Quand le chef d’Etat-major des armées françaises accorde une interview au quotidien français le Monde, on peut être au moins sûr de deux choses. Premièrement : l’Elysée a donné son feu vert. Deuxièmement : le Château a validé le message à faire passer. C’est pourquoi tous les responsables politiques et militaires du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest en général devraient lire, analyser et surtout décrypter le message du Général François Lecointre, chef d’Etat-major des armées. «Il n’y aura pas de victoire militaire éclatante (…) Si on n’admet pas qu’une action militaire fait partie d’une action politique globale, cela ne sert à rien de s’engager», nous dit le Général Lecointre. Au-delà du fait de nous rappeler la bonne sagesse de Clausewitz, à savoir que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, le chef d’Etat-major exprime une certaine lassitude de la France, qui estime qu’après avoir contenu militairement les hordes jihadistes depuis 2013, il est temps que le Mali se hâte pour trouver une solution politique et arrête de sous-traiter sa sécurité, soit à la France soit au G5. Le fardeau devient quand même lourd car, sur les «7000 soldats français déployés à l’étranger, Barkane en mobilise la moitié» d’où «l’insistance pour faire revenir les forces maliennes dans la zone des trois frontières (le Liptako) car les bandes armées prospèrent en l’absence d’Etat». En termes clairs, le Général touche du doigt le problème fondamental de notre voisin : l’absence d’Etat et une armée en lambeaux, qui peine à se relever depuis plus de 6 ans. Pour que le message soit reçu cinq sur cinq, le Général ajoute : «On met la pression pour faire aboutir les offres politiques.»
Justement, c’est là que le bât blesse, le gouvernement malien ne mesure pas la gravité de la situation et les jihadistes ont un allié de taille : le temps, et le Général semble le confirmer en disant : «Nous menons des guerres dans lesquelles on ne signe pas de paix.» Les jihadistes savent que la France partira un jour, soit à la suite d’une alternance politique ou d’une décision dictée par l’opinion à la suite de mort de soldats. L’opération Barkane s’explique entre autres, par la volonté de la France de «contenir les terroristes hors de France». Cela veut dire que pour la France, Barkane relève à la fois de la sécurité nationale, mais aussi de la politique extérieure alors que pour nous Sénégal, un pays de la ligne de front, c’est un problème de sécurité nationale. De Serval à Barkane, la France est militairement dans le Sahel depuis 6 ans et vu la lassitude qui transperce dans les propos du Général Lecointre face au refus des Africains de se faire sevrer, on s’achemine vers un sevrage militaire brutal. La France contient la horde jihadiste depuis 6 ans. Il est peu probable qu’elle reste encore 6 ans. Et il est plus probable que le Mali ne se relèvera pas militairement dans les 6 ans, d’où la nécessité pour le Sénégal de se préparer à cette éventualité.
Gouverner, c’est prévoir, mais «défendre c’est prévenir». Prévenir aujourd’hui, c’est prendre nos dispositions pour nous préparer à cette guerre de l’Est, qui se gagnera dans les airs. Les guerres du Sud (Gambie, Casamance, Bissau) ont été des guerres de fantassins, celle de l’Est se gagnera dans les airs. S’y préparer a deux mérites : la dissuasion et être prêt au cas où la dissuasion ne suffit pas. L’interview du Général Lecointre est d’une clarté brutale. Un pays avertit en vaut deux.

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