Ass est Diomaye, mais pas Sonko

«Ass môy Diomaye, Diomaye môy Ass», comme le pérore le Dr El Hadj Abdourahmane Diouf, ministre de l’Environnement, n’est certes pas le scoop de l’année, lorsque ce slogan retentit en plein quatrième anniversaire du parti Awalé, mais dans l’ambiance électrique du sommet de l’Etat, ça en rajoute à la tension.
Le Dr Abdourahmane Diouf dont le parti est membre de la Coalition Diomaye Président qui porte en mars 2024 son candidat au pouvoir, semble poser les prémices d’un implacable syllogisme : il est Diomaye, Diomaye est lui, donc Ousmane Sonko n’est plus Diomaye…
Conclusion hâtive : il ne cracherait pas sur la Primature si on le suppliait de s’en emparer.
Y’a de quoi retenir son souffle, en attendant la réponse du président de la République qui, en dépit des apparences, tient encore les cartes en mains et reste le seul à les redistribuer.
Manifestement, la République sous «Diomaye môy Sonko» est à la croisée des chemins : le tandem que Pastef vend à son électorat lors de la Présidentielle de mars 2024 atteint ses limites et manifeste des signes d’agacement mêlé de lassitude, comme un couple aux humeurs incompatibles dont chaque conjoint éprouve un irrésistible besoin d’ailleurs.
A quel moment constatent-ils que leur compagnonnage devient cahoteux ?
Il y a déjà, pour les Législatives du 17 novembre 2024, cette rupture brutale : la Coalition Diomaye Président n’est pas de la partie, seul Pastef entre en lice pour le camp présidentiel. Sans doute pour clarifier le débat qui fait rage depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye auquel son encombrant Premier ministre fait de l’ombre : est-ce le manitou de Pastef, Ousmane Sonko, l’artisan de ce raz-de-marée de mars 2024, ou alors, la majorité des Sénégalais, après avoir observé la tronche des candidats, a benoitement voté pour celui qui semble sortir tout droit de leurs rangs ?
Ousmane Sonko joue alors son va-tout : ça passe ou ça casse. S’il n’obtient pas le score semblable à celui de la Présidentielle, c’est sa légitimité qui en prend un sacré coup, et les stratèges de la Coalition Diomaye pourront prendre du galon pendant que Pastef et son gourou devront se faire de plus en plus petits en Conseil des ministres…
A n’en pas douter, en cette truculente année 2024, Pros a la baraka : il casse la baraque électorale et s’offre une razzia au Parlement dont Pastef truste les cent trente sièges sur cent cinquante. En Conseil des ministres, ceux qui ne sont pas de Pastef doivent sans doute tourner sept fois leur langue dans la bouche avant de l’ouvrir, et surtout essayer de se faire oublier ?
Le triomphe de Ousmane Sonko est absolu.
Il se reconduit d’autorité au poste de Premier ministre, tandis que les supplétifs vont squatter l’Assemblée dont il dédaigne même la présidence qui lui irait comme un gant… Voyez-vous ça : faire nommer un Premier ministre et son gouvernement, contrôler depuis le Perchoir l’écrasante majorité du Parlement dont la plupart guettent ses soupirs et ses froncements de sourcils pour déployer leur zèle à satisfaire ses désidératas…
Le pouvoir total en résumé. Celui qui vous refile l’hubris.
Enfin, presque total. Parce que la Constitution sénégalaise n’attribue cette faveur ineffable qu’à une singulière institution qu’incarne un seul individu, épisodiquement : le président de la République.
Aïe. C’est sans doute là que ça coince.
Ça a beau révéler qu’à sa sortie de prison, la barbe pouilleuse de l’impétrant n’est pas présentable et qu’on le somme d’aller la tailler avant de se présenter devant les caméras et les objectifs, lui voler la vedette durant la campagne avant de le surnommer publiquement «Serigne Ngoundou» après son élection, rien n’y fait. L’actuel chef de l’Etat, ça a beau retourner l’affaire dans tous les sens, l’accoupler avec son légitime président de parti par une formule magique, «Diomaye môy Sonko», ne pas se lever pour le saluer quand il entre dans le Ter, et même ricaner de son anglais d’Oxford, il s’appelle bel et bien Bassirou Diomaye Faye…
Faudra faire avec jusqu’en 2029.
Déjà, lors de sa prestation de serment, ses remerciements, Bassirou Diomaye Faye ne les adresse qu’à sa famille et au Peuple sénégalais.
Oubli fâcheux ?
Certes, ses premières décisions sont en droite ligne de la vision «pastéfienne» de l’exercice du pouvoir : rendre justice aux «victimes» des événements de ces dernières années, comprenez leurs militants pris en train de saccager le bien d’autrui ; jeter en prison les assassins et les malfrats de l’ancien régime ; ruiner les hommes d’affaires complices de la gabegie du régime Apr dont, particulièrement, les maffieux du gouvernement sortant, les brigands du Btp et les flibustiers de la presse.
Question relations internationales, sous la houlette d’un gros calibre, ça préfère la compagnie de la soldatesque putschiste voisine aux vieilles traditions des relations internationales de ce drôle de pays incrusté en Afrique qui a la prétention d’être la vitrine démocratique du continent. Bien sûr que la France doit plier bagage et le Fmi devoir expliquer au monde entier comment il peut fermer les yeux sur la dette abyssale que Macky Sall parvient à camoufler sous son oreiller douze années durant.
A partir de quand le président de la République se rend-il compte que la direction empruntée depuis mars 2024 mène tout droit dans le mur ? Ses tête-à-tête avec Emmanuel Macron lors de ses voyages en France ? La note du Sénégal en chute libre depuis les déclarations gouvernementales tonitruantes sur les chiffres falsifiés et la dette cachée ? La garde à vue du Sénégal par le Fmi ?
Sans doute un peu de tout cela…
Logiquement, après les Législatives de novembre 2024, le vainqueur de ce scrutin, Ousmane Sonko, doit présenter un nouveau gouvernement que l’on devine coloré Pastef radical. Apparemment, Bassirou Diomaye Faye n’est pas très chaud à cette idée. Un bras de fer s’engage dans le silence des couloirs du Palais, qui finit par éclater au grand jour, alors que le Premier ministre étale son exaspération : ce pays a un problème d’autorité ; si le Président ne peut pas gouverner, qu’il lui cède les rênes.
Ça a le mérite d’être clair.
Sur les réseaux sociaux, c’est l’halali… Guy Marius Sagna, que le doute raisonnable n’habite pas, nous fait partager sa trouvaille : à la tête de l’Etat se côtoient un président légal (présenté récemment comme un intérimaire récalcitrant) et un président légitime, qui piaffe d’impatience d’occuper son fauteuil de droit divin.
Du côté de la Coalition Diomaye Président, un franc-tireur se fait remarquer, Bougar Trucmuche, qui sillonne les plateaux pour expliquer doctement que l’élection de Bassirou Diomaye Faye ne doit rien ou presque à Ousmane Sonko : il n’est pas son premier choix en mars 2024…
Le Président concèdera quelques faveurs après la charge brutale du peuple Pastef qui lui trouve des airs de déserteur de la cause du «Projet», permettant ainsi à Me Bamba Cissé une entrée fracassante à l’Hôtel de Police et Yassine Fall à la Justice. L’usage qu’ils en font apparemment ne doit pas convaincre le chef de l’Etat qui rappelle, sans avoir l’air d’y toucher, qu’il n’est pas le président d’un parti, mais de tous les Sénégalais ; qu’il n’est pas là pour solder des comptes rancuniers, qu’il prône même le pardon et la réconciliation.
Peine perdue, les arrestations arbitraires reprennent de plus belle, tandis que les accusés précédents bénéficient de mesures d’élargissement, signes que leurs dossiers ne tiendraient pas vraiment devant un Tribunal sérieux. Entre la libération de Mansour Faye auquel rien ne semble plus reproché et la carapate de Madiambal Diagne, qui commence à larguer ses bombinettes depuis les Yvelines, il y a en effet de quoi douter…
C’est ce moment que choisit le Dr Abdourahmane Diouf pour une sortie sur la Rts, la chaîne préférée des gouvernants, qui reprend les principes du président de la République ; cela lui vaudra une bordée d’injures du peuple de Pastef ne comprenant pas que l’invité de la vingt-cinquième heure prenne ses aises entre Diomaye et Sonko.
Apparemment, nous ne sommes plus très loin de l’épilogue, puisque le Premier ministre annonce, après le «Tera Meeting» du 8 novembre 2025, un tournant capital dans la vie publique.
Y’aurait-il quelque place à prendre sous peu à la droite de Bassirou Diomaye Faye ou à la gauche de Ousmane Sonko ? En tout cas, le Dr Abdourahmane Diouf présente élégamment son offre de services. On comprend, d’après lui, que Diomaye, c’est Ass, et apparemment, tous deux ne sont plus très Sonko.
Reste à savoir si, en retour, Ass, c’est bien Diomaye… Je dis ça, je dis rien.
Par Ibou FALL

