Le confinement généralisé a entraîné annulations et reports de manifestations. Les galeries d’art se sont organisées pour propo­ser des visites virtuelles.

«Tout le monde retient son souffle – littéralement. La crise sanitaire est devenue incontournable juste après la superbe Foire d’art contemporain 1-54 à Marrakech fin février. Depuis, annulations ou reports de foires internationales et d’expositions se succèdent partout dans le monde. Nous avons affaire à une crispation globale face à un futur incertain et à un marché en pleine contraction», se désole Emilie Demon de la galerie Afronova en Afrique du Sud.

Un confinement qui impacte les expositions
Le 16 mars, la France entre en confinement. Toutes les programmations sont remises en question. «Nous avions une exposition qui devait débuter le 24 mars. Elle a été annulée bien sûr, tout comme notre engagement à la Foire 1-54 de New York, en avril», explique Florian Azzopardi à la tête d’Afikaris, une jeune galerie d’art basée à Paris. «Le confinement s’est imposé à nous au fur et à mesure des déclarations. Nous avons bien sûr fermé la galerie qui est un lieu public. Notre vocation est tout de même la rencontre avec le public», com­men­te Philippe Boutté, directeur de Magnin A, une grande galerie parisienne. Peu à peu, c’est près de la moitié de l’humanité qui se retrouve confinée.

Des galeries fermées
Sur le continent, les mesures de restriction de mouvements et de rassemblements se multiplient. Le couvre-feu est imposé au Sénégal, l’Afrique du Sud a déclaré le confinement le 26 mars. A Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, le confinement a débuté le 30 mars. Pour Cécile Fakhoury, à la tête de deux galeries éponymes à Abidjan, d’une autre à Dakar et d’un lieu à Paris, la situation est encore plus particulière. «Je me suis moi-même mise en auto-confinement, après l’inauguration, le 12 mars, du musée d’art contemporain Adama Toungara, qui accueille l’exposition itinérante Prête-moi ton rêve. Cette même semaine, nous avions aussi organisé un vernissage dans notre galerie, avec plus de 100 personnes. Beaucoup venaient de France, de Belgique et d’autres pays africains. Nous avions eu beaucoup de contacts et nous étions des vecteurs potentiels, je me suis donc mise en auto-confinement personnel.» Dès le lundi 16 mars, la galerie a été fermée, avec la possibilité de visite sur rendez-vous. «Nous avons eu quelques visites privées, en respectant toutes les règles de précaution sanitaire. A Abidjan, le confinement se fait par quartier, mais la discipline d’un confinement total est quasi impossible ici. L’argent généré dans la journée est utilisé pour manger le soir. Les gens vivent au jour le jour», explique Cécile Fakhoury.

De grands événements annulés
Les grands événements du monde de l’art sont aussi annulés. «Le report de l’édition de 1-54 New York 2020 à 2021 a été une décision extrêmement difficile à prendre, mais nécessaire. Notre but était d’agir le plus vite possible avant que les galeries n’envoient leurs œuvres pour la foire, ce qui aurait engagé des frais importants de leur part. Au vu de l’évolution rapide de la pandémie et des restrictions de mouvement et de rassemblement qui se sont amplifiées de jour en jour, le choix de reporter cette édition new-yorkaise s’est vite imposé», se désole Touria El Glaoui, fondatrice de la Foire 1-54, un événement qui donne rendez-vous au monde de l’art contemporain africain, trois fois par an à Londres, New York et Marrakech. «Nous avons fait de notre mieux pour trouver la solution la plus appropriée à la fois pour les galeries exposantes et pour notre foire. Nous avons ainsi décidé de proposer aux galeries de reporter leur participation à la prochaine édition de 1-54 New York qui aura lieu en 2021», explique Touria El Glaoui. «Au début, nous avions des craintes, notamment par rapport aux prêts d’œuvres sélectionnées ou pressenties pour des expos futures, sachant que certains musées ont des programmations à deux ans. Mais tout le monde se décale au même rythme et les grandes structures jouent le jeu. En revanche, pour la Biennale de Dakar qui devait avoir lieu en juin, c’est une véritable catastrophe», analyse Philippe Boutté.

Un choc d’abord et puis un début de réorganisation
Il règne une atmosphère étrange. Un temps se suspend, chacun confiné dans son appart, sa maison, son quartier. Les collègues de boulot ne se croisent plus. Les réunions se font par WhatsApp, Zoom et autres outils numériques. «Notre équipe est très mobile et nous avons l’habitude d’organiser régulièrement des réunions à distance. Cette nouvelle façon de travailler ne nous a donc demandé que peu d’ajustements. Nous sommes une petite équipe, ce qui rend sans doute cela plus facile», constate Touria El Glaoui.
De son côté, Florian Azzopardi reconnaît : «Nous avons eu un ou deux jours de démotivation». «Et puis nous nous sommes dit, c’est le moment d’explorer de nouvelles choses, de communiquer différemment. Dans cette période où les gens s’ennuient, confinés chez eux, nous pouvons leur apporter quelque chose, de la beauté, de l’humour, un bout de monde extérieur», poursuit-il. Toute l’équipe s’est mise au travail, chacun chez soi. L’expo est ouverte, certes avec quelques jours de retard, le 28 mars, non pas dans un lieu d’exposition physique, mais sur les murs de la toile internet. D’une exposition réelle, consacrée aux œuvres sur papier, Dialogues, techniques mixtes sur papier, Afikaris a su rapidement proposer une exposition virtuelle.

De nouveaux moyens de communication explorés…
«Nous avons réfléchi, il fallait revoir notre communication, faire évoluer notre newsletter, mais aussi notre communication à travers les réseaux sociaux, dont Instagram et notre chaîne YouTube : c’est le moment de faire une information différente», détaille Philippe Boutté. Rapidement, la galerie Magnin a choisi de réaliser sa première exposition exclusivement en ligne. What dreams are made of présente les œuvres de six artistes qui explorent les représentations visuelles de la science-fiction et de la futurologie. Pour monter cette expo virtuelle, la galerie a fait appel à un spécialiste, Artsy. Depuis plus d’un an, la réflexion était entamée. «Le e-marché existe, mais nous ne l’atteignons pas. La question était alors de construire des outils pour créer du contenu et le diffuser soit en passant par un fournisseur extérieur, soit en interne. Puis le coronavirus est arrivé. Nous n’avions jamais le temps de nous poser et d’avancer sur ces questions», constate Philippe Boutté.

… et mis en œuvre un peu partout
C’est aussi vers Artsy que l’équipe de 1-54 s’est tournée pour mettre en place un catalogue de vente en ligne. «Cela permettra ainsi à notre public de collectionneurs et d’amateurs d’avoir accès à l’intégralité des œuvres qui devaient être présentes à la foire de New York», explique Touria El Glaoui. «Lors de 1-54 Marrakech, nous avons développé une application pour smartphone qui permet d’avoir accès au profil de toutes les galeries et des artistes présentés à la foire. Le contenu de 1-54 New York sera accessible via l’application 1-54 et sur notre site web sur lequel nous allons continuer de publier des entretiens avec nos galeries et artistes, en mettant tout particulièrement l’accent sur les nombreuses initiatives digitales qui se mettent en place», détaille-t-elle.
A Dakar, l’exposition a pu être montée à la galerie Cécile Fakhoury, mais c’était déjà trop tard pour organiser un vernissage, les regroupements de plus de 50 personnes ayant été interdits. «Nous travaillons actuellement pour réaliser les images de cette expo et sur un nouveau système de communication pour pallier la fermeture des lieux d’exposition. Si nous avions déjà une newsletter factuelle, nous en proposons désormais une hebdomadaire qui apporte beaucoup plus de matière, de lecture et d’écoute», détaille Cécile Fakhoury. Intitulée «Edition spéciale #1», pour la première publiée le 27 mars, la galerie nous propose une immersion in situ d’une expo, un focus sur une œuvre, la rencontre avec un artiste, son univers et ses sources d’inspiration, ainsi qu’un accès numérique à un catalogue publié à l’occasion d’une exposition. «Ce sont des pistes pour pallier la rencontre et la présentation en galerie, mais aussi afin de toucher un plus vaste public», commente Cécile Fakhoury.
Le Point Afrique