De janvier à juin 2024, 196 cas de viol ont été dénoncés dans les 7 boutiques de droit de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs). Des chiffres en deçà de la réalité malgré l’adoption de la loi criminalisant le viol et la pédophilie. Dans le cadre de l’Initiative Kasa du Fonds africain pour le developpement de la femme (Awdf), une rencontre a réuni, ce mardi à Dakar, les associations qui œuvrent dans la lutte contre les violences sexuelles. Par Mame Woury THIOUBOU –
A Kafountine (Sud du pays), les femmes ont vécu dans la terreur pendant des mois. C’est quand l’agression d’une énième victime s’est transformée en meurtre que les Forces de défense et de sécurité vont mobiliser les moyens d’investigation nécessaires pour arrêter l’agresseur. A Dakar, une jeune étudiante tchadienne a fait une chute mortelle après une altercation avec son petit ami. Ces cas de violence ciblant des femmes sont légion dans la presse. Mais il faut y ajouter des cas d’agressions sexuelles comme à Ourossogui où une jeune fille grabataire et incapable de parler a subi un viol suivi d’une grossesse, et on ignore encore l’identité de l’auteur. Ces évènements, survenus en un temps très court, sont le signe d’une situation préoccupante en matière de prévalence des violences contre les femmes au Sénégal. Selon les chiffres partagés ce mardi dans le cadre d’un atelier du Fonds africain pour le developpement de la femme (Awdf) et portant sur l’Initiative Kasa, cette prévalence des violences sexuelles est de 21, 5% au Sénégal. Mais ces chiffres seraient en deçà de la réalité selon Coumba Guèye Ka de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) qui compte parmi les partenaires du projet au Sénégal. Au premier semestre de l’année 2024, les chiffres recueillis par l’Ajs alertent. Selon Mme Ka, les boutiques de droit installées dans 7 des 14 régions du pays ont permis de recueillir des données sur la situation en matière de violences sexuelles. «De janvier à juin 2024, sur 2550 personnes reçues pour toutes les catégories de consultations juridiques, nous avons 500 cas de violence, et sur ces 500 cas de violence, 196 sont des cas de viol.» Pourtant, le Sénégal a adopté une loi criminalisant le viol et la pédophilie. «Une avancée extraordinaire», selon Mme Ka. Mais des défis importants se posent toujours aux associations de lutte contre les violences sexuelles.
L’atelier de ce mardi a permis aux partenaires de l’Awdf de dresser le tableau de leurs interventions, mais aussi de partager leur plaidoyer à l’endroit des autorités du pays. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire le plaidoyer de l’Ajs pour la mise en place d’un fonds d’assistance pour les victimes. En effet, les moyens manquent pour la prise en charge holistique des victimes, ont expliqué les associations intervenant sur le terrain. «L’Etat doit mettre en place un fonds d’assistance pour les victimes de violences sexuelles, comme il en existe un pour les accusés et les prévenus», souligne Mme Ka. En effet, les organisations butent souvent sur le problème du manque de moyens financiers pour apporter aux victimes le soutien médical, juridique, psychologique et social dont elles ont besoin. Dans les débats qui ont rythmé cette journée de partage, il est ressorti que le plus souvent, les victimes de violences sexuelles ne dénoncent pas leur bourreau. Celui-ci, souvent un membre de la famille ou un voisin, bénéficie de la protection de la société et de la cellule familiale. Pour y faire face, la sensibilisation est l’arme la plus efficace. Mais d’autres leviers sont aussi à actionner. Ainsi, la lourdeur des démarches apparaît comme un frein à la dénonciation. Autre problème, la formation des personnels de sécurité et de santé. A cet effet, Mme Ka estime nécessaire de renforcer les capacités des officiers de Police judiciaire pour leur permettre de mener sereinement les entretiens avec les victimes, mais aussi de mener les enquêtes policières dans les délais de 48 à 72h impartis par la loi.
Les organisations partenaires du projet Kasa ont inscrit plusieurs actions de sensibilisation dans leurs programmes. Mais l’association Jgen, qui milite pour l’élimination des violences faites aux femmes, est allée plus loin par l’organisation d’espaces de guérison dans les communes de Fatick et Diouroup, dans le Centre du pays où le taux de prévalence des violences sexuelles est de 42%. Ces espaces de guérison ont permis à une soixantaine de jeunes filles d’interagir avec une psychologue clinicienne.
Amplifier les voix
A travers l’Initiative Kasa, exécutée dans trois pays d’Afrique occidentale, Nigeria, Ghana et Sénégal, le Fonds africain pour le développement de la femme (Awdf) espère briser les tabous autour des violences sexuelles. Pour Amina Harouna du Département partenariat et philanthropie de l’Awdf, la visite de terrain initiée auprès des partenaires subventionnée par le projet et des associations intervenant dans la lutte contre les violences sexuelles permettra de mieux cibler les interventions au Sénégal. Ce, d’autant plus que l’Awdf a constaté que la couverture et la portée de l’Initiative Kasa au Sénégal et dans les pays francophones en général sont limitées dans le cadre des financements. Moins de 9 sur 45 subventions ont été accordées à des partenaires au Sénégal en raison d’un nombre réduit de candidatures pertinentes.
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