INTRODUCTION

Dans la mise en œuvre son programme «Yonou Yokuté», le Pr Macky Sall avait lancé, en 2013, le Programme national de couverture maladie universelle dans lequel il a investi plus de 200 milliards.

10 ans après, le constat est le suivant : «Les difficultés d’accès aux soins de santé sont encore là.»

Dans son projet politique pour un Sénégal souverain juste et prospère, dans un esprit de rupture et de construction d’une réponse structurante aux besoins de toutes les catégories sociales, le Président Bassirou Diomaye Faye a exprimé dans le document-projet, sa vision pour «un système de protection sociale efficace, efficient et à moindre coût» dans son chapitre 8. Il y a aussi mis en exergue la stratégie de mise en œuvre, ainsi que son financement. Pour quelle plus-value ? Pour quels impacts ? Pour répondre à ces questions (puisqu’on en est à l’étape de projet), il est important d’expliquer dans les détails le contenu, c’est-à-dire toute la théorie du modèle pour un accès garanti aux soins de santé de l’ensemble des Sénégalais. La lecture croisée du projet, l’érection d’un tout nouveau ministère en charge des Solidarités, ainsi que le contenu du décret 2024-957 du 08 avril relatif aux attributions du ministre, expliquent clairement le modèle de couverture du risque maladie des Sénégalais dont les handicapés, les enfants, les femmes, les groupes vulnérables en particulier.

D’abord, autour de quels éléments contenus dans le projet peut-on entrevoir le modèle ?
Le premier élément se rapporte à la modalité de couverture des dépenses des Sénégalais. Dans le projet, la seule et unique modalité sans équivoque est l’Assurance maladie. Je cite le texte : «Nous prendrons des mesures fortes pour rendre accessible l’assurance maladie pour tous.» Le texte ajoute ceci : «La Csu impliquera la grande majorité dans la cotisation.»

Sous le Pr Macky Sall, le système fut parasité par le développement parallèle et de doublon d’initiatives de gratuité comme l’initiative des enfants de 0 à 5 ans, le plan Sesame, lesquelles initiatives sont inefficaces et inefficientes.

Le deuxième élément est lié à l’inclusivité de cette modalité. Le texte ditm : «La Csu bénéficiera à tout le monde et nous généraliserons l’Assurance maladie à toutes les personnes handicapées titulaires de la carte d’égalité des chances.»
Le troisième élément est la définition d’une stratégie de mise en œuvre de la modalité assurantielle. Le «Projet» dit ceci : «Nous promouvrons le développement des mutuelles de santé communautaires articulées aux coopératives agricoles et d’élevage avec le maintien de la cotisation annuelle individuelle de 3500 F.» Le mérite du document est d’avoir défini une vision, mais surtout de proposer la stratégie de sa mise en œuvre.

Le quatrième élément, qui démontre la faisabilité du modèle, est le modèle économique sous-jacent. Il est facile d’avoir une vision et une stratégie, mais il est encore mieux de l’adosser à un schéma de financement. Je cite les termes du «Projet» : «Nous proposons un système mixte dont le financement repose à la fois sur l’impôt et les cotisations sociales par l’élargissement du principe de solidarité à tous les salariés du public et du privé.»

Le cinquième élément est le cadre de gouvernance de la stratégie. Sous Macky Sall, ce fut toujours une gestion d’une certaine administration publique. Mais sous le modèle du «Projet», la stratégie est bâtie sur un socle de partenariat entre l’Etat (ministère), les collectivités territoriales, les communautés à travers les mutuelles de santé et les coopératives, les partenaires, le secteur privé, etc.
Un modèle qui a une finalité double, au plan social et au plan économique
Le modèle fait d’une pierre deux coups, un coup au plan social par le biais de la mutuelle de santé qui est un instrument social par excellence et un autre avec les coopératives agricoles et d’élevage comme leviers économiques. Cette combinaison présente une certaine intelligence fonctionnelle. Les coopératives garantiront à la fois la performance de la mutuelle de santé à travers les adhésions systématiques et de groupes, ainsi que le recouvrement des cotisations puisque la cible est économiquement solvable. Mais d’un autre côté, la mutuelle de santé garantira à chaque membre des coopératives une meilleure protection de revenus tirés de l’activité économique. L’existence de ces deux (2) instruments structurants dans chaque commune du Sénégal a des impacts probants. Avec l’émergence d’une économie locale structurée et soutenue, il y aura un mieux-être et par conséquent une diminution de l’exode rural. Ce sera aussi une grande opportunité de développer la citoyenneté et l’esprit de don de soi pour la Patrie avec la mobilisation de tout un chacun.

Fondement et description du modèle «territoire-filière»
Sur quoi se fonde le modèle ? En théorie, le choix de l’assise sociale pour le développement d’un modèle d’assurance maladie pour tous devant servir de base aux cibles du secteur informel et rural en majorité est d’une grande portée stratégique. Dans la conception du modèle, il est relevé une combinaison intelligente de deux options : l’option de passer par le territoire comme la commune et l’option des filières (agriculture, élevage) à travers les coopératives et assimilées. Ce qui permet de tirer profit d’avantages comparatifs du territoire et des filières organisées dont les coopératives agricoles et d’élevage en milieu rural ou des organisations socio-professionnelles en milieu urbain. Parmi les critères qui peuvent motiver ce choix stratégique, il y a les critères (i) d’universalité (couverture de tous les Sénégalais), (ii) d’équivalence structurelle au plan national, (iii) d’utilité économique et sociale (v) d’environnement décentralisé.

Que contient le modèle : Il tourne autour de plusieurs éléments interdépendants
Mobiliser et engager toutes les communautés dans l’effort de construction nationale autour des mutuelles de santé communautaires couplées aux coopératives agricoles et d’élevage : A l’intérieur des communautés, il existe des valeurs ambiantes se basant sur la proximité, notamment celles de solidarité et d’entraide pour engager et soutenir l’investissement des populations dans la santé et dans les modèles coopératifs. La mobilisation des acteurs et l’exercice effectif du contrôle social sont possibles avec ces communautés.

Bâtir le système d’assurance pour tous et des coopératives en se fondant d’une part sur les solidarités ambiantes dans nos villages et nos quartiers, et la solidarité nationale
Chaque sénégalais (informel) s’affilie à 3500 F par année auprès de la mutuelle de santé ;
Chaque salarié de l’Etat et du privé contribue mensuellement dans la solidarité nationale ;
L’Etat appuie pour les personnes handicapées et les groupes vulnérables sur la base du budget et de l’impôt.
Offrir à tous les Sénégalais une prise en charge de leurs dépenses de santé avec un contenu qui protège efficacement les revenus des ménages contre les dépenses catastrophiques liées à la maladie à travers un paquet de bénéficies étendu intégrant les soins coûteux et en mettant l’accent sur la santé de la mère et de l’enfant et les personnes vulnérables.

Construire en même temps la solvabilité de la cible à travers les coopératives agricoles et d’élevage et assimilées : Dans le contexte d’une économie informelle, l’une des contraintes majeures à un projet d’assurance universelle est la faiblesse et l’irrégularité des revenus de la cible. Avec la promotion de coopératives et assimilées, le modèle lève en même temps la contrainte de performance puisque les cibles auront les moyens de cotiser dans la mutuelle de santé.

Un financement principalement endogène autour des cotisations, des subventions de l’Etat, des Ct, des salariés du secteur formel et du secteur privé au nom des solidarités ;
Bâtir sur un socle de partenariat entre Etat (ministères), les collectivités territoriales, les communautés à travers les mutuelles, les coopératives, les partenaires, le secteur privé, etc.

Quelle est la plus grande menace pour la réalisation d’une telle vision ?
Sous le Pr Macky Sall, la boulimie autour de postes publics et d’avantages matériels avait poussé l’Administration à s’accaparer de tout. Des domaines d’activités qui relevaient de l’intervention communautaire ont même été versés dans les compétences de l’administration publique. Tout est publicisé, c’est-à-dire géré par quelques fonctionnaires de l’Etat au détriment de millions d’acteurs communautaires. C’est ce qui avait amené la dissolution des Asufor (Associations d’usagers des forages) au profit de quelques opérateurs privés et d’une agence publique.

Aujourd’hui, à travers cette vision, la gestion proprement dite est du ressort des millions d’acteurs à la base solidaires dans les communes autour des mutuelles de santé, des coopératives agricoles et d’élevage. L’administration publique tentera par tous les moyens de tout prendre et tout gérer au lieu de se renforcer dans les fonctions d’appui, d’encadrement et de régulation. Ceci est la plus grande menace.

Conclusion
Le modèle d’Assurance maladie pour tous basé sur la combinaison «territoire» et «filière» fait d’une pierre plusieurs coups. Il permet un accès aux soins à tous les Sénégalais, mais il impulse le développement local à travers les coopératives et filières, impactant économiquement chaque Sénégalais, freinant ainsi l’exode rural et promouvant la citoyenneté et le don de soi pour la Patrie.

 

Il s’agit d’une approche par les parties prenantes comme stratégie de mobilisation et de responsabilisation des acteurs qui est une partie intégrante de la démarche de développement territorial. Les territoires ne fonctionnent que par le jeu des acteurs qui y vivent, y travaillent. En effet, ce sont les acteurs qui portent les projets, qui les formulent et qui les mettent en œuvre en relation avec les politiques nationales et les forces du marché (au sens de la demande externe).

C’est une vision de rupture avec un Sénégal où toutes les politiques publiques sont mises en œuvre par l’administration publique snobant les communautés et avec des budgets à milliards et sans aucune efficacité. Cette vision réalise un rêve, celui de voir une émergence du Sénégal d’en bas, un Sénégal de tous, un Sénégal pour tous fidèles à sa devise : un Peuple, un But, une Foi.
Mamadou MBAYE
Juriste, Financier, Intervenant communautaire
Expert Cmu
Co-concepteur Cmu au Sénégal
Membre du groupe Csu en Afrique
Ancien Directeur national de l’Assurance Maladie
Conseiller Technique