On ignore les circonstances ou les paramètres sur lesquels le Président Macky Sall a fondé ses décisions, annoncées le 11 mai 2020, allégeant le dispositif de prévention contre le Covid-19. L’exercice a pu être très délicat, au moment où la propagation de la pandémie s’est accélérée (le 11 mai 2020, le record journalier de 177 nouveaux tests positifs au Covid-19 a été révélé). Mais pour diverses raisons, on peut trouver l’allégement du dispositif approprié dans le contexte.
1. La létalité du Covid-19 est assez marginale au Sénégal
On peut observer que pour la période du 2 mars 2020 (date de recensement du premier cas de malade du Covid-19) au 11 mai 2020 (soit 71 jours), le Sénégal a enregistré un nombre de 19 personnes malheureusement décédées de la pandémie. Trois nouveaux décès se sont ajoutés à ce bilan deux jours après. Cela équivaudrait à un ratio de moins de 2 morts par semaine. L’extrapolation donnerait un nombre de morts sur l’année de l’ordre de 100 cas. Le scénario le plus pessimiste, la situation la plus catastrophique, si on en juge par les méthodes de projection utilisées par les experts sur les statistiques du Covid-19 à travers le monde, serait la multiplication des cas par 3. Cette situation catastrophe nous amènerait à un nombre total de 300 morts sur l’année. On conviendrait que c’est beaucoup car toute mort de personne constitue une catastrophe, un drame pour les familles, les proches et la société de façon générale. En effet, «rien ne vaut une vie», mais on ne perdra pas de vue qu’il y aura fatalement des morts de personnes tous les jours que Dieu fait. Il reste que les statistiques montrent que le taux de mortalité au Sénégal est de 7,9 pour 1000, soit quelque 118 mille morts par an, sur une population moyenne de 15 millions d’habitants. Chaque année on recense plus de 13 mille cas de tuberculose avec plus de 300 décès. Quelque 750 mille personnes souffrent annuellement du paludisme avec des centaines de morts. C’est dire que le Covid-19 tue beaucoup moins que les autres causes de décès. 3000 enfants meurent chaque année de pneumonie. On remarquera pour l’anecdote, que le taux d’homicides au Sénégal est de 3 morts pour 100 mille habitants, soit une moyenne annuelle de 450 morts par homicide. Ce bilan macabre dépasse largement les projections les plus sombres pour le Covid-19. On retiendra également que les accidents de la route provoquent plus de 600 morts par an au Sénégal. Pour autant, le Sénégal n’a pas empêché la circulation des véhicules et autres engins sur les routes, encore moins décrété un couvre-feu permanent pour empêcher d’éventuels homicides ou fermé les marchés et les lieux de culte pour barrer la route à la propagation de la tuberculose.
2. L’Etat a commis l’erreur de prendre des mesures dont il ne peut assurer l’observance
On peut comprendre qu’à l’arrivée de la pandémie au Sénégal, le gouvernement ne pouvait pas ne pas s’inscrire dans le sillage des autres pays infectés et a alors préconisé des mesures de restriction des déplacements des populations et de leurs activités sociales. La maladie étant toute nouvelle et la vitesse de sa propagation, stupéfiante. Aussi, le grand nombre de décès, provoqués dans les premiers pays touchés, a pris tout le monde de court, qu’aucun protocole de riposte n’est encore jugé suffisamment efficace. Il n’y avait pas de leçon apprise, il fallait faire comme tout le monde et adapter la situation, au fur et à mesure. La peur était légitime et la psychose s’est installée car, même s’il était annoncé que ce serait une seule personne qui devrait mourir du Covid-19, chacun voudrait éviter d’être cette victime ou de voir son proche succomber. Le gouvernement n’aurait-il pas pris de telles mesures qu’il ne serait pas excusable. Seulement, était-il très vite apparu que les populations violaient allègrement le dispositif du couvre-feu ou de l’interdiction de rassemblement dans des lieux de culte, sans pour autant que les forces de sécurité, préposées à la mission de veiller à son application, n’arrivassent à empêcher cela. Il demeure qu’a posteriori, on peut considérer que les autorités de l’Etat avaient fait une mauvaise évaluation de la situation (c’est le sort ingrat de tout gouvernement), pour prendre des mesures de police dont elles ne pouvaient pas garantir ou assurer le respect. On a observé des situations qui pourraient engendrer des drames et de graves périls. Des populations ont bravé les Forces de l’ordre pour ouvrir certains lieux de culte. Fallait-il faire usage de la force armée pour faire appliquer la mesure ? Sans doute pas, car le remède aurait été pire que le mal. L’Etat n’avait aucun intérêt à déclencher une escalade qui pouvait être violente,
meurtrière même, quand on sait la détermination des groupes de populations à en découdre avec les éléments de police et de gendarmerie. Il y avait donc une grave menace à la paix et la sécurité publiques, avec des risques de confrontation et des actions manifestes de provocation. Encore une fois, l’Etat aura fait montre de sagesse en évitant de tomber dans une escalade. Il était illusoire de chercher à maintenir des mesures qui ouvriraient la porte à toutes les formes de défiance. On peut se rappeler qu’en 1999, les Forces de l’ordre s’étaient gardées de charger des hordes de «Baye Fall» qui assiégeaient la prison de Rebeuss, exigeant la libération de leurs condisciples emprisonnés pour avoir incendié la mosquée Ibadou de Niary Tally à Dakar. Le régime du Président Abdou Diouf avait convaincu le juge de prendre une ordonnance de main-levée pour élargir de prison les personnes mises en cause pour éviter que la situation ne dégénérât. La même attitude de retenue des Forces de l’ordre a été observée en France les mois derniers, quand des occupants de l’aire du projet de nouvel aéroport de Notre Dame des Landes de Nantes ou quand des manifestants «gilets jaunes» cherchaient à en découdre violemment avec l’autorité de l’Etat. Aux Etats-Unis, le Président John F. Kennedy avait ordonné, le 11 juin 1963, le retrait des troupes pour ne pas charger le Gouverneur George Wallace et ses affidés qui bloquaient l’entrée de l’université d’Alabama à des étudiants noirs. On ne manquera pas de regretter qu’avec l’épisode des fortes résistances enregistrées contre les mesures édictées par le gouvernement pour barrer la route au Covid-19, l’autorité de l’Etat en a encore pris un sacré coup, mais notre gouvernement devra apprendre qu’un Etat ne doit pas prendre des mesures qu’il ne peut pas faire observer. L’Etat devait bien savoir à quoi s’attendre car, des actes de rébellion provenant des mêmes milieux religieux ont été constatés plus d’une fois. C’est une désinvolture coupable de s’imaginer que les mêmes causes ne produiraient pas les mêmes effets et qu’il fallait mieux se préparer à faire accepter ou faire passer les mesures.
3. L’économie ne pourrait vivre en autarcie
Tous les pays ont pu mesurer que la pandémie du Covid-19 a déjà engendré une situation de régression économique jamais connue. En conséquence, on cherche partout à arrêter l’hémorragie. Après plus de trois mois de blocage des activités économiques, les pays cherchent à rouvrir leurs économies, à les faire redémarrer. Les mesures de limitation de la circulation des personnes et des biens ont freiné les activités économiques, le Sénégal ne pouvait donc continuer de fermer son économie, qu’on sait assez faible et fragile. Des pays voisins comme le Ghana, le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Bénin, tout aussi touchés (ou parfois plus touchés) par la pandémie, ont desserré les vis pour permettre aux populations de reprendre le travail. Comment dans un tel contexte, le Sénégal pourrait-il aller à contre-courant et s’obstiner à chercher à renforcer davantage les mesures ? On a entendu des voix continuer de préconiser le confinement total des populations !
4. Impératif d’éducation
Tout le monde peut convenir que les difficultés constatées au Sénégal dans la mise en œuvre des mesures prophylactiques et d’hygiène contre le Covid-19 sont dues à l’obscurantisme. La situation d’ignorance des populations et l’irresponsabilité de nombreuses élites religieuses et sociales constituent un véritable handicap pour le développement économique et social du pays. Il faudrait investir et investir encore dans l’éducation, la seule panacée pour libérer les esprits. L’attitude des populations durant cet épisode doit convaincre davantage de faire de l’éducation une nécessité impérieuse. Il semble donc utile de rouvrir les écoles et permettre aux enfants de retourner en classe pour ne pas continuer de grossir les bataillons d’ignares. Il n’en demeure pas moins que l’allégement du dispositif de riposte ne devrait procéder d’un laisser-aller mais constituerait une volonté de permettre aux citoyens de pouvoir vaquer à leurs occupations essentielles, tout en gardant, encore une fois, des mesures de précaution individuelle. Le travail de discussion, de sensibilisation et de persuasion ne devrait pas être relâché. On jugera à l’heure du bilan si le chef de l’Etat s’était fourvoyé ou pas, quand il a décidé d’alléger son dispositif contre le Covid19. Mais il aura fait montre d’un certain courage. «Il est toujours facile de dire ou d’exiger quelque chose lorsque les gens autour de soi sont d’accord avec ce que l’on affirme. C’est à la portée de tous. C’est tout à fait autre chose lorsque ce que l’on déclare soulève l’hostilité dans son propre entourage.»