Après la sortie de l’ambassadrice de France : La vaine polémique de Yassine Fall

Dakar hausse le ton face à Paris. Le communiqué de la ministre de la Justice pour répondre aux propos de l’ambassadrice de France sur le cas Madiambal, révèle une certaine tension diplomatique que voudrait entretenir Dakar à propos de cette affaire. Mme Yassine Fall dénonce entre les lignes une forme d’ingérence et rappelle sèchement l’impératif de réciprocité, voulant faire de ce dossier un test crucial pour l’application des principes d’extradition.
Par Bocar SAKHO – Yassine Fall ne lâche pas l’affaire. Au lendemain de la sortie de Mme Christine Fages, ambassadrice de France au Sénégal, la ministre de la Justice est revenue à la charge pour apporter de nouvelles précisions. Evidemment, le dossier au cœur de cette tension diplomatique est l’affaire Madiambal Diagne, visé par un mandat d’arrêt international et dont le Sénégal réclame l’extradition de la France. Une affaire dans l’affaire, qui provoque une passe d’armes diplomatique inédite. «A la suite de l’intervention de la ministre de la Justice, Garde des sceaux, devant l’Assemblée nationale, l’ambassadrice de France au Sénégal, répondant à une question de presse, a tenu des propos qui pourraient susciter une polémique», assure la Chancellerie dans un communiqué publié hier.
Dans son interview, Mme Fages avait assuré que la demande d’extradition relevait du Judiciaire et non de l’Exécutif pour démonter les accusations de lenteur, qui avaient provoqué le gel annoncé des extraditions avec la France. «Il apparaît clairement qu’il ne saurait être question de pressions exercées sur la justice française, contrairement à certaines interprétations, mais bien de l’exercice légitime par un Etat souverain du principe de réciprocité dans ses relations judiciaires internationales», assure Mme Yassine Fall. Pour elle, il «importe néanmoins de souligner que l’attitude de l’ambassadrice de France, qui semble relativiser la gravité des faits de corruption et de détournement de deniers publics reprochés à deux ressortissants sénégalais ayant trouvé refuge en France, pourrait être perçue comme un jugement de valeur regrettable». L’ambassadrice de France, Christine Fages, a apporté une nuance cruciale qui éclaire sa déclaration regrettée aujourd’hui par Dakar. Elle a souligné que M. Diagne est poursuivi pour des «faits délictuels et non criminels». C’est cette «relativisation» supposée des faits que le communiqué sénégalais qualifie de «jugement de valeur regrettable». «Une telle posture est susceptible de remettre en cause les principes universels de bonne gouvernance et de transparence, et pourrait être interprétée comme une forme d’ingérence dans une affaire que les autorités sénégalaises considèrent, à juste titre, comme d’une importance majeure», note la Garde des sceaux.
Dans le même sillage, la diplomate française avait aussi rappelé que Paris était aussi en attente de l’extradition de certaines personnes soumise depuis plusieurs mois voire années. Mais, les dossiers étaient toujours pendants. «Il convient toutefois de rappeler que le ministère français de la Justice a récemment adressé un courrier aux autorités judiciaires sénégalaises sollicitant la transmission d’informations déjà versées au dossier et dûment communiquées par le magistrat en charge de la procédure. Par respect des accords de coopération judiciaire liant les deux Etats, la justice sénégalaise s’emploiera à transmettre à nouveau les informations requises, bien que celles-ci aient déjà été officiellement communiquées. Cette démarche s’inscrit pleinement dans le cadre des engagements internationaux librement consentis», tente de préciser Mme Fall.
Le communiqué de la ministre de la Justice est un coup de semonce très ciblé. Il ne s’agit pas seulement de «transmettre à nouveau les informations» comme simple formalité, mais d’une riposte politique et juridique à une intervention diplomatique jugée indélicate. La suspension des extraditions vers la France est donc l’acte le plus concret du principe de réciprocité invoqué, transformant la frustration diplomatique en une mesure de rétorsion judiciaire pour obtenir gain de cause sur le dossier Madiambal, qui sera vidé au mois de février après que la Justice française a demandé des informations complémentaires à celle sénégalaise.
La justice française, notamment la Cour d’appel de Versailles, étudie la demande d’extradition, mais sa décision est indépendante du Pouvoir exécutif, selon un principe de séparation des pouvoirs que la France invoque pour justifier le délai comme l’a rappelé l’ambassadrice de France à Dakar.
bsakho@lequotidien.sn

