur action, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’innovation et de la création numérique, artistique et culturelle, ainsi que dans d’autres secteurs porteurs également d’emplois, tels que l’agriculture, et de faciliter le passage harmonieux de l’économie informelle à l’économie formelle. Veillerons à faciliter la mobilité des entrepreneurs, des femmes et des jeunes ;
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33. Demandons à l’Oif et aux opérateurs de poursuivre la mise en œuvre de la Stratégie de la Francophonie numérique, adoptée en 2012 au Sommet de Kinshasa, par des projets d’accompagnement qui permettent aux jeunes et aux femmes de saisir les opportunités d’emploi, d’innovation et de création qu’offre une société numérique ouverte, inclusive et solidaire.
34. Sommes conscients du rôle joué par notre opérateur télévisuel, plus particulièrement auprès de nos jeunes et de nos femmes, et de sa contribution au rayonnement de la langue française et de la diversité culturelle. Réitérons notre engagement à assurer l’accès à TV5 sur les principaux supports de distribution, y compris la télévision numérique terrestre ;
(…)
Santé et Développement durable
36. Mesurons l’enjeu vital que représente la santé dans la protection et la préservation de l’humanité, et nous nous engageons à intégrer la dimension santé dans toutes nos politiques publiques, y compris les politiques d’éducation à la santé, en tenant compte des spécificités des jeunes et des femmes ;
37. Estimons nécessaire de concevoir et de mettre en œuvre des programmes d’éducation sexuelle et reproductive relatifs notamment au Sida et aux services de santé sexuelle et reproductive, en impliquant tous les acteurs concernés, y compris les jeunes eux-mêmes. Soulignons qu’il est essentiel de faire évoluer les comportements, de renforcer l’aptitude des femmes à prendre des décisions et de favoriser l’instauration de relations respectueuses entre les hommes et les femmes ;
38. Demandons au Secrétaire général d’élargir son action de plaidoyer dans le domaine de la santé et à l’OIf de renforcer ses initiatives sur la scène internationale pour une meilleure coordination et une prise en charge adéquate, avec les moyens requis, des affections sanitaires auxquelles les femmes et les jeunes sont aussi vulnérables, telles que les grandes pandémies, en l’occurrence le Sida, la tuberculose, le paludisme, les maladies tropicales négligées, ainsi que les maladies non transmissibles et celles liées à la consommation de substances addictives. A cet effet, invitons l’Oif à nouer ou renforcer des partenariats, en particulier avec l’Organisation mondiale de la santé (Oms) et les programmes et mécanismes en matière de santé ;
(…)
44. Appelons à une meilleure prise en compte du rôle des femmes et des jeunes dans les politiques urbaines et reconnaissons que l’accès à un logement décent leur offre des conditions propices à la réussite et a un impact positif en matière de santé et d’éducation.
(…)
46. Soulignons les conséquences dramatiques des changements climatiques, notamment sur la santé, les ressources terrestres et marines, l’accès à l’eau, la production et la sécurité alimentaires. Reconnaissons qu’elles exacerbent la vulnérabilité, des femmes et des jeunes en premier lieu, et menacent de porter atteinte aux acquis du développement et d’entraver la prospérité économique, en particulier dans les pays africains et les pays insulaires en développement.
Réaffirmons notre foi en nos idéaux et notre détermination à mettre en œuvre les décisions du sommet. Nous nous engageons à renforcer notre solidarité avec l’Afrique, continent porteur d’espoir, dans son élan vers un avenir meilleur. Renouvelons notre confiance aux femmes et aux jeunes de notre espace, vecteurs de paix et acteurs de développement, et demandons à l’Oif de continuer à faire entendre leur voix face aux défis mondiaux.»
Un traitement lexicométrique approprié a facilité l’obtention d’un bon extrait pour l’analyse permettant de déterminer les mots qui s’attirent les uns les autres dans la Déclaration de Dakar et qui renvoient aux mots-clés du thème du XVe Sommet de la Francophonie. Comme il fallait s’y attendre, la Déclaration de Dakar comporte des associations -appelées cooccurrences-, statistiquement remarquables entre les substantifs (au pluriel) «femmes» et «jeunes». Mais si du fait de leur nombre, de la place et du rôle dont ils sont crédités, les femmes et les jeunes sont à la fois des «vecteurs de paix» et des «acteurs du développement», ils accroîtraient les chances de la Déclaration de Dakar d’être enfin entendue et mise en musique par eux-mêmes dans l’espace francophone rénové des peuples.
Senghor n’hésiterait pas
«Né le 26 mars 1951 à Kaolack, au Sénégal, [le poète Amadou Lamine Sall] a été décrit par Léopold Senghor comme le poète le plus doué de sa génération. Son œuvre est marquée par des thèmes tels que l’amour, la paix et la conjugalité, avec une écriture soyeuse et douce qui foudroie les mensonges [qui discriminent] et les illusions.»
Il y a sept ans -le 18 janvier 2018-, Sall adresse -en français s’il vous plaît-, une Lettre à la jeunesse sénégalaise dans laquelle il se considère comme acteur parmi les jeunes de son pays. Il y écrit : «Alors, il nous faut croire en notre jeunesse ! Nous croyons en votre capacité de changer votre pays, votre continent, de vous faire une place dans le monde et de changer le monde. Là est votre pari, là est notre espoir, nous vos mères, nous vos pères, vos devanciers. Nous vous laissons relever ce pari sur cette terrifiante planète Terre menaçante, où se faire une place semble relever d’un enfer sans nom.»
Plus tard, le 2 décembre 2024 dans les colonnes de Enquête Plus, l’auteur de Mantes des Aurores, Comme un iceberg en flammes, Le Locataire du néant, Kamandalu, Les Noces de Maman Binta -un ouvrage qui exhale un parfum d’amour et célèbre la femme-, dit de «l’affirmation culturelle africaine [qu’elle doit s’inscrire] dans la continuité lisse et solide de ce que nous sommes», nous Africains. Et comment s’y prendre ? Amadou Lamine Sall soutient que «l’Union africaine (…) doit mettre l’affirmation culturelle à l’honneur».
«J’appelle, dit-il, le gouvernement du Sénégal à proposer ce nouveau vocable et de l’imprimer à tous ses discours et actions.» «Les deux femmes qui ont à cœur de piloter le département de l’Intégration africaine et des affaires étrangères ainsi que celui de la Jeunesse, des sports et de la culture, se doivent de s’accaparer de cette nouvelle formule et de conquérir l’Afrique et le monde avec», conclut le poète. Les jeunes et les femmes enfin installés, avant l’heure, dans le cœur battant de la Francophonie des peuples enfin promue.
Pour sa minuscule part, Abdou Samb conclut sa charge ignoble en ces termes : «Alors, le Sénégal a mieux que Lamine Sall.» Une chose est sûre : le Sénégal ne trouverait pas pire que M. Samb pour promouvoir l’égalité des chances des citoyens discriminés d’un même pays. Senghor n’hésiterait pas, lui, à soutenir la candidature de son fils spirituel et grand ami Amadou Lamine Sall à qui -et à personne d’autre-, il enseigna la Francophonie en français.
Abdoul Aziz DIOP