Très prisée par la société sénégalaise, la tontine est devenue incontournable pour son caractère fiable et rassembleur. La médaille a aussi son revers. Il s’appelle détournements, abus de confiance, emprisonnements et conflits conjugaux.

C’est désormais le quotidien de beaucoup d’hommes et de femmes. Dans la majeure partie des quartiers de Dakar et sa banlieue, il existe une ou des tontines dans lesquelles les femmes se réunissent par accointance. Cependant, ce genre d’épargne s’effectue sous plusieurs formes. Si certaines préfèrent mettre l’accent sur d’importantes sommes d’argent, d’autres par contre cotisent pour se doter de meubles, bijoux, tissus, ustensiles de cuisine et même des billets pour le Hadj à la Mecque. Généralement, elle est organisée par une femme qui est en de bons termes avec toutes les femmes, aussi bien dans son quartier que dans le voisinage. «Pour mettre en place ma tontine, j’ai effectué un porte-à-porte pour informer toutes les femmes de ce quartier. La majeure partie a répondu favorablement, mais il y en a qui se sont montrés un peu réticentes», a renseigné Daba Diouf, gérante d’une tontine à Yeumbeul, Ben Barack. Chaque samedi, ses copines se réunissent chez elle pour procéder d’abord aux cotisations, puis au tirage au sort. Chacune d’elles verse la somme de 2 500 francs et la gagnante du jour remporte le gain de 175 mille francs Cfa. Il faut savoir aussi que cette épargne se fait sur la base de la confiance mutuelle. Même s’il n’y a pas de textes qui le régissent, les différentes participantes se sont entendues sur les normes. Les retards de cotisation sont sanctionnés. «Si un membre ne cotise pas le samedi, s’il a déjà été tiré au sort, il paie une amende de 1 000 francs. Et s’il n’a pas encore reçu son gain, il est débité de 500 francs», a fait savoir la dame qui affirme n’avoir jusqu’à présent aucun problème avec les membres de sa tontine qu’elle gère depuis cinq ans. Les différentes sommes débitées constituent ce qu’elles appellent «fonds de caisse». Si un des membres a besoin d’argent, il pourra contracter un prêt à partir de cette réserve. Un prêt qu’il rembourse comme suit : si c’est un prêt de 15 mille francs, le bénéficiaire rembourse mensuellement 1 500. Et si c’est 10 mille francs qui sont prêtés, il faut payer 1 000 francs. Tout cela se fait dans le cadre de l’entraide qui anime l’ensemble de ces femmes. Ainsi, la somme restante, après le tour complet, sera équitablement partagée entre les différents membres. La mise sur pied d’une tontine est motivée par un élan de solidarité et d’entraide. Elle permet aux membres d’épargner et surtout d’éviter les longues procédures bancaires.

Tout, dans le but de s’entraider
Ainsi, tout se fait dans la plus grande discrétion et la gérante peut décider de tirer au sort un des membres en cas de besoin. Ce, sans que personne ne s’en rende compte. Naturellement, les efforts de la gérante ne seront pas vains. Après que tout le monde a reçu son gain, un autre tour est organisé et chacune cotise la même somme pour elle. L’objectif principal de ces rencontres est de consolider les rapports entre elles. C’est pourquoi au sein de la tontine, chaque membre a une «Nday dické», c’est-à-dire une sorte de jumelle. Ainsi, à chaque fois qu’une d’entre elle est tirée au sort, elle achète un tissu qu’elle partage avec sa jumelle. Et vice-versa.
Il faut savoir aussi que dans la banlieue, la majeure partie des tontines sont créées pour répondre au problème de la pauvreté. N’ayant pas souvent les moyens de se payer certains biens mobiliers (meubles, lits, bijoux…), les femmes se cotisent pour les acheter. A la fin de chaque tour, elles décident de tirer un des leurs au sort, ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde en obtienne.
Il faut toutefois savoir aussi que d’autres formes de tontine existent : la «Sanni jamra». Pour cette formule qui est exclusivement réservée aux femmes, il existe une grande différence avec la première. En plus de la somme à cotiser chaque semaine, il faut en ajouter le produit de son choix. Celui-ci peut être des légumes, les ustensiles de cuisine, de l’encens et même des bonbons. Tout est permis, mais le produit choisi doit être conforme aux besoins de la femme dans son ménage ou dans son quotidien. «Pour le moment, ce n’est pas encore une grande tontine. J’ai essayé de réunir toutes les filles de mon quartier. Nous nous rencontrons chaque mardi chez moi pour tirer au sort un membre et lui donner tout ce qu’on a rassemblé», a expliqué Rama Mbaye de teint clair et avec un air très jovial. Elle vient tout juste de mettre sur pied sa petite tontine. Ce genre de tontine ne requiert souvent pas une déclaration préalable à la police, car toutes les participantes se connaissent très bien et entretiennent de très bonnes relations au quotidien.

Tout le monde s’y met
Toutefois, la tontine a atteint aujourd’hui des proportions importantes et se propage un peu partout. L’ascension du phénomène est favorisée par la fréquentation. Ainsi, dans les classes, les salons de coiffure et partout où les gens se rencontrent quotidiennement, il y a une ou des tontines dans le but d’épargner et de s’entraider. Les terminus des bus ne sont pas en reste et chaque ligne détient son propre système d’épargne, organisé à sa guise. C’est notamment le cas des lignes 30 et 42 de Gadaye, à Guédiawaye. Depuis plus d’un an maintenant, les chauffeurs et receveurs de ces deux lignes se sont constitués en tontine. «Chaque jour, chacun cotise 1 000 francs et au bout de 10 jours, un membre est tiré au sort», a renseigné «Baay Fall», vendeur de café Touba et trésorier de ladite tontine. Toutefois, tous les membres sont libres et celui qui en a la possibilité peut cotiser doublement. Et à la fin, son nom sera tiré à deux reprises. La durée peut varier et un tour peut s’étaler sur plus d’un an. Cela dépend du nombre de participants. L’élan de solidarité recherché dans les tontines ne s’arrête pas là. «Quand un des membres a un baptême, deuil ou mariage, pour l’aider à bien le préparer, ils cotisent chacun 1 000 francs. Mais cette cotisation n’est pas obligatoire», renchérit Modou Café.
Autre catégorie, les élèves. Certains collégiens ont même adopté le système. Dans les classes, un élève (généralement une fille) se charge de la collecte et de la redistribution, mais pour la plupart du temps, ça tourne mal et des divergences surgissent à la fin. Soit c’est la gérante qui s’empare du trésor, soit ce sont les membres qui refusent de cotiser. Ainsi, ceux qui sont lésés ne pourront pas rentrer dans leurs fonds, faute de cadre légal.

Lorenzo Tontini, le précurseur
L’idée émane de l’Italien Lorenzo Tontini. La tontine (dérivé de son nom de famille) est un moyen d’épargne informel qui échappe toujours, sinon très souvent, aux lois bancaires et au contrôle du fisc ; d’où son caractère illicite. Mais c’est une activité qui, pourtant, a pris de l’ampleur de nos jours. Elle se pratique dans toutes les sociétés depuis 1689. La donne s’est perpétuée au fil des années et des générations. Beaucoup de familles se sont servies de cette méthode pour s’offrir des maisons ou autres luxes. A Lansar, le phénomène a pris son envol en 1964. A cette époque, les notables cotisaient mensuellement 40 francs Cfa auprès du chef de quartier. Au bout de quelques années, la caisse a permis l’acquisition de plusieurs terrains au profit des différents membres. Il est impossible de faire l’historique des tontines sans parler du mouvement Arafat, créé par Dior Diop. Une organisation qui s’active annuellement dans le tirage des billets pour les Lieux saints de l’islam au profit de ses membres qui cotisent régulièrement. Ils étaient au début une dizaine. Aujourd’hui, leur nombre gravite autour de 45 mille. Plusieurs membres se sont inspirés de cette association pour mettre en place des tontines dans leurs localités respectives.