Seydou Badian n’est plus. Né à Bamako en 1928, il était écrivain et homme politique malien. Après des études de médecine à l’Université de Montpellier en France, il rentre au pays. Proche du premier Président du Mali, Modibo Keïta, il écrit les paroles de l’hymne national, «Pour l’Afrique et pour toi, Mali». Militant de la première heure de l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (Rda), il est nommé ministre de la Coordination économique et financière et du Plan le 17 septembre 1962. Lors du coup d’Etat de Moussa Traoré en 1968, il est arrêté et déporté à Kidal où il restera sept bonnes années en détention. Auteur de «Sous l’orage» en 1957, Seydou Badian Kouyaté mettra dans les kiosques «Le sang des masques» en 1976, «Noces sacrées» en 1977 et «La saison des pièges». Au crépuscule de sa vie, en parlant de la pauvreté en Afrique, il indexe la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Hommage à un homme qui a donné toute sa vie à l’Afrique !

C’est à la fin de votre 90ème année que vous avez tiré votre révérence. Pour vous rendre un hommage mérité, permettez-moi d’étaler au monde vos regrets, cinquante ans après les indépendances des pays d’Afrique.
Seydou Badian Kouyaté, c’est grâce au doyen Bara Diouf que mon chemin a croisé le tien. Transmettez au «petit-fils de Bour Sine Coumba Ndoffène Diouf» les salutations et prières du «petit-fils du prophète Mohamed (Psl)», comme il avait l’habitude de le dire ! Que le pardon et la grâce d’Allah soient vos compagnons !
Jeune journaliste que j’étais, je préparais un grand dossier portant sur les cinquante ans d’indépendance de la République de Guinée de Ahmet Sékou Touré pour le compte du magazine international Matalana Le Temps de l’Afrique en 2008. C’était un grand plaisir pour moi d’être non seulement témoin de votre amitié avec Bara Diouf, mais également de vous écouter conter l’histoire de l’Afrique avant et après les indépendances.

Les regrets de Seydou Badian
A travers vos échanges, on sentait l’amertume pour ne pas dire la déception que vous aviez de nos dirigeants respectifs. Je vous cite : «Je disais à un ami, nous avons franchi la barre des quatre-vingt ans. Voir ce que nous voyons aujourd’hui, c’est-à-dire la déliquescence de l’Afrique actuelle, nous aurions dû partir avec les autres. Ne pas assister impuissants à la dégringolade de l’Afrique. Des chefs d’Etat obscurantistes et analphabètes. Des chefs d’Etat qui pillent. Des chefs d’Etat qui ne se soucient aucunement des intérêts de leur pays. J’ai lui ai aussi dit : Pourquoi la démocratie en Afrique engendre facilement l’autocratie. Quelque chose que nous ne comprenons pas. Il m‘a dit ‘’oui, on va y réfléchir’’. Regardez la situation en Mauritanie. Un homme a été démocratiquement élu, nous avons tous applaudi. Et voir le comportement que cet homme a eu vis-à-vis de son Peuple, je me suis dit c’est quoi. C’est une malédiction ou quoi ? Comment peut-on relever de leurs fonctions tous les chefs militaires ? Mais c’est un acte suicidaire. Je ne comprends plus. Sur quoi il s’est basé pour faire ça ? Dieu seul le sait. Nous, nous sommes en vie, mais nous souffrons beaucoup de voir certains faits, de voir l’Afrique se perdre, de voir les jeunes braver l’océan atlantique pour partir en Europe, de voir les jeunes s’adonner à la drogue en masse, de voir certains chefs d’Etat africains devenir des points centraux de certains distributeurs de la drogue. Devant tout ce que nous voyons, on aurait mieux fait peut-être de partir. Mais nous avons un devoir, c’est de dire ce que nous voyons. Et d’avoir le courage de dénoncer les maladresses, les distorsions et d’en assumer les conséquences. On ne peut pas se taire. Ce serait de la trahison. On doit parler. Qu’on nous écoute ou qu’on ne nous écoute pas, ce n’est pas notre problème ! Nous devons parler. Nous devons rester fidèles à ceux qui sont partis. Notre devoir aujourd’hui est la fidélité à ceux qui sont partis et à une Afrique unie. L’Afrique de la dignité et de l’honneur. L’Afrique qui sait compter sur elle-même, l’Afrique qui n’est pas un continent couché, un Peuple qui n’est pas couché, un Peuple qui ne passe pas son temps à tendre la main aux autres, mais un Peuple qui veut être acteur aussi et non spectateur.»

L’espoir de Seydou Badian
«Moi, je fais confiance au Peuple africain. Je fais confiance à la jeunesse malgré tout. Personne ne pouvait imaginer l’émergence d’un Sankara. Je suis sûr que l’Afrique ne restera pas dans l’Etat que nous déplorons aujourd’hui.»

Du néocolonialisme aux institutions de Bretton Woods
Face à la situation de pauvreté de l’Afrique, Seydou Badian Kouyaté a indexé le néocolonialisme et les institutions de Bretton Woods.
D’après lui, «si on était parti dans l’indépendance rupture, l’Afrique pourrait présenter un autre visage. Mais nous sommes partis après l’élimination de Kwame Nkrumah, Modibo Keïta, après l’encerclement de Sékou Touré qui a été politiquement éliminé, nous sommes tombés dans le néocolonialisme. Si on se plaint aujourd’hui de la pauvreté, c’est parce que la régression a commencé par l’école africaine qui est tombée, la corruption généralisée, les guerres entre nous. Cela est l’œuvre du néocolonialisme et c’est regrettable. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont des instruments de l’impérialisme qui ont tué l’Afrique. Le malheur de l’Afrique vient de ces institutions de Bretton Woods. Si on parle de pauvreté en Afrique, c’est parce qu’elle a été forgée et créée par les ajustements structurels qu’on a imposés aux Etats africains. Nous avons tous suivi comme des moutons de sacrifice. On nous dit partout, le secteur privé, oui le développement doit se faire par le secteur privé. Je viens de sortir mon livre là-dessus. Mais le secteur privé, où est-il ? Où est notre secteur privé ? Quel rôle joue notre secteur privé et quelle est sa capacité ? C’est le slogan qui nous a mis en retard et qui nous maintient encore en retard. Quand Dominique Strauss-Kahn a été élu à la tête du Fmi, j’ai applaudi parce que je me souviens d’une de ses déclarations. Il disait : ‘’Quand le capitalisme ne permet pas le développement, il faut que l’Etat se substitue’’ (Le Nouvel Observateur n°1695 du 11 avril au 06 mai 1997). Ceux qui ont osé jeter les bases de l’industrie africaine, c’est la Guinée, le Ghana, le Mali, etc. Aujourd’hui au Mali par exemple, les industries qui existent, textile, sucrerie, cigarettes, allumettes sont des usines faites par l’Etat de Modibo Keïta en coopération avec la Chine. Si le coup d’Etat n’avait pas eu lieu, aujourd’hui le Mali serait parmi les Etats émergents parce que nous avons, nous aussi, un sous-sol assez riche. Si les Africains veulent se tirer d’affaires, il faut qu’ils s’éloignent de la doctrine des institutions de Bretton Woods. Ce sont là des instruments de la néo colonisation de l’Afrique. Notre secteur privé n’est pas capable d’industrialiser le continent et nous resterons éternellement vendeurs de matières premières et consommateurs de produits manufacturés. Le Fmi et la Banque mondiale, avec leurs ajustements structurels, des pères de familles jetés à la rue, ce sont eux qui ont créé cette pauvreté-là. Et maintenant avec des assiettes, ils veulent prétendre nous aider à nous tirer d’affaire. C’est ridicule !»

La démocratie de Seydou Badian
«Ecoutez ! Le socle de l’Europe a été bâti par les monarques. On n’impose pas la démocratie. Une démocratie cadeau, ça va où ? Nulle part ! C’est le poison qu’on a introduit chez nous. Ce n’est pas la démocratie qui a bâti l’Europe. Les chefs d’Etat africains n’ont pas été capables de dire non à l’Occident.»

L’industrialisation de l’Afrique
«Il faut que nos Etats africains prennent en main l’industrialisation de l’Afrique, pas le privé. Ils n’ont pas la force et ne peuvent pas. C’est un piège. Ça fait plaisir à l’oreille. C’est le privé, le privé, etc. Ils sont contents. Mais qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Ils n’ont pas cette capacité. Il y a des privés asiatiques en Malaisie, à Singa­pour qui ne demandent qu’à s’associer avec le privé africain. Dans ces conditions oui, pourquoi pas. Mais il faut éliminer cette espèce de poison qu’on essaie d’imposer aux Africains : ‘’La Chine et l’Asie veulent coloniser l’Afrique.’’ Non ! Nous ne sommes plus colonisables. Nous ne serons colonisables que quand nous-mêmes nous accepterons de l’être.»

Les intérêts de l’Afrique d’abord
«Les Africains doivent cesser d’être des naïfs, des imbéciles. On cherche par tous les moyens à nous déstabiliser. Comme vous, je suis Africain. Où est-ce que l’Afrique pourra trouver ses intérêts ? C’est ça qui m’intéresse. Je ne suis pas un antioccidental. Il y a des Occidentaux qui sont nos amis. Mais je ne veux plus de ces tiers-mondistes et de ces quarts-mondistes qui ne sont que des néo colonisateurs. L’Afrique avec l’Asie, oui, mais d’égal à égal. Comme le disent eux-mêmes, ‘’avantages mutuels’’.»
Merci Seydou Badian Kouyaté ! Vous avez noblement rempli votre mission sur terre. Quatre-vingt-dix ans de combat pour l’unité et le développement de l’Afrique. Votre message sera transmis aux jeunes générations.
Talibouye AIDARA
Journaliste/Communiquant
aidara.or.t@gmail.com