Le pénitencier de Kédougou, où étaient emprisonnés Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye, Ibrahima Sarr et Alioune Tall, garde des souvenirs de l’histoire politique sénégalaise et aurait pu devenir un grand centre touristique comme Robben Island en Afrique du Sud.
La Maison d’arrêt et de correction de Kédougou, nichée en face de la gendarmerie de cette commune, située à plus de 700 km de Dakar, est chargée d’histoire. Elle est un témoin de la vie politique tumultueuse du Sénégal post-indépendance. Un vestige de ce passé récent qui a marqué la lutte politique entre Senghor et Dia. Ce dernier a été arrêté en 1962, condamné à perpétuité pour tentative de coup d’Etat et envoyé à Kédougou en 1963 où il est resté pendant 11 ans. La Mac de Kédougou est une prison classique sénégalaise : Elle est dans un état de délabrement avancé et garde encore jalousement des «souvenirs» de ses plus illustres détenus : Mamadou Dia et les ministres Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye, Ibrahima Sarr et Alioune Tall. De loin, on aperçoit des poteaux entourés de grillages et autres barbelés, protégés par un mur. Ce sont les stigmates d’une prison où furent déportés les opposants à Senghor. «Ce n’était pas les seuls dispositifs. A l’époque, il y avait des lampions pour guetter les moindres mouvements. J’habitais dans le quartier, mais nous n’osions même pas nous approcher de la prison. En ce moment, je n’étais pas encore responsable ici», témoignait Baïla Cissokho en 2012. C’était une prison de haute sécurité. «Ces détenus n’étaient pas n’importe qui. Ils étaient accusés d’avoir tenté un coup d’Etat contre le Président Senghor. Peut-être qu’il craignait que des gens cherchent à les libérer», dit-il. Mais cette Mac n’a pas les mêmes plans que Rebeuss construite pour garder des détenus de droit commun. Il s’agit de villas qui ont été transformées en cellules pour accueillir l’ex-président du Conseil perdu par une dualité au sommet de l’Etat, selon la version officielle de l’époque. «Ce lieu était prévu pour accueillir les premières Habitations à loyer modéré (Hlm) de la ville. C’est l’ancien ministre Mady Cissokho qui avait suggéré à Senghor d’y envoyer ces détenus», explique M. Cissokho qui profite de sa retraite à Kédougou. L’architecture a été refaite pour recevoir ces illustres «hôtes» dans cette ville austère. Il dit : «A l’époque, la prison était divisée en quatre secteurs et il n’y avait aucun contact entre les prisonniers. Un couloir séparait Mamadou Dia de ses camarades d’infortune.» Avant ses souvenirs de régisseur, sa mémoire de gamin a entassé quand il faisait le tour des rues de Kédougou, sorti de l’anonymat par cette affaire au lendemain des indépendances. Qu’avez-vous retenu ? «En 1963, je venais de fréquenter l’école. Aussi j’avais 7 ans et c’était l’âge de raison et j’ai quelques souvenirs que je garde jusqu’à présent sur Mamadou Dia, prisonnier politique à Kédougou. Je savais que là-bas était bien gardé. Il y avait de la sécurité totale tout autour de l’établissement. Il y avait les militaires qui étaient chargés d’assurer la sécurité. Donc, la prison était entourée aussi en dehors du mur des fils de fer barbelés. Tout autour de l’établissement, il y avait au moins deux grippes dont la grille Est et la grille Ouest où certains agents étaient pour se reposer pendant que les autres faisaient le tour de garde. Maintenant, pour ce qui est de l’intérieur avant même que je ne quitte la direction de cet établissement, j’avais la chance de visiter l’appartement de chaque prisonnier politique», a témoigné Baïla Cissokho, natif de Kédougou et ancien directeur de la Maison d’arrêt et de correction de la localité.
Que deviennent les cellules de Dia et Cie ?
Que reste-t-il de leur passage dans cette prison ? La villa où était détenu Valdiodio Ndiaye sert de bureaux à l’Administration pénitentiaire et celles de Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall sont occupées en partie par le chef de poste de la prison. Le reste du bâtiment abrite les prisonniers de droit commun. Quid de l’ancienne cellule de l’ex-président du Conseil ? «Le bâtiment est en ruine, il est inoccupé, les mauvaises herbes ont poussé. Le plafond a complètement cédé alors que les murs sont en pleine décrépitude, des gravats obstruent l’accès», explique-t-on. Un pan de l’histoire s’effondre. «Quand j’étais de passage dans l’établissement où était gardé Mamadou Dia, j’ai trouvé un endroit destiné à garder des détenus politiques. Il n’y avait pas de détenus de droit commun, mais des prisonniers politiques dans ce centre pénitentiaire. Après leur libération, le pénitencier a été transformé en Camp pénal, enterrant en même le mythe qui devrait entourer un lieu aussi légendaire que populaire.»
A l’époque, raconte-t-il, la vie était agréable, les détenus avaient aussi des occupations ludiques. De toute façon, le mal était déjà fait, car ils avaient été éloignés du cœur de l’Etat après le triomphe de Senghor. «Vraiment, ils étaient bien traités. C’était des locaux de type Hlm. Les gens en ont fait une prison de monstre, mais ce n’était pas ça réellement. Et chacun était dans son secteur, vivait paisiblement. Peut-être ce qu’il faut dire, ils étaient isolés. Mais on a trouvé beaucoup d’arbres fruitiers là-bas qu’ils ont planté eux-mêmes. Il y avait des manguiers, des citronniers. Et nous, quand on venait pour s’installer là-bas à l’époque, nous avions trouvé ces arbres. Donc, ils n’avaient pas perdu de temps, ils faisaient des occupations eux-mêmes. Ils mangeaient bien, leur nourriture venait chaque vendredi de Dakar. Sur le plan de l’électrification, il y avait leur groupe électrogène propre. Et il n’alimentait que l’établissement qui n’a rien à voir avec celui de la ville», dit Baïla Cissokho qui est le seul à avoir accepté de partager son expérience.
Transformé en Maison d’arrêt et de correction, on lui a privé d’avoir le même écho dans l’imaginaire populaire que Robben Island où fut emprisonné pendant 27 ans Nelson Mandela du temps de l’apartheid. Ou d’Alcatraz, aujourd’hui une véritable attraction touristique. Ce sont de hauts lieux de pèlerinage qui attirent des millions de touristes. «C’est une question de culture, de l’histoire du Sénégal. Tout le monde doit requérir cela. Maintenant, ça dépend des conservateurs de l’histoire de notre pays. C’est à eux d’avoir l’idée de la préserver. Leur histoire a tellement marqué notre pays, de l’indépendance et de la vie politique sénégalaise. J’aurais souhaité effectivement qu’il ait un passage dans notre vie. J’ai reçu pas mal de personnes. Des magistrats et des historiens qui ont toujours visité les lieux. Ça pourrait bien être un lieu de passage pour s’enrichir sur le plan culturel, social, politique et économique», suggère Baïla Cissokho, natif de Kédougou et ex-régisseur de la Maison d’arrêt et de correction de Kédougou.
Chef de son Cabinet, Roland Colin, interrogé par Rfi, raconte comment les opposants de Mamadou Dia ont réussi à faire tomber son gouvernement. Ça a un poids pour l’histoire : «Les opposants forment une coalition comprenant trois composantes : les firmes de commerces internationaux, les grands marabouts sénégalais et le personnel des administrations. L’objectif est de faire renverser le gouvernement avant la troisième année, en déposant une motion de censure par les députés qui s’opposent à la politique de Dia. Entre-temps, Senghor avait pris les fonctions de président de la République. Dia était toujours chef de gouvernement et pouvait orienter le gouvernement avec la confiance de Senghor qui pouvait arbitrer en cas de crise. La gestion de Dia est critiquée. Il reprend contact avec certains dirigeants venant des pays de l’Est, notamment la Yougoslavie dont le principe d’autogestion l’intéresse. Les ennemis de Dia intoxiquent Senghor, car le socialisme de Dia mènera au communisme qu’on lui présente comme une destruction pour l’Afrique. On fait croire à Senghor que Dia est en train de monter un complot contre lui pour transformer le Sénégal en République islamique. Progressivement, Senghor va se laisser envahir par cette idée.» Il raconte que Senghor s’était installé dans un protocole «élyséen», si bien que Dia n’avait plus le même accès à Senghor qu’auparavant pour discuter simplement. Quid de sa détention ? Comment Dia a-t-il supporté ses douze années de détention ? «Ses conditions de vie étaient très dures. Il a tenu le choc moralement et spirituellement en le prenant comme une épreuve humaine et métaphysique. Une mission vis-à-vis de son Peuple. J’ai beaucoup admiré sa force morale et sa sérénité. Dia a été séparé de ses cinq compagnons avec qui il n’a eu aucun contact pendant ces douze ans. Chacun dans son pavillon. Il a vécu dans une grande solitude et il ne pouvait recevoir de visite qu’une fois par trimestre. Il est sorti de ces longues années d’incarcération avec une volonté de liberté totale», dit Colin qui rappelle que Dia avait refusé toute demande de grâce ou une éventuelle libération conditionnelle. Il explique : «Je continue d’écrire régulièrement à Senghor sans réussir à faire avancer les choses. Et un jour, Senghor me fait venir à Dakar. Il me demande de porter le message suivant : ‘’J’ai décidé d’envisager la libération de Dia à condition qu’il fasse l’engagement par écrit de renoncer à faire de la politique’’. Je me charge de faire l’intermédiaire et Senghor me permet de rencontrer secrètement Dia en prison. Je revois Dia en 1972 et lui expose les exigences de Senghor. Et il me dit qu’il considère la politique non pas comme un droit, mais aussi comme un devoir. Il me dicte un texte que je remets à Senghor dans lequel il lui dit préférer ‘’vivre libre en prison plutôt que d’être prisonnier dehors’’. La lettre est transmise au cabinet de Senghor qui estime que Dia fait sa mauvaise tête.» Il donne les détails des conciliabules diplomatiques : «Entre-temps, Dia souhaite que son message soit connu et me demande que sa lettre soit envoyée à Houphouët-Boigny, alors Président de la Côte d’Ivoire. La réconciliation entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire bat son plein. Senghor fait son voyage de réconciliation à Abidjan et invite Houphouët à Dakar. Houphouët-Boigny appelle l’ambassade du Sénégal et dit qu’il accepte à condition que Dia sorte de prison. Senghor reçoit le message et les négociations se rouvrent pour faire sortir Dia de prison. Un compromis est trouvé. Nous sommes en 1974.»
L’histoire d’un géant
Ce séjour ralentira la carrière politique de Mamadou Dia, un géant de l’histoire du Sénégal. Un homme toujours célébré et qui est décédé à l’âge de 98 ans, le 25 janvier 2009. Diplômé de l’Ecole normale William Ponty où était formée la crème africaine à l’époque de la colonisation, Mamadou Dia a occupé différents postes durant sa jeunesse : Grand conseiller de l’Afrique occidentale française (1948), sénateur (1949-1955), député à l’Assemblée nationale française (1956) en même temps que Léopold Sédar Senghor. Grands amis, ils créèrent en 1948 le Bloc populaire sénégalais (Bps), puis en janvier 1957, le Parti de la convention africaine (Pca) qui se battait pour un Etat fédéral en Afrique. Cette fusion des idées avait poussé les deux hommes à expérimenter une gestion collégiale au sommet de l’Etat. Dia était président du Conseil, gérait les questions de développement économique. Senghor était président de la République, en charge de la politique extérieure. Un duo qui vire à une dualité qui va secouer les fondations du jeune Etat sénégalais. Jusqu’ici fraternelles, les relations entre les deux hommes deviennent conflictuelles. Senghor l’accuse de tentative de coup d’Etat en décembre 1962. Dia rétorque : «On ne fait pas un coup d’Etat quand on détient le pouvoir.» C’est justement ça le problème. Le natif de Khombole est attrait devant la Haute cour de justice, condamné à perpétuité et emprisonné à Kédougou avant d’être libéré en 1974 par grâce présidentielle. Après cette période, le Président-poète renforce son pouvoir en mettant un présidentialisme fort. Ecrasant même, qui prospère encore.
A sa sortie de prison, il n’avait pas rendu les armes. Il s’oppose à son ex-allié qui va donner le pouvoir à Abdou Diouf qui le battra lors de la Présidentielle de 1983. Sous les couleurs du Mouvement démocratique populaire (Mdp), il ne réussira pas à barrer la route à Diouf qui restera au pouvoir pendant 19 ans. Après cet épisode, il fusionne son parti avec la Ligue communiste des travailleurs (Lct) pour mettre sur pied le Mouvement pour le socialisme et l’unité (Msu). 1983 restera sa dernière tentative de conquérir le pouvoir suprême. En 1988 et en 1993, le grand Mawdo soutiendra Landing Savané à l’élection présidentielle. En 2000, il assistera à la chute de Abdou Diouf en appuyant la candidature de Me Abdoulaye Wade (qui faisait partie de ses avocats lors de son procès) soutenu par les leaders de l’opposition. Wade proposera même la révision de son procès qui n’aura jamais lieu. A cause de leur différend ? Homme libre, le patriarche et Wade ne s’accordaient pas sur la gestion du pays. Il le disait à travers des contributions publiées dans les journaux. Cet homme «rigoureux, patriotique et pieux» laisse un héritage politique aux nouvelles générations. Mais une partie est restée à l’intérieur de la Mac de Kédougou qui aurait pu devenir un grand musée.
Le gouvernement parie sur le tourisme culturel pour promouvoir la destination Sénégal
Le ministre du Tourisme et des transports aériens, Alioune Sarr, et son homologue en charge de la Culture et la communication, Abdoulaye Diop, ont signé jeudi, selon l’Aps, une convention visant à mutualiser leurs moyens afin de promouvoir la destination Sénégal à travers le tourisme culturel. Selon Alioune Sarr, cette convention va porter sur «quatre directions fortes» sur lesquelles les services des deux ministères vont commencer à travailler dans les meilleurs délais. Il s’agit de «la valorisation de l’offre du patrimoine matériel et immatériel et des activités créatives, la promotion de la destination Sénégal à travers un agenda culturel très précis de janvier à décembre, la mise en synergie des documents et des archives sur les sites touristiques», a-t-il dit. S’y ajoutent «l’inscription dans les six pôles touristiques d’une offre ancrée dans l’histoire et la culture de notre pays et la définition de circuits touristiques et culturels de sites et monuments de notre pays». Pour ce faire, les deux parties ont «prévu déjà, le 19 du mois de septembre, d’être à Gorée pour également visiter, mais surtout prendre des décisions pratiques», selon Alioune Sarr. Le patrimoine culturel «est un énorme potentiel pour le développement du tourisme», a pour sa part noté son homologue Abdoulaye Diop. A en croire le ministre de la Culture et de la communication, même si «la mise en produits touristiques des biens du patrimoine culturel est du ressort des professionnels du tourisme (…), le ministère de la Culture et de la communication a l’obligation d’identifier, de préserver et de promouvoir les biens culturels majeurs». Dans la convention, a-t-il dit, «la culture va ainsi offrir une gamme variée de produits d’appel du tourisme culturel qui vont alimenter les revues, les publications touristiques et le portail de la destination Sénégal». Sur ce point, il a annoncé qu’un «plan d’action à court et moyen terme devra être élaboré par les services techniques respectifs pour une mise en œuvre rapide et opérationnelle de cette convention». Selon Abdoulaye Diop, «le Sénégal, héritier d’une longue tradition en gestion et valorisation de son patrimoine culturel, compte aujourd’hui près de 386 sites et monuments historiques classés sur la liste nationale que sont les lieux de mémoire et de culte historiques, les sites archéologiques, l’architecture traditionnelle ou coloniale etc.» Sans compter «les 7 sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco : l’île de Gorée, Saint-Louis, les Cercles mégalithiques de Sine Ngayène et de Wanar, le Delta du Saloum, les Paysages culturels du pays bassari, les Parcs nationaux de Niokolo-Koba et de Djoudj». «Nous avons également les richesses exceptionnelles du patrimoine culturel immatériel à travers les pratiques, les rites, les savoirs et savoir-faire, la musique, la vêture, la parure qui forgent l’identité culturelle. Le kankourang et le xooy ont été inscrits sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’Unesco», a-t-il ajouté. Selon lui, «tous ces éléments montrent combien la culture peut contribuer à la diversification de l’offre touristique».