Dans notre société, il est rare de voir un mari faire chanter publiquement sa femme pour la célébrer. De tels hommages restent des exceptions qui frappent les esprits, précisément parce qu’ils ne sont pas la règle. Cette rareté en dit long sur les normes qui structurent notre vision du couple et sur la difficulté à reconnaître la valeur des femmes au-delà de la sphère domestique.

Lire la chronique – Plus de 80% des plaintes pour viol restent sans condamnation

On le constate : ce n’est pas l’absence de mérite féminin qui explique la rareté de ces célébrations, mais la réticence à reconnaître publiquement la valeur des femmes. Car si ces hommages étaient proportionnels au nombre de «bonnes femmes au foyer», ils se multiplieraient. Les femmes sénégalaises sont socialisées à donner, à se sacrifier, à porter leur foyer. Mais ces sacrifices, pourtant réels, se traduisent rarement par des hommages de ce genre. Ce ne sont donc pas les femmes qui manquent, mais plutôt des hommes capables de mettre en lumière publiquement celles qui partagent leur vie. Voilà pourquoi il ne faut pas, comme on le lit depuis la sortie de cette chanson, dire aux femmes de «faire comme Arva» pour espérer être reconnues. C’est plutôt du côté des hommes qu’il faut chercher l’exemple. Et surtout, il ne faut pas oublier que Arva n’est pas une femme au foyer.

Il ne s’agit pas de dire qu’elle est «meilleure» que celles qui ont choisi ou subi ce rôle, ni d’établir une hiérarchie entre femmes. Le propos est ailleurs : montrer qu’une femme peut être reconnue et célébrée pour son engagement professionnel autant que pour son dévouement familial. Rappeler aussi que rester à la maison et confier son destin à un homme ne fait pas automatiquement de quelqu’un une «meilleure épouse». La valeur d’une femme ne devrait pas se mesurer à son degré de sacrifice, mais à la richesse de ses choix et à la dignité avec laquelle elle les assume. Et c’est bien là tout le paradoxe : si l’on se fie aux commentaires suscités, beaucoup voudraient que toutes les femmes soient des «Arva» en étant soumises, mais presque jamais en étant Inspectrice principale des Douanes, en ayant le même niveau de responsabilités et de carrière.
Dans la chanson Arva, ce sont surtout les qualités familiales d’épouse et de mère qui sont mises en avant, mais son parcours professionnel mérite tout autant d’être mis en lumière.

Lire la chronique – Cette indiscipline dans les «Tata» qui fait perdre des vies

La dame qu’on chante est la cheffe du Bureau du Guichet unique du dédouanement des véhicules, un poste qui exige rigueur et sacrifices. Son profil professionnel exemplaire montre que le mariage, lorsqu’il est fondé sur l’estime, le soutien mutuel, l’équilibre et le respect, ne se résume pas à la servitude ou à la soumission. Elle démontre qu’une femme n’a pas besoin de se conformer aux attentes domestiques pour être digne d’un hommage. Son exemple rappelle qu’un couple peut être construit sur la reconnaissance réciproque et l’égalité, où chacun porte sa part et s’épanouit. Elle incarne la valeur d’une femme engagée, compétente et équilibrée, dont l’apport dépasse largement les frontières du foyer.

Lire la chronique – Au Sénégal, on tue les femmes dans l’indifférence totale

Mais il faut aussi souligner que derrière les discours de dévouement, se cachent des conséquences lourdes pour les femmes. Combien de vies ont été réduites au silence, combien de rêves sacrifiés au nom de la «bonne épouse» ? La fatigue, l’effacement de soi et l’absence de reconnaissance sont trop souvent la contrepartie de cette servitude normalisée. Si ce dévouement suffisait à être chanté, toutes les femmes de ce pays obtiendraient une chanson.

Arva incarne précisément ce contraste : loin de la figure de la femme modèle traditionnelle, elle est pourtant mise en avant pour ses qualités universelles d’équilibre, de générosité et de responsabilité. Cela montre qu’une femme professionnelle peut, elle aussi, être célébrée pour tout ce qu’elle représente.
Rester à la maison et confier son destin à un homme ne fait pas automatiquement de toi une meilleure épouse, tout comme bâtir une carrière et affirmer son autonomie ne t’enlève rien de ta valeur de partenaire ou de mère. Ce sont bien le respect mutuel, l’équilibre et la liberté de choix qui devraient être au cœur de la célébration des femmes.

Lire la chronique – Et toi, comment vas-tu ? 

Cette chanson et les débats qu’elle a suscités disent aussi beaucoup de notre société : l’impact est double. D’un côté, elle ouvre la possibilité de penser autrement la reconnaissance des femmes, de l’autre, elle met en lumière la persistance des normes qui enferment les femmes dans leur rôle domestique. Les médias et les réseaux sociaux ont amplifié des discours réducteurs, invitant les femmes à «faire comme Arva», au lieu d’élargir le débat sur la place des femmes dans toutes leurs dimensions. Pourtant, l’enjeu n’est pas d’imposer un modèle unique, mais de reconnaître la pluralité des parcours féminins.
Célébrer Arva, c’est aussi reconnaître qu’une femme peut être à la fois une mère attentive, une épouse présente et une professionnelle de haut niveau. C’est rappeler que le mérite féminin n’est pas unique ni uniforme, et que la société doit apprendre à applaudir la diversité des rôles que les femmes incarnent. Tant que cette reconnaissance restera rare et conditionnelle, elle perpétuera l’idée que seules quelques élues méritent d’être mises en lumière. Or, toutes les femmes, dans la variété de leurs parcours, portent une part essentielle de notre société et devraient être reconnues à leur juste valeur.

Je veux ici m’adresser à toutes les jeunes filles. Derrière la beauté de cette chanson, la grandeur des louanges et la participation des plus belles voix de la musique sénégalaise, il y a une vérité essentielle à retenir : Arva n’est pas une femme au foyer. Que cela ne soit pas interprété comme une hiérarchisation, mais comme un rappel puissant que l’on peut être célébrée pour bien plus que la servitude domestique. On peut être reconnue dans sa pluralité, à la fois épouse, mère, mais aussi professionnelle accomplie et citoyenne engagée.

Par Fatou Warkha SAMBE