Le député, membre de la coalition menée par l’ancien président Abdoulaye Wade, n’a pas été tendre avec le projet de budget en cours d’adoption à l’Assemblée. Il a mis en exergue le manque de vision et de perspective qui a été à la base de son élaboration.

Le député Mamadou Diop Decroix a impitoyablement descendu en flammes le projet de budget 2018 présenté aux députés par le ministre de l’Economie, des finances et du plan. Il estime, de manière générale, qu’«il faut donc définir un modèle alternatif de développement qui change complètement la base de notre économie en prenant comme priorité le secteur primaire (agriculture, pêche, élevage) judicieusement articulé aux autres secteurs».
Pour contredire les chiffres présentés par les services du ministre des Finances (Mef), Decroix a indiqué qu’«en avril 2012, au moment de la passation des pouvoirs entre le Président Sall et son prédécesseur, le baril de pétrole était au-dessus de 120 dollars américains. Un an après le lancement du Pse (Plan Sénégal Emergent), exactement en décembre 2015, le baril de pétrole est tombé à 40 Usd soit une baisse drastique de près de 70%. Autrement dit, si en avril 2012 l’on achetait le pétrole à 1000 Cfa le baril, en décembre 2015, on l’achetait à 300 Cfa». D’autre part, «l’encours de la dette était relativement faible au regard des normes Uemoa : 34% du Pib en 2011».
Ces deux facteurs ont à ses yeux, constitué un environnement extrêmement favorable pour le Sénégal, lorsqu’on analyse les agrégats macro-économiques d’aujourd’hui. Mais le gouvernement ne semble pas en avoir tenu compte. A tout le moins, il ne parle pas de ces deux facteurs.
Ce qui fait, analyse le député de l’opposition, membre de la coalition gagnante Wattu Senegaal, que «les énormes masses financières qui ont pu être préservées suite à cette tendance baissière du baril de pétrole dans les conditions d’un endettement assez faible, n’ont pas été recyclées dans les circuits économiques comme le voudrait une véritable approche de développement, mais capturées par l’Etat au détriment des autres agents économiques que sont les entreprises et les ménages. Ceux-ci auraient pu profiter de cette baisse substantielle des prix des hydrocarbures qui aurait assurément affecté tous les secteurs de l’économie, pour relancer un tant soit peu la consommation, la production et l’emploi».
Dans ces conditions, si l’on peut se féliciter de la projection du taux de croissance à 6,7% du Pib, on peut relever, comme l’invite M. Diop, que la «qualité de notre croissance n’est pas bonne parce qu’extravertie, tirée par des moteurs comme les télécommunications ou les services financiers qui ne changent pas la qualité de vie des populations. Voilà pourquoi la pauvreté prend l’ascenseur tandis que la croissance prend les escaliers». Pour étayer ses affirmations, il indique que «dans tous les départements, la plupart des ménages n’ont pas 3 repas/jour. Le taux de pauvreté est en fait reparti à la hausse, puisqu’il était descendu jusqu’à 41% pour remonter à 56% aujourd’hui». A Mamadou Ba, il affirme que la croissance tant vantée ne génère ni emplois ni revenus à des niveaux qui devraient lui correspondre.
Loin de vouloir clore le débat sur le niveau d’endettement du Sénégal, le député de l’opposition persiste en disant que «selon les informations disponibles, le Sénégal est le pays le plus endetté de l’Uemoa et les intérêts de la dette sont payés par de nouveaux emprunts». «Jël bukki suule bukki.» «Leb bor ngir fey bor.» S’adressant au ministre Mamadou Ba, il dit, «selon vos propres chiffres, nous avons un service de la dette de 840 milliards en 2018. Ainsi nous allons devoir débourser 2 milliards 300 millions Cfa chaque jour du 1er janvier au 31 décembre 2018 pour rembourser des dettes. Votre rythme d’endettement est trop rapide, sans compter que la qualité de la dette est plutôt douteuse. De 34% en 2011, vous êtes passés à 60% en 2017 soit plus de 5 points du Pib par an. Si ce rythme devait être maintenu, dans deux ans nous atteindrons la barre des 70% qui constitue le plafond d’endettement selon les critères de convergences de l’Uemoa».
Mais où va tout l’argent du budget ? Les chiffres de Decroix sont nets et accusateurs : «760 milliards en 2017 alors que la pauvreté augmente c’est trop ; surtout au vu des emplois politiques dans la masse salariale. L’exemple des enseignants qu’on pointe du doigt à toutes les occasions mérite qu’on s’y arrête : 80 000 enseignants perçoivent 266 milliards là où 39 000 autres agents consomment 320 mil­liards cfa. Parmi ces derniers, beaucoup sont des em­plois politiques avec des con­trats spéciaux et des salaires fa­ra­mi­neux.»
De plus, le niveau d’investissement est trop faible pour permettre d’émerger : seulement 23%. Les pays qui aspirent réellement à émerger ont des taux d’investissement qui oscillent entre 35 et 40%.
Toute son analyse permet à M. Diop de dire au ministre et à son gouvernement qu’ils n’ont pas de vision ni d’orientation stratégiques. Ce qui ne pourra avoir pour conséquence que plus de pauvreté et de précarité.
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