ART – Exposition artistique à Grand Yoff : «Keur Taizé» dénonce les agressions contre l’environnement

«Keur Taizé» est logée en plein cœur de Grand Yoff. Le fronton de la maison porte le nom de cette demeure fondée depuis plus de trente ans par feu frère Roger et dirigée aujourd’hui par le frère Christi. Sa vocation première est d’aider à la promotion de certaines valeurs par la réalisation d’œuvres artistiques.
Depuis qu’il est môme, Issa Diop fréquente cette demeure. Située sur une rue du populeux quartier de Grand Yoff, à quelques mètres de l’hôpital général Idrissa Pouye, la maison se signale par des ornements, des dessins et une guirlande de petits pots en caoutchouc qui décorent la devanture. «Keur Taizé, c’est la maison dans laquelle je vis pratiquement. Le matin je suis là, quand je ne suis pas au travail. Le soir également après le repas, je reviens fréquenter la maison. Le fait de grandir dans le quartier, de trouver cette maison ici et de voir nos aînés y aller a suscité une curiosité qui m’a poussé à venir ici, alors que j‘étais encore enfant. Je pense que personnellement j’ai beaucoup plus tiré de cette maison que de l’école et de la rue», s’enflamme Issa Diop qui dit y avoir reçu «une formation à la fois pédagogique, spirituelle et sociale».
La formation acquise aux côtés des animateurs de ce lieu de rencontre et de brassage, Issa Diop la porte encore aujourd’hui. «Tout ce que j’ai pu acquérir dans cette maison, c’est ce qui m’a permis vraiment de pouvoir bien travailler à l’école et de pouvoir vivre en société», se réjouit celui qui, après une Licence en Lettres modernes à l’Université Cheikh Anta Diop, travaille dans une entreprise en ville comme agent économat. «Cette maison est l’endroit dans ce quartier qui permet aux musulmans et chrétiens de pouvoir cohabiter, de pouvoir se réunir et d’échanger par rapport au contexte actuel sur fond de Covid-19», renchérit Issa Diop qui indique que tout récemment une rencontre avait réuni les deux communautés pour parler des réflexions du Pape François avant d’en faire autant au cours d’une rencontre sur la réflexion de l’imam de la grande mosquée de Al Azhar du Caire sur le Covid-19, les violences, le terrorisme.
La pédagogie par l’art
A l’entrée de la maison, l’inscription «Laudato si» renvoie à l’encyclique que le Pape François a consacré à l’écologie et la nature et qui est une des sources d’inspiration de Keur Taizé. Ici on fait en sorte que les jeunes qui fréquentent la maison puissent faire parler leur côté artistique à travers la réalisation de tableaux abstraits, généralement centrés sur des thèmes autour de l’environnement. Sur l’une des pièces de la maison se trouvent les ossements d’une vache retrouvée dans la forêt classée de Mbao, lors d‘une des sorties pédagogiques qu’ils ont l’habitude de faire dans le cadre de leur formation. Dispersés, les os ont été remis en place, permettant à l’animal de se remettre debout. Dans son ventre gisent des sachets en plastique vert, jaune et rouge, symbolisant les couleurs nationales sénégalaises. A travers cette exposition, les jeunes de Keur Taizé cherchent à faire passer un message qui consiste à ouvrir les yeux sur les dangers que font peser les sachets plastiques sur l’existence des animaux. Dans une autre pièce, un tableau fait à partir de l’assemblage de trois éléments, du bois du ciment blanc et des os. Il est réalisé pour ressortir le «contraste entre la vie et la mort», selon Issa Diop, mais c’est un support de communication pour dénoncer le gaspillage.
A l’autre bout de la pièce, un tableau où sont accrochés un ordinateur, une souris, un clavier, mais aussi un téléphone portable. En somme, tous les outils qui renvoient à la technologie des temps modernes et pour lesquels l’homme est devenu «dépendant» ; d‘où la présence de menottes pour faire ressortir davantage cette sorte de domination, d’esclavagisme que ces outils exercent sur notre existence. «Il y a un danger qui est là et qui est permanent. Aujourd’hui, nous avons une très mauvaise utilisation de la technologie, de l’internet. Il n’y a plus de vie privée et il n’y a plus cette attention à l’autre parce que nous sommes tout le temps devant nos écrans dans ce monde virtuel. Et voilà nous trouvons du mal à nous départir de cet objet qui devient essentiel pour notre survie. On parle des menaces qui nous guettent avec les arnaqueurs, avec la collecte de données personnelles utilisées à d’autres fins», note notre interlocuteur. «Là vous avez un piège à souris, un fromage sur lequel on peut lire c’est gratuit. C’est vous dire que rien n’est gratuit sur internet», indique Issa Diop en poursuivant la visite. «C‘est juste pour dire que nous sommes victimes de ces outils», dit-il. Sur un pain de singe, fruit du baobab, est inscrit «Web culture» pour dire que «cette culture n’est pas superficielle». «Pour pouvoir la connaître, il faudra la percer ; d’où la coque du pain qui nécessite qu’on la casse pour profiter du fruit qui est en son sein», indique notre interlocuteur qui nous invite à poser les yeux sur deux tableaux représentant l’image de deux femmes enceintes. Si l’une porte son enfant naturellement, l’autre est une femme porteuse, selon Issa Diop qui, trop passionné d‘art dans sa globalité, pose la main sur l’une des images de la femme avec son ventre ouvert dans lequel on aperçoit son enfant en train de nager avec une étiquette et un code barre. «Le code barre, c’est pour identifier les produits. Si on a mis ce code barre, c’est pour alerter les gens pour leur dire qu’on en est arrivé à un point où l’être humain est considéré comme un produit», selon M. Diop. «Aujourd’hui, l’être humain peut être considéré par quelqu’un comme un objet», renchérit Issa Diop. Faire en sorte que l’être humain soit respecté est ce à quoi s’emploie Keur Taizé. «Nous sommes pressés d’arriver à réaliser des choses. Pas besoin de faire une course à la richesse, à l’armement alors qu’on n’a pas résolu tout ce qui est devant nous», indique-t-il.
Un accueil pour les enfants du quartier
Sur le site web de Keur Taizé, on apprend que les frères de la communauté sont arrivés au Sénégal au début des années 1990, à l’invitation du cardinal Thiandoum, alors archevêque de Dakar. Aujourd’hui, c’est le frère Christi qui tient les rênes de la maison.
De nationalité française, il indique que Keur Taizé est «un accueil, une porte ouverte aux enfants du quartier». «La maison s’ouvre chaque jour aux enfants du quartier pour des activités complémentaires de leur scolarité. Ils sont encadrés par des adolescents, eux-mêmes accompagnés pour leur formation. Les jeunes aussi viennent pour étudier et réfléchir. Des femmes enfin pour des travaux de couture pour lesquels un débouché a pu être trouvé», souligne le site. «On donne un tout petit coup de pouce et c‘est là qu’est né le groupe de couture auquel participent les femmes», indique le Frère Taizé avant de souligner que c’est la communauté de Taizé, composée de cinq ou six fraternités, qui soutient l’initiative. «On cherche à être présent dans les milieux défavorisés. Ça donne une fusion aux fraternités. On écoute celui qui a des problèmes», indique-t-il.