Astronomie : Dialogue spatial à Dakar
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Dans le monde actuel, les ressources ne se limitent pas qu’à ce qu’offrent la surface de la terre et les profondeurs. L’espace, aussi, se creuse. Dakar sonde le firmament. Avec l’Union africaine. Avec l’Union européenne. Les deux structures tiennent depuis hier le 1er Forum sur le dialogue spatial.Par Moussa SECK –
Son nom est déjà en orbite autour du soleil et gravé dans l’immensité de l’espace. Cette immensité n’invite cependant pas que des noms comme celui de Maram Kaïré. Elle invite aussi les Etats, les organisations d’Etats et les privés à l’investir. Mais, encore faudrait-il que l’ambition spatiale soit discutée, éclairée par des calculs précis, pour ne pas dire des plans bien ficelés, qui facilitent sa mise en œuvre. Aussi en appelle-t-elle à des synergies vu son ampleur. Et précisément, au Sénégal depuis hier et jusqu’au 26 octobre, s’est ouverte la première édition du Forum sur le dialogue spatial. L’Agence sénégalaise des études spatiales (Ases), les commissions de l’Union africaine et de l’Union européenne le co-organisent. L’objectif principal de cette rencontre de haut niveau est de dialoguer, de discuter, d’échanger, de partager, en vue de construire une vision commune pour permettre «à nos Etats et à nos populations de tirer le maximum de profit des avantages incommensurables du spatial». Incommensurable, dit Maram Kaïré, est ce qu’offre l’immensité de l’espace. Nécessité, alors il y a, de «convaincre les institutions, les décideurs, les représentations de fondations, le secteur privé» du fait «que l’investissement dans le spatial est un investissement gagnant sur le devenir de l’Afrique».
Investissement, certes ! Et des chiffres existent, témoignant de la dimension du marché de l’infini au-dessus des têtes. «En effet, les ressources financières générées par le secteur spatial en 2022 sont estimées à 424 milliards de dollars. Le volume des ressources est en hausse permanente depuis plus de deux décennies et va doubler dans les dix prochaines années», renseigne M. Amadou Ba, qui a présidé la cérémonie de lancement. Le Premier ministre constatant, fera remarquer que «c’est ce qui justifie la place prépondérante que les grandes puissances accordent aux activités spatiales». Et, c’est aussi pour cette raison que la 26ème Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, tenue le 31 janvier 2016 à Addis Abeba, avait adopté l’initiative de la politique et de la stratégie spatiales africaines dans le but de développer l’activité spatiale à la portée des Etats africains et d’impulser un écosystème favorable à l’investissement privé. Ainsi le Premier ministre a-t-il rappelé que le continent ne veut pas être spectateur : la vue de son télescope vise là où se pose la vision des autres acteurs du monde. Et pour ce faire, «l’Afrique a impérativement besoin de science et de technologie», insiste M. Kaïré, soulignant que «nous sommes tenus à présent de produire massivement de la science et de la technologie, mais en rapport avec tous nos partenaires». Le Dg de l’Ases reviendra dans son discours inaugural sur l’importance de la «constitution d’un point de vue africain, élaboré à partir des intérêts du continent et de son avenir, en particulier de ses relations avec le reste du monde». Le dialogue de Dakar y aidera car, rassure M. Kaïré, «il ne s’agit pas d’une rencontre de plus», sachant que «ses objectifs ont été clairement définis».
Pas une rencontre de plus, mais, en outre, pas une rencontre où l’on s’est rendu sans rien mettre sur la table. L’Afrique a des chiffres, concernant l’espace, et qui n’en demeurent pas moins des preuves que ses dirigeants ne remplissent pas l’espace que de vœux : l’action a suivi les intentions. «L’industrie spatiale africaine est évaluée à près de 20 milliards de dollars et emploie plus de 18 mille personnes.» Ces chiffres datent de 2022. «En 2023, environ 45 satellites ont été lancés par les Etats africains.» On vise plus de 160, prochainement. «Plus de 81 projets d’application spatiale sont actuellement mis en œuvre dans tout le continent dans les domaines de l’observation de la terre et des communications par satellite, 221 entreprises spatiales et navales dans 31 pays utilisent les technologies d’observation de la terre.» Entre autres chiffres donnés par docteur Tidiane Ouattara, qui a représenté la Commission de l’Union africaine.
150 milliards d’euros, l’appui européen via le Global Gateway
Les ressources naturelles sont à gérer, et user des méthodes traditionnelles n’est pas l’idéal. Les surfaces marines, de même que les zones côtières, sont à surveiller, sans parler de la mise en valeur des ressources marines. Pour mener à bien toutes ces activités, «l’espace est un outil idéal», dit Dr Ouattara, qui parle de «bâtir un continent spatial». Le partenaire européen accompagne la dynamique. L’Union européenne et l’Union africaine ont un partenariat très étroit dont les grandes lignes ont été tracées en février 2022 par les chefs d’Etat et de gouvernement dans le dernier Sommet Ue-Ua. Dans ce sommet, il y avait un grand effort qui a été fait, qui s’appelle le «Global Gateway». «Il s’agit, selon ce qu’en dit Jean-Marc Pisani, de 150 milliards d’euros pour soutenir les efforts de l’Union africaine sur un ensemble de projets structurants dont les infrastructures.» L’ambassadeur de l’Ue auprès de la République du Sénégal appuie sur l’idée que «le domaine spatial a de l’impact», de par la couverture satellitaire qu’il permet et qui complète une certaine connectivité terrestre. «Cette couverture satellitaire a énormément d’implications sur des défis communs à l’Europe et à l’Afrique», dit-il. Deux défis seront alors cités par M. Pisani : les transitions digitales et la transition verte. Changement climatique, déforestation, protection des mers, pollution aérienne… «Dans tous ces domaines-là, le spatial à son rôle à jouer», assure celui qui considère qu’il «il est très important qu’on ait ce dialogue avec nos amis africains pour pouvoir échanger sur leurs priorités, les nôtres, qui sont souvent les mêmes, et voir comment ensemble on peut résoudre et comment la technologie spatiale peut nous aider à les résoudre».
Sur le plan pratique, l’Ue appuie à travers le Global Gateway : «ce sont des efforts d’appui aux capacités institutionnelles africaines, ce sont des efforts d’appui au secteur privé et ce sont des efforts d’appui en infrastructures qu’on va faire ensemble avec nos partenaires africains», termine l’ambassadeur.
Le fait que la capitale sénégalaise abrite ces échanges autour de l’espace est en soi un signe de leadership. Le Sénégal est la 22ème agence spatiale africaine, la plus jeune aussi. «Et de mémoire, c’est la première fois qu’en moins d’un an après la création d’une agence spatiale, les décideurs des continents africain et européen se retrouvent dans un pays pour discuter de l’avenir de la collaboration et des stratégies futures pour le spatial», se félicite Maram Kaïré. «Nous avons été témoins du lancement de l’Ases et du discours visionnaire du Président Macky Sall, qui a suscité un regain de motivation de la communauté spatiale africaine», dira pour sa part docteur Tidiane Ouattara. Il louera aussi les actions de l’Ases et ses actes majeurs, «qui ont entraîné un bond quantitatif et qualificatif du spatial africain, plaçant du coup le Sénégal dans le concert des nations spatiales émergentes».