Ce ne sont plus que des chansons. L’université fait parler autrement Kiné Lam, ses textes, sa musique. Elle les fait parler, via un hommage, en termes de cours magistraux.Par Moussa Seck – 

Une fille dans le public. Qui sait sûrement chanter. Mais, que son mentor compte confier à plus expérimenté. Un certain Serigne Saliou, espérant que ce dernier puisse aider la chanteuse en herbe à vaincre le trac. Au-delà de ce Serigne, elle a de qui s’inspirer. Elle est au premier rang, face à la dame en bleu, maquillée mais pas trop, avec de la parure jaune. Caméras et appareils photo sur elle braqués. Plus de lumière, salutations, chuchotements : elle, c’est quelqu’un. C’est une voix. Une Kiné qui a soigné plus d’un par ses chants. Une Lam qui n’a jamais tranché pour faire mal. Kiné Lam, passerelle tradi-moderne, on attendait. Elle est là, dans l’amphithéâtre Kocc Barma Fall de la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (Fastef). Parce que le répertoire de la dame est d’une richesse qui l’y invite, le Groupe de recherches sur les expressions culturelles contemporaines (Gre2c), s’est proposé de s’y pencher. La pédagogie du bien et la didactique du beau seront ainsi pistées dans le répertoire de la chanteuse. Et parce que Kiné Lam n’est pas qu’une chanteuse : elle est la Fastef. Elle l’est, en ce sens que ladite faculté «a mis la question de l’éducation au cœur de ses préoccupations», et en ce sens que «ce combat que nous portons également est le combat de la diva». Parole du doyen, Moustapha Sokhna.

Kiné, l’âme de la médiation culturelle
Ce sont donc des docteurs dans leur domaine qui parlent de celle qui a vu son nom, depuis ses débuts, lié à celui de Mame Bamba. Docteurs, parmi lesquels Kalidou Sy de l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Pour lui, la musique «est un moment de plaisir, mais c’est aussi un moment pendant lequel la société fait face à elle-même et se donne les moyens de se régénérer ». Mais encore faudrait-il avoir une main qui tende à cette société le miroir où elle se verra. La voix de Kiné Lam est une de ces mains, un de ces miroirs. De cette musique «arc-boutée à la société sénégalaise», elle sera citée, à côté de Yandé Codou Sène, en symbole par le Sanarois. Et, «c’est pourquoi l’essentiel de leurs créations est presque des sortes de remix de ce qu’on entend dans les foyers, les rues, dans les groupes sociaux». Musique qui berce d’une part : récréation, dit Kalidou. Musique qui reflète la société et l’appelle à la régénération d’autre part : re-création, dit Ly.
Kiné Lam Mame Bamba ne fait uniquement pas des textes et de la musique dans l’entendement des profs qui l’honorent. Elle, ses textes, sa musique tissent des passerelles entre la cour des rois et le parvis des daaras. Elle, sa voix et ses chansons ont valeur d’archive sonore parce qu’elle donne à exhumer de l’histoire. On a parlé dans l’amphithéâtre d’un projet étatique de bibliothèque nationale. Un universitaire y a souligné l’importance de prendre en compte les livres parlants, en plus de ceux muets. La diva était là entre les deux projets, livre d’histoire qu’elle est, et pour anticiper au cas où on s’interrogerait sur la faisabilité. Elle était là, représentant son monde, au sein de celui universitaire, au cas où, encore, on douterait de la possibilité de faire s’effondrer les barrages. Kiné alors, l’âme de la médiation culturelle…

Kiné, l’âme des maam
Le mariage est un moment propice à la création poétique a, dans son intervention, souligné M. Ibrahima Faye de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Dans le répertoire de la poétesse populaire étudié par l’Université, ce thème occupe une place importante. Pour I. Faye, Kiné Lam s’assimile à un réceptacle de ce que la société dans laquelle elle évolue a comme conception, en ce qui concerne le mariage. Aussi n’a-t-elle pas que reçu et digéré ce legs : elle est courroie de transmission. Kiné Lam et ses textes s’inscrivent ainsi, selon M. Faye, dans une dynamique de construction des imaginaires. «Sëy xare la», texte phare de la dame ce point concernant, sera décortiqué sur place pour rendre compte de ce que la chanteuse a rendu compte de ce qu’elle a reçu. Qu’elle a transmis. Mais, «sans manquer d’exprimer ses regrets» concernant «les mutations opérant dans le système matrimonial», et s’adressant à ces générations nouvelles évoluant dans une époque d’exportation culturelle. Regrets, certes ! Mais la Kiné n’a jamais cessé d’apporter aux maux le remède des mots. M. Alioune Badara Guèye, sur ce point :  «Avec ses chansons, Kiné Lam panse les plaies d’une société qui traverse au mieux une crise d’identité, au pire, une crise des valeurs où les notions de respect, d’humilité et d’amour tendent à disparaître au profit d’une compétition malsaine et d’un manque de respect et d’engagement, notamment dans les relations interpersonnelles et les comportements.» Cf, nimay doxee.

Kiné, l’âme dans la médiation continuelle
Dogo l’homme, Dogo le titre. Dogo, on y pense forcément, lorsqu’on évoque le mariage et les relations interpersonnelles dans le répertoire de Kiné Lam. L’homme fut pour sa dame un soutien, un ami, un époux. Hommage lui sera rendu déjà de son vivant via ce titre. Un titre ? Un hymne à l’amour !, dira Alioune Badara Guèye. Un hymne chanté mais mieux, pratiqué. Evoquer alors Dogo, c’est provoquer un jeune sourire sur le visage vieillissant de sa veuve. On apercevra aussi la nostalgie traverser son visage, lorsqu’elle-même s’entend, via une musique en sourdine qui remplit l’amphi, évoquer Cheikh Tidiane Tall. Et on la verra pleurer en parlant de sa maman. Kiné alors, l’âme dans la médiation continuelle.