Angela Merkel, parcours d’une Femme d’Etat

Désignée comme la femme la plus puissante du monde à 14 reprises par le magazine Forbes, Angela Merkel a dirigé la plus grande puissance d’Europe pendant 16 années ; poste auquel pourtant rien ne l’avait prédisposée. Elle le souligne dans ses mémoires parus en novembre 2024 : «Que je puisse jouer un rôle dans une Allemagne réunifiée était au-delà de ce que je pouvais imaginer.»
Ses débuts
Elle débute une carrière de scientifique après l’obtention d’un doctorat en Chimie quantique dans une Allemagne divisée. Ce choix n’est pas anodin. C’était une décision politique, une sorte de rébellion, une manière de dire que même en Rda, il était possible de prendre des décisions parce que convaincue que dans les sciences, deux et deux font quatre, alors que dans la philosophie, la croyance ou la politique, deux et deux peuvent faire cinq. Ce choix pour les sciences dures était hautement symbolique, il lui permettra plus tard de ne pas occuper un poste subalterne, de travailler dans un domaine où l’intelligence était nécessaire et, surtout, de ne pas recevoir d’injonctions.
La lecture de cet ouvrage qu’elle intitule «Liberté» et long de presque 700 pages, peut être difficile pour beaucoup de lectrices et lecteurs francophones, car il y a beaucoup d’acronymes allemands qui nuisent à la fluidité et au caractère intelligible du texte. Elle peut être aussi décevante pour celles et ceux qui s’attendent à en savoir davantage sur la vie personnelle de Mme Merkel. Le livre laisse peu de place aux sentiments et aux émotions personnelles. Dans l’ouvrage, Angela Merkel relate, avec la discrétion majeure qu’on lui connaît, sa vie de fille de Pasteur luthérien, éduquée sous la dictature en Rda. Elle se demandait sans cesse si sa vie allait se résumer à une carrière scientifique, elle avait le sentiment d’être dépossédée de quelque chose à laquelle elle et tous les citoyens vivant sous la dictature avaient droit, et ce droit était la «Liberté». Instinctivement, elle a su que pour réparer cette injustice, la science avait peu d’importance, car l’avenir n’était que politique. Elle n’est donc entrée en politique qu’après la fin du rideau de fer, gravissant méthodiquement les échelons de l’Union chrétienne-démocrate, la Cdu. Dotée d’une grande rigueur intellectuelle, d’une grande capacité de travail, elle a su se faire remarquer par les cadres de la Cdu, notamment Helmut Kohl qui la prend sous son aile.
En campagne pour être députée à 36 ans, Angela Merkel répondait toujours aux revendications des citoyens par «je prends note», et sans rien promettre à personne, elle a su convaincre tout le monde. En 1991, elle est non seulement élue députée, mais aussi ministre fédérale des Femmes et de la Jeunesse. Elle n’hésitera pas à utiliser la vanité des hommes, et ce fut le cas avec Helmut Kohl. Elle n’a pas hésité à pousser Kohl à la sortie quand celui-ci avoua avoir reçu des dons à l’insu de son parti, en violation de la loi fondamentale allemande. C’est aussi contre le groupe à Friedrich Merz, l’actuel Chancelier, qu’elle prit la direction du parti en 2000 et deviendra, 5 années plus tard, la première Chancelière de la République fédérale d’Allemagne, grâce à un mélange de talent organisationnel, de flair stratégique et de patience. Et ceci surtout, face à un concurrent qui l’avait beaucoup sous-estimée.
Angela Merkel
est-elle féministe ?
A cette question, elle dit qu’elle ne saurait répondre ni par oui ni par non. Elle a certainement été prise pour modèle quand elle a été la première femme à accéder à la plus haute fonction de l’Etat. Comme ministre des Femmes et plus tard comme Chancelière, elle s’était engagée en faveur d’une loi sur l’égalité des droits. Elle a surtout travaillé pour améliorer la compatibilité entre la vie de famille et la vie professionnelle dans l’Administration et les tribunaux fédéraux. Elle a aussi pourvu «les postes-clés à la Chancellerie pour moitié de femmes» à l’instar de Mme Ursula von der Leyen, actuelle présidente de la Commission européenne, qui fut sa ministre de la Défense.
D’ailleurs, c’est sur Eva Christiansen, sa Conseillère politique et rédactrice de ses discours, et Béate Baumann, sa cheffe de Cabinet durant tout le parcours et avec qui elle a co-écrit cet ouvrage, qu’elle s’appuie pour parvenir au sommet dans ce monde de mâles ; elles seront d’un soutien indéfectible dans son ascension, notamment Béate Baumann à l’endroit de laquelle elle dit : «Sans Béate Baumann, je n’aurais guère pu mener le parcours politique qui a été le mien.»
Elle était donc une féministe modérée, dotée d’une ferme détermination et qui savait s’imposer et imposer ses arguments dans une société dominée par les hommes. La lutte pour une plus grande implication des femmes n’est pas pour elle un combat radical contre les hommes.
La césure !
Mme Merkel est une Européenne convaincue de la maxime selon laquelle : «Nous sommes plus forts quand nous travaillons ensemble.» Dans le livre, elle est revenue en détail sur la gestion de la crise financière de 2008, celle de la dette grecque ou encore la crise migratoire de 2015. La mise en œuvre du plan de sauvetage de la Grèce est à mettre à son actif. Car l’Allemagne endossa la plus grande part de l’aide prévue pour maintenir la Grèce dans l’Union européenne.
D’ailleurs, l’une des conséquences de sa politique jugée trop européenne est la naissance de l’Afd, le parti d’Extrême-droite. La crise migratoire de 2015 et la décision d’accueillir les réfugiés plombèrent sa politique nationale. Cet épisode est une césure dans ses mandats de Chancelière, pas seulement à cause de l’ampleur de la tâche, mais aussi en raison de la polarisation qu’elle suscita.
Les initiatives couronnées de succès, bien exécutées et motivées par des intentions louables, peuvent avoir un effet inattendu et se retourner contre soi. Les attentats terroristes qui ont suivi l’accueil des réfugiés sont un exemple frappant. En voulant montrer un «visage humain» face à ce drame des temps modernes, elle a exposé son pays à la terreur islamiste, et c’était d’autant plus choquant pour toutes les Allemandes et tous les Allemands qui se sont engagés, sans que rien ne leur soit demandé, dans l’aide aux réfugiés.
Elle a décidé de ne pas se représenter après ces crises susmentionnées. Comme elle le dit, il faut savoir s’arrêter et procéder à temps au questionnement du soubassement de nos actions.
C’est ainsi que le parti d’Extrême-droite, dans un réflexe pavlovien, contribua grandement à la polarisation de la situation pour en arriver aujourd’hui à être la deuxième force politique en Allemagne. La pandémie mondiale du Covid-19 qui s’en est suivie, envenima la situation déjà tendue. Cependant, il est tout à fait aisé de comprendre qu’une partie de l’opinion en Allemagne soit frustrée après la parution de l’ouvrage dans lequel il n’est question ni de regrets ni de remords concernant sa politique migratoire. Mais le livre offre, somme toute, une opportunité intéressante de revisiter l’histoire politique contemporaine et les grands bouleversements de ces dernières années.
Sans lui décerner le titre d’héroïne à la conquête du pouvoir, tout dans son attitude et ses démarches atteste qu’elle s’est efforcée de grimper dans l’échelle sociale, avec méthode, sobriété et discrétion sans doute, plus par instinct que par calcul.
Penda DIENG
Politiste
pendamamadoudieng@gmail.com