Après 45 ans d’exploitation, Mbeubeuss étouffe Malika

Monsieur le président de la République,
Ces temps derniers, on parle beaucoup d’environnement avec la Cop 21, 23 et de la qualité de l’air. C’est pour moi l’occasion d’attirer votre attention et d’alerter sur un fait grave que nous vivons au quotidien à Malika et environs. En effet, Malika abrite l’unique décharge de la région du Cap Vert. Depuis plus de 45 ans, il reçoit toutes les ordures de Dakar. Le site est plein depuis longtemps, mais il continue de recevoir chaque jour des centaines de tonnes d’ordures. Faute d’espace, ces ordures sont entassées et brûlées en permanence dans le lit du lac Mbeubeuss, dégageant ainsi des fumées et des particules suspendues dans l’atmosphère. Les mauvaises odeurs, la fumée et la poussière se répandent dans les environs à plusieurs kilomètres, suivant la direction du vent et celles-ci sont inhalées en permanence, depuis des décennies, par les populations.
A ces facteurs s’ajoutent d’autres éléments de pollution qui aggravent le problème ; les voiries urbaines qui drainent les eaux de pluie usées de Yeumbeul et Bene Baraque vers l’ouest de Malika ont détruit l’écosystème du lac Wouye et vers l’est, les eaux de Keur Massar sont versées dans ce lac, et le lac Mbeubeuss. L’augmentation du trafic routier avec l’ouverture de la Vdn 2 sont tant de facteurs qui font qu’aujourd’hui Malika et environs ont largement dépassé le seuil de pollution en-dessous duquel la santé des populations est préservée. Et ce, depuis des années. Les fumées sont visibles toute la journée et au matin elles ressemblent à un brouillard. Les études techniques réalisées par des organismes nationaux et internationaux habilités ont montré que depuis très longtemps, Mbeubeuss a atteint un niveau de pollution tel que la santé des populations environnantes est gravement menacée.
La décharge est polluée par des ordures ménagères et des déchets des privés sauvagement déposés. Ainsi le sol, l’air et l’eau sont gravement contaminés par des types de polluants plus dangereux sur plusieurs kilomètres, suivant la direction du vent et du ruissellement de l’eau. Aujourd’hui, au lieu de trouver la solution radicale à ce problème, on assiste plutôt à l’implantation dans le site d’unités industrielles asiatiques qui travaillent dans des conditions que nous ignorons. Certaines de ces unités récupèrent du plastique qu’elles refondent. Et tout le monde sait que le plastique, en brûlant, dégage une odeur nuisible et des particules en suspension dans l’atmosphère. Les populations environnantes sont confrontées à des problèmes de santé causés par cette décharge qui représente une grosse bombe écologique au sein de la capitale, Dakar. Ces constats sont confirmés par les statistiques des centres de santé locaux.
En effet, les Infections respiratoires aiguës (Ira) sont les maladies les plus répandues dans la zone. Elles sont la première cause de consultation à Malika et dépassent très largement les autres maladies les plus fréquentes (diarrhées et dermatoses) qui, elles aussi, sont liées à cette pollution chronique. Les paysans et les aviculteurs subissent aussi les effets néfastes de cette décharge, liés à la consommation de l’eau de puits qui est toujours utilisée dans la zone.
Sans s’en rendre compte, beaucoup de gens souffrent des conséquences qui ont pour noms rhume, toux, irritation oculaire, difficultés respiratoires, risque de cancer pulmonaire, diarrhées et dermatose… Certaines personnes, ne pouvant plus supporter ce fléau, ont été obligées de déménager vers d’autres villes où l’air est plus sain. Par exemple, dans les écoles environnantes (Zone de recasement élémentaire et moyen), les élèves et le personnel enseignant sont confrontés aux mêmes problèmes qui, d’année en année, augmentent.
A ces maux s’ajoutent les dégâts sociaux, les accidents mortels et les incendies liés à la proximité des habitations «qui sont pieds dans les ordures» sans qu’aucune mesure d’accompagnement n’ait été mise en place pour pallier cela. Le poste de santé de Malika, qui date de 1952, est le plus vieux de Dakar. Avec son architecture coloniale, il ne compte que six pièces seulement.
Aujourd’hui, l’Etat a restructuré le secteur. Ainsi, la gestion des ordures passe de Cadak-Car à l’Ucg, avec un budget de plusieurs milliards, afin qu’elle se débrouille pour rendre Dakar plus propre ; ce qui rendra forcément Malika plus sale et plus malade.
Ce qui nous inquiète, c’est que la gravité du problème ne semble pas préoccuper réellement les autorités. Nous avons saisi les structures en charge de gestion des urgences environnementales (Cgue) pour leur signaler le problème. En l’occurrence, je me suis adressé à un responsable, mais ce dernier, qui a enregistré mon appel, me posa une étrange question qui confirme mes propos. Il me demandait «si Malika se trouvait dans Dakar», car les cinq (5) centres de mesure de la qualité de l’air dont le Sénégal dispose sont uniquement concentrés dans Dakar département (Cathédrale, Bel-Air, Médina, Hlm, et Yoff).
J’ai consulté les traités et accords de l’Assemblée nationale, les projets en cours au (Cgue), au Cese, le discours de politique générale du Premier ministre, le budget de 2018, et le Pse qui est actuellement le document de référence du Sénégal pour les années à venir. Mais nulle part le problème de Mbeubeuss n’a été posé dans un quelconque des documents cités. Ce qui veut dire que nous ne devons pas espérer une solution dans un proche avenir, parce qu’en politique, quand on veut réaliser un projet dans le futur, on en parle en amont, avant même l’étude et la réalisation effective.
Il semblerait que les politiques s’intéressent davantage aux seuls projets (rentables), avec des retombées financières certaines plutôt qu’aux problèmes à caractère social, comme la santé publique et l’environnement. En effet, la volonté et le courage politique, en plus des moyens faramineux qui ont bien permis de réaliser tous ces projets de grande envergure qui ne profitent, en grande partie, et ne servent qu’aux intérêts des étrangers, comme par exemple l’autoroute à péage, le Ter et le nouvel aéroport, qui ont nécessité en plus la démolition de maisons d’autrui et dépossession de propriétés privées, pourtant, il en faudrait, beaucoup moins que cela pour résoudre ce problème épineux de Mbeubeuss que tous les Présidents du Sénégal ont vécu et occulté, de Senghor à vous, en passant par Diouf et Wade.
L’Etat du Sénégal, ayant signé et ratifié le Code de l’environnement, a non seulement le devoir, mais aussi l’obligation de protéger l’environnement, de préserver les ressources naturelles, à savoir la biodiversité. La cohabitation avec la décharge sauvage de Mbeubeuss est et restera pendant longtemps une grave atteinte à l’environnement et à la santé publique.
La fermeture ou modernisation de Mbeubeuss, présentement, est une urgence et une priorité nationale pour l’Etat et les populations environnantes. Nous interpellons les ministères de la Santé, de l’Environnement, le Cese, l’Assemblée nationale et au-delà, Monsieur le président de la République, pour lui dire qu’à Malika et environs les populations souffrent après chaque bouffée d’air. Une telle situation grave de conséquence devait cesser depuis fort longtemps, car elle ne peut plus continuer ainsi. Et il est urgent de faire quelque chose avant que le pire ne se produise. Sinon, c’est un crime à petit feu contre des populations abandonnées à leur sort, synonyme donc de non-assistance à personne en danger. Nous sommes bien conscients de la complexité du problème, mais c’est aussi une question de vie de toutes ces populations, par conséquent prioritaire et qui relève de la responsabilité du chef de l’Etat.
Certes, pour régler un tel problème, il faut beaucoup de diligence, de doigté, de moyens importants, mais surtout encore de courage politique, de responsabilité face à des populations en détresse et cela, Monsieur le président de la République, nous sommes censés croire que vous n’en manquez pas.
On répète à satiété que le Sénégal est un et indivisible. Si cela est vrai, nous devons pouvoir, avec de la volonté affirmée et dans l’intérêt supérieur de la Nation, trouver en nous-mêmes les ressources nécessaires pour les solutions justes et idoines de nos problèmes, quelle que soit leur acuité. Ce que nous devons surtout éviter, c’est de reproduire un second Mbeubeuss, ce qui serait une catastrophe écologique, parce dans toutes les villes modernes, les ordures sont gérées maintenant autrement, et non de cette façon, c’est-à-dire les entasser dans les villes au milieu des populations.
Il faut nécessairement moderniser la gestion des ordures et déchets de manière générale, en les éloignant des populations, mais en les transformant ou recyclant en vue d’une réutilisation possible. Comment ? C’est la grande question à laquelle nous devons trouver une juste solution écologique, mais la solution incombe d’abord à l’Etat qui a la charge de la sécurité et santé publique et aux collectivités locales ensuite. Il est indispensable de créer une ou des usines de traitement des ordures et déchets implantées dans le pays, avec des centres de collecte de proximité dans les villes. Nous admettons que d’autres solutions existent bel et bien, si toutefois l’Etat est résolu à régler le problème efficacement et durablement.
Enfin, cette lettre a un caractère et une portée de devoir citoyen qui incombent à toutes les populations de Malika. Certes la majorité des «forces vives» que compte Malika est très préoccupée par les questions foncières et écologiques, mais malheureusement il en existe d’autres qui ne se battent que pour bien se positionner au sein de l’Apr, ou alors ne s’occupent par égoïsme que de leurs propres affaires, se détournant ainsi de cette question cruciale et lancinante qui concerne toute la population de Malika.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Ndiogou Malick NIANG
Habitant à Malika
niang.siti@gmail.com