Même les auteurs de science-fiction les plus doués ne pouvaient imaginer les alliances scellées par les hommes politiques sénégalais en vue des élections législatives de ce 17 novembre 2024.

Jadis et même jusqu’à un passé récent, ce sont les idéologies politiques qui déterminaient l’allégeance des uns et des autres dans les partis ou coalitions de partis pour briguer le suffrage des électeurs.

Il fallait être dans le camp des socialistes, des démocrates, des communistes, des libéraux, ou à la limite des islamistes encagoulés à cause du caractère laïc de la Constitution, pour se faire une place à l’auguste Assemblée nationale.
Aujourd’hui, le «gatsa-gatsa», œil pour œil, dent pour dent à la sénégalaise, tant décrié, a fini par déboulonner l’ancien régime devenu impopulaire malgré ses solides racines de douze ans de règne. Forcés de jouer le combat de la dernière chance, les vaincus n’ont pas le choix, c’est le sauve-qui-peut. Exit les idéologies et place aux alliances hybrides, à la limite contre-nature.

Le 24 mars 2024, le monde s’est écroulé au pied de la classe politique sénégalaise. Socia­listes, libéraux, démocrates ont vu leurs idéologies voler en éclats, emportant avec fracas richesses, privilèges, notoriété, honorabilité. Quand les flammes électorales ont brûlé tous les biens, fait s’envoler les espoirs et menacé de boucher les issues de secours par la reddition des comptes et autres «jubbanti», il n’y a plus de critère qui tienne autre que la survie, rien que la survie, au prix de se ranger ou de s’allier avec le diable.

Quand les diables politiques s’entre-bouffaient
A court d’argument et sentant la fin sonner, le régime de Diouf avait jeté l’opprobre sur Wade, le qualifiant de Fantômas. Après l’alternance de 2000, Idrissa Seck a été le premier étiqueté «diable», accusé de détournement des fonds destinés aux chantiers de Thiès. L’on se rappelle les pas de danse du vieux Doudou Wade en pleine session à l’Assemblée nationale pour exprimer sans gêne, à son âge, sa joie de voir Idy jeté en prison. L’ancien maire de Thiès sera finalement lavé à grande eau, pour ne pas dire à «Seck», et recyclé dans la scène politique, mais totalement déplumé.

Ensuite, ce sera l’inamovible et futur Président Macky Sall à qui le destin fera porter le masque du diable. Il sera lynché comme un malpropre, traité de tous les noms d’oiseaux, éjecté de son fauteuil de président de l’Assemblée nationale, avant d’être réhabilité par le Peuple qui l’aura choisi avec éclat, au grand dam de ses pourfendeurs.
Immédiatement après son élection comme président de la République en 2012, Macky réplique impitoyablement et fait porter de force le masque à Karim Wade, alors ministre du Ciel et de la Terre comme le qualifiaient les mauvaises langues sous le magistère de son père. Oui, à défaut du père qui a échappé belle à l’épithète de fantôme, le fils portera bien le costume du diable. Il sera accusé de détournement de 117 milliards Cfa, condamné à six ans de prison, avant de bénéficier, après trois ans  de misère derrière les barreaux, d’une grâce présidentielle et d’être isolé au Qatar.
Vint le tour du maire de Dakar, Khalifa Sall, seul alter ego d’alors et principal obstacle de Macky pour la préservation du fauteuil présidentiel. Elle a beau s’agiter, la souris ne pouvait échapper au chat. Khalifa sera accusé de tous les péchés d’Israël et gardé en prison le temps nécessaire.
Et voilà que surgit de nulle part le dernier fantôme qui finit par résister au syndrome de diabolisation et par bouffer tous les diables précédents, malgré toutes les foudres subies. On dirait qu’il est blindé ou alors qu’il porte un gris-gris protecteur. Ses amis disent : «Non ! Ce ne sont pas les marabouts, c’est Dieu!» Son nom est Sonko, faiseur de rois, de maires, de députés, de ministres, et même de Prési­dent.
Les diables défaits ne veulent ni se remettre en cause et reculer pour mieux sauter, ni s’en remettre au Bon Dieu. Ils préfèrent s’allier entre eux malgré les graves accusations mutuelles jamais prouvées d’enrichissement illicite, de détournement de deniers publics et autres crimes odieux, sans compter les carrières brisées et les lots de morts. Mieux, ils cherchent et obtiennent le soutien des poids plumes de la politique qui, il n’y a guère longtemps, étaient autour de la table du faiseur de rois pour chanter les valeurs de la République et fustiger le défunt régime.
Qu’est-ce qui vaut ce retournement de veste des leaders politiques qui, après avoir constaté et accepté le verdict populaire des urnes, veulent occuper les sièges de l’As­semblée nationale avec comme seul objectif, se liguer pour empêcher les élus de la Présidentielle de dérouler leur programme ?
Tout le monde sait qu’une Assemblée a besoin d’une opposition pour contrôler l’Exécutif. Cependant, quand les contrôleurs se bousculent pour être plus nombreux que les voyageurs dans le train et ne cachent pas leur ambition de s’en prendre au conducteur, il y a de quoi s’inquiéter.

Après vingt-quatre ans de gouvernance partagée entre deux régimes, le Sénégal a toujours mal. Ce n’est pas le Peuple qui le dit, mais les acteurs déchus de la Présiden­tielle, coalisés pour la circonstance, qui le clament haut et fort dans leur campagne, espérant ainsi revenir aux commandes par la voie des élections législatives.

Le Peuple devra choisir entre laisser le diable élu dérouler son projet-programme puis le juger aux résultats, et soutenir l’union contre-nature des autres diables dont certains exhibent leur redoutable force de nuisance et de blocage des programmes de développement promis par les nouveaux hommes forts du pouvoir.

Mon Dieu, préserve-nous de l’enfer des Africains !
Ces élections législatives me font penser à une caricature de mon ami Bathie Ngoye dans son ouvrage «La fête des Arts» :
«Dieu avait mis en place un enfer pour chaque continent, un pour les Américains, un pour les Asiatiques et ainsi de suite. Devant chaque géhenne, un ange veillait. Dès que quelqu’un s’approchait du rebord, il le repoussait dans le gouffre ardent. Mais celui qui devait s’occuper des Africains n’était jamais à son poste. Dieu lui demanda alors des explications. L’ange répondit : «Ce n’est pas la peine de surveiller les Africains car à chaque fois qu’il y en a un qui est sur le point de sortir de leur enfer, les autres le tirent par les pieds et l’y font retomber.»
Revenons sur terre. A l’heure où le Bon Dieu envoie sa bénédiction au Sénégal avec la découverte du pétrole, de l’or et de toutes ces richesses enfouies gracieusement dans son sous-sol, et ne demande à son Peuple que de fournir l’effort de les exploiter, la rancœur, la haine, les invectives et la violence ne doivent pas être nos outils, mais plutôt le fair-play, la solidarité, le repentir, le pardon, le travail et le patriotisme.
  Cheikh Bamba DIOUM