Après les victoires successives et éclatantes au sud et nord de la Casamance : La ville de Bignona devient-elle l’épicentre de la paix ?

Il semble que la création de la nouvelle région de Bignona et l’érection subséquente d’une forte zone militaire centrée sur la capitale du Fogny soient les clés d’une paix définitive en Casamance.
Tout d’abord, il faut un hommage appuyé aux Forces armées sénégalaises. Pour leur détermination, leur ténacité et leur professionnalisme constants face à l’une des plus vieilles rébellions du monde qui vit, assurément, ses dernières heures d’existence.
La longévité de cette rébellion est tout simplement due à la volonté permanente du Sénégal à présenter les garanties d’un Etat de Droit, qui tient à la démocratie et aux droits de l’homme en voulant à tout prix négocier avec des rebelles devenus des bandits de grand chemin, des criminels liés à des milieux mafieux actifs dans toutes sortes de trafics : d’or, de noix de cajou, de drogue et d’êtres humains.
Mais la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la prise d’otages de sept Jambaars, accompagnée de traitement dégradants contraires aux droits de la guerre tels que définis par la Convention de Genève. Ce qui donna un coup sifflet, bref, aux soldats sénégalais que rien ne pouvait plus retenir.
«On nous tue, on ne nous déshonore pas»
Au bilan : toutes les bases rebelles du front nord reprises et une fuite éhontée du chef rebelle qui fanfaronnait un mois avant devant les médias nationaux et internationaux.
Maintenant, il ne reste plus qu’à pourchasser les rebelles, les attraper et les présenter devant les juridictions compétentes afin qu’ils répondent de leurs crimes.
En attendant, il conviendrait de consolider les éclatantes victoires des Forces armées en entreprenant une réforme en profondeur de l’administration territoriale. En effet, pour prendre à bras le corps cette rébellion qui plombe le développement du Sénégal depuis 40 ans, il est obligatoire de changer les paradigmes de défense du Sénégal en offrant une sécurité au plus près. Pour cela, il semble nécessaire de doter les terroirs de moyens nécessaires d’une Défense opérationnelle territoriale (Dot) efficace au premier et deuxième échelon, complétée par les moyens centraux des Forces de réserve générale. Une véritable défense du territoire.
En effet, les défis futurs, presque imminents, se dessinent autour des mouvements extrémistes violents dont les cellules dormantes existent au Sénégal. Pour preuve, les nombreux procès pour faits de terrorisme qui se sont déroulés au Sénégal ces derniers temps. En plus des développements préoccupants qui sont prévisibles au Mali. Des djihadistes, des terroristes sont aux portes du Sénégal. Il ne s’agit plus d’un terrorisme virtuel, mais bien d’un «terrorisme qui vient» à grands pas. Sans doute est-il masqué, pour éventuellement bénéficier d’un effet de surprise.
Sans sous-estimer les efforts consentis pour une défense sous-régionale et régionale, voire continentale, et ceux de la communauté internationale avec les missions de maintien de la paix de l’Onu, il conviendrait de reconnaître qu’aucun autre pays ne viendrait combattre définitivement la rébellion en Casamance et le terrorisme à la place des Sénégalais.
Pour l’heure, les Forces armées ont bien fait le travail, mais il ne faut pas lâcher prise. De ce fait, il faudrait de nouveaux éléments de défense d’une nouvelle doctrine de sécurité centrée sur le territoire communal. Pour atteindre cet objectif, paraitrait-il plus adéquat d’entreprendre une réforme majeure de l’administration territoriale en scindant en deux les régions de Ziguinchor et Thiès ; ce qui porterait le nombre de régions administratives à 16 et créerait subséquemment 16 zones militaires dont les 7 nouvelles que seront : Mbour, Louga, Matam, Diourbel, Bignona, Kaffrine et Kédougou.
Cette réforme est indispensable pour, au moins, deux raisons.
Premièrement, les mouvements extrémistes violents ont changé de stratégie de combat. Ils ont décidé de ne plus avoir recours à de grandes offensives, ils préfèrent attendre et jouer l’opportunisme des insurrections à caractères social, politique et religieux .A cet effet, ils envisagent la mise en œuvre d’unités souples, rapides et fugaces, capables de fusionner avec les populations locales sans chars de combats, sans drones, sans avions de combats, sans navires de guerre ; mais avec un usage optimal des réseaux sociaux y compris la formation militaire, à moindre coût, des combattants.
Deuxièmement, c’est bien de compter sur la coopération avec les pays voisins que sont la Guinée-Bissau et la Gambie, mais il est encore mieux de faire monter en puissance les Forces armées sénégalaises par un effort national encore plus soutenu et un service militaire partiel, progressif des jeunes âgés de 18 à 34 ans. Cette jeunesse est bien capable du meilleur.
En 2021, les 4, 5 et 6 mars : trois jours et trois nuits de désordre, de violence et de saccage. Un an après, jour pour jour, cette formidable jeunesse s’est identifiée aux héros de la Nation, champions de la Can.
Ce levier puissant de la jeunesse est le vecteur indispensable d’une paix durable, dans une géographie immuable avec les voisins que sont la Gambie et la Guinée-Bissau.
Car, si la Guinée-Bissau présente de meilleures dispositions, la Gambie, par contre, n’offre pas les garanties suffisantes d’une coopération fiable. Pire, le régime au pouvoir en Gambie apparaît ambigu et même frileux par rapport à la détermination du Sénégal dans la défense des frontières et de l’intégrité territoriale.
Pourtant, un simple rappel historique expliquerait facilement les attitudes, pour le moins ambiguës, des autorités politiques en Gambie. Depuis son indépendance, le pouvoir politique, en Gambie, est caractérisé par deux pouvoirs extrêmes :
⁃Le régime du Président Jawara, visiblement pro-sénégalais, du moins de 1981 à 1989, avec un environnement extrêmement favorable (un Parlement confédéral avec 20 députés sénégalais, une présidence de la Confédération assurée par le Sénégal, un bataillon confédéral implanté en Gambie, un officier supérieur de liaison au cœur du dispositif de la Présidence gambienne, l’actuel Colonel de gendarmerie à la retraite, Tamsir Ndiaye, etc…).
⁃Le régime du Président Jammeh de 1994 à 2016, anti-sénégalais, instigateur de la prédation des ressources naturelles du Sénégal, criminel de haut vol et protecteur du Mfdc.
Entre ces deux régimes politiques qui ont eu cours en Gambie, il y a la caractérisation du régime du Président Barrow, en place depuis 2017, dans les circonstances et conditions exceptionnelles connues de tous, où le Sénégal a joué un rôle déterminant.
Peu importe, le Sénégal n’exige pas un devoir de reconnaissance. Un Etat n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. Les intérêts de la Gambie de 2022 sont tout autres. Donc, le Président Barrow ne peut pas faire pire que le Président Jammeh ou mieux que le Président Jawara.
C’est aux Sénégalais d’être réalistes et de compter sur leurs propres efforts de défense, d’où l’impérieuse nécessité de bâtir une place militaire forte à Bignona en attendant la grande réforme de l’administration territoriale, compatible avec les nouveaux enjeux sécuritaires.
Le colonel (er) Alioune SECK
Grand officier de l’Ordre du mérite
Senior consultant, AC consultants
Usa naval Postgraduate School graduate, Monterey, California
Dakar, Sénégal