Vu le contexte socio-politique lourd qui pèse sur le pays, la banalisation de la violence et les propos haineux, il est impératif d’impliquer les journalistes et les défenseurs des droits de l’Homme dans la lutte contre les discours de haine, particulièrement en cette période de campagne électorale. Présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) du Sénégal, Pr Amsatou Sow Sidibé appelle les professionnels des médias à faire preuve de responsabilité et de professionnalisme.Par Ousmane SOW –
Que faire pour lutter contre les discours de haine au Sénégal, surtout en cette période de campagne électorale ? La Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs), en collaboration avec le Haut-commissariat des Nations unies et la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) du Sénégal, a lancé, mardi dernier, un manuel de prévention des discours de haine. Ce guide vise à renforcer la responsabilité éthique et professionnelle des journalistes, hommes et femmes des médias. En effet, au Sénégal, il est important de faire attention aux expressions qui désignent les nationalités étrangères par des expressions qui peuvent être dévalorisantes. Par exemple, indique le manuel de prévention des discours de haine au Sénégal, remis à la presse, pour le Guinéen éviter le mot «Ndéreng», ou encore pour le Camerounais ou les Africains d’Afrique Centrale «Niack». «Ndéreng» comme «Niack», rapporte le document, sont perçus comme des offenses et des termes péjoratifs par les personnes qu’ils désignent. D’abord, en ce qui concerne les communautés nationales, les dénominations qui désignent des ethnies doivent être évitées dans la relation et le narratif des articles et reportages, si elles visent à stigmatiser un groupe. «Le Diola, le Sérère, le Peul, les Sudistes : on doit tout simplement dire les Sénégalais», précise le document. De même, les mots «politicien» et «politicienne» aussi ont fini de prendre une connotation péjorative. La Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) du Sénégal, dans son document, préconise d’utiliser à la place «l’homme politique» et la «femme politique». Pour la Cndh, le mot politicien est désormais supposé désigner quelqu’un qui trompe les gens, quelqu’un qui ment aux populations. Egalement, le mot «enseignant» aussi, ajoute le Cndh, au gré des grèves de ce corps comme au gré de la perception majoritaire de la population qui veut qu’un enseignant soit quelqu’un qui parle beaucoup : «Nous préconisons d’utiliser l’éducateur, le corps éducatif, le formateur, les formateurs.»
Dans le champ politique, au lieu «d’ennemis politiques» pour parler des gens qui ne sont pas du même camp, la Cndh préconise de parler d’adversaires politiques. «Dans l’élaboration de ce lexique pour identifier les discours de haine dans les médias, il est essentiel de trouver un équilibre entre la protection de la liberté d’expression et la garantie de la cohésion sociale», assure la Cndh dans son document, rappelant que la presse sénégalaise a souvent joué un rôle essentiel dans le discours politique, que ce soit lors des processus et cycles électoraux présidentiels, législatifs au locaux. «La presse sénégalaise à un rôle essentiel à jouer dans la protection de notre démocratie. En tant que gardiens de l’information, les journalistes doivent être conscients de la portée de leurs mots, discours. Et bien, le lexique va permettre à nos journalistes, hommes et femmes des médias, de renforcer leur responsabilité éthique et professionnelle», informe Pr Amsatou Sow Sidibé.
«Il faut éviter de faire dans la stigmatisation»
Présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) du Sénégal, elle a rappelé que le Sénégal est présenté comme une «vitrine démocratique» en Afrique. Mais avant l’élection présidentielle de 2024, il a été noté que les discours de haine ont envahi les médias et contribué à l’augmentation des tensions sociales. Bien sûr, ce constat alarmant appelle à une vigilance accrue de la part des journalistes, qui doivent jouer un rôle central dans la préservation de la démocratie. «Je vous invite à poursuivre ce travail de diffusion de l’information, de sensibilisation et de vigilance. Nous comptons sur votre engagement pour relayer des valeurs de respect, de justice et de solidarité. Et nous restons à votre disposition pour une collaboration future dans cette mission commune», a-t-elle lancé. Professeure de Droit et agrégée des Universités, elle rappelle aussi les leçons du passé, évoquant le rôle tragique de la radio Mille Collines lors du génocide rwandais. «Nous devons œuvrer pour un Sénégal où les discours de haine sont combattus et où les médias deviennent des vecteurs de paix et de cohésion sociale», évoque Pr Amsatou Sow Sidibé. En écho, le président du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (Cored), Mamadou Thior, a ajouté que l’autocensure est parfois un outil nécessaire pour éviter la propagation de la haine. «Nous faisons notre travail certes, mais dans certaines situations, l’autocensure est une arme pour les journalistes. Il ne faut pas rapporter les discours incendiaires qui mettent le feu aux poudres. Les appels à la haine, c’est inacceptable pour nous», fait-il savoir, tout précisant que le manuel vient à point nommé, «parce que souvent les gens commettent des impairs sans le savoir, mais il y a aussi ceux qui le font exprès. Il faut éviter de faire dans la stigmatisation».