Beaucoup de lecteurs comme nous, ont bien été étonnés de voir que «Le Quotidien» n’est pas présent dans la liste des médias reconnus par l’Etat du Sénégal, l’Etat Pastef plutôt. Le ministre de la Communication s’est livré à un exercice unilatéral dont seuls les autocrates ont le secret, de mettre en place une plateforme d’identification ou de certification des médias, sans aucune forme de concertation avec les acteurs concernés en premier lieu. Cette initiative vicieuse avait été dès son début, contestée aussi bien par l’Appel que par le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), tant dans la forme que dans le fond. Sans aucune concertation, on a voulu nous faire soumettre des données sur un outil, avec des documents à l’appui dont la majorité des médias n’étaient pas en possession. Pour preuve, un quitus fiscal en règle était à fournir au moment où tous les médias étaient en contentieux avec les services des Impôts, avec des comptes bloqués. On réclamera des états financiers également dont chacun est libre de verser toute la paperasse comptable voulue.

Liste «provisoire» des médias reconnus : LE SALL COUP DE L’ÉTAT

Je ne m’attarderai pas sur tous les dysfonctionnements techniques de la plateforme mise en place par le ministère de la Communication pour inviter les médias à s’enregistrer. On peut demander à des gens de se conformer à une règle, mais si on n’est pas en mesure de mettre en place un outil sérieux pour que les organes s’enregistrent sans intervention du Directeur de la communication et un soutien technique… On ne saurait être plus ridicule ou du moins, à la quête de sang pour en finir avec des médias. C’est dire les insuffisances de toute cette démarche. On savait que le ministre avait sa liste de médias «fréquentables» déjà arrêtée, il ne se gênera pas dans sa sortie, d’avoir en ligne de mire comme sanction l’impossibilité pour les médias considérés «illégaux» de collaborer avec les structures de l’Etat ou d’avoir accès à la commande publicitaire de tous les détachements étatiques. Le waterboarding des médias ne prendra donc jamais fin, je plains les femmes et hommes des médias de ce pays.

Sur 380 demandes, 112 validées par le ministre de la Communication : Le Quotidien, 7Tv, Sen Tv, L’As… parmi les médias exclus

Il aurait pu, avant tout ce tapage médiatique et ce bruit stérile, consulter auprès de ses services les dossiers soumis par les médias dans le cadre des procédures d’allocation de l’aide à la presse. Il aurait pu se rendre compte qu’il avait déjà au niveau de la commission en charge de ce dossier, une mine d’or d’infos sur l’activité économique des médias, leurs orientations éditoriales et l’information nécessaire sur leur structuration. Je peux bien en parler, pour avoir rempli cette procédure toutes ces quatre dernières années. Mais, ce serait lui demander de bien faire son travail.

Comme tout crime lâche, le ministre Sall n’aura pas le courage de le signer tout seul, en se faisant encadrer par une suite d’obligés. Décevant de voir le Cored ou la Commission nationale de la carte de presse signer ce crime fratricide. C’est une liste qu’il fera ensuite tourner dans les rédactions et sur les réseaux sociaux pour poursuivre dans sa logique d’adversité. On ne peut faire plus dans le ridicule, dans l’arbitraire et dans la volonté de taire des voix que de vouloir coller l’étiquette d’illégalité à des médias qui font l’histoire vivante de ce pays depuis des décennies par leur professionnalisme, leur rigueur, leur credo de conformité des faits et d’objectivité dans les analyses. Maïmouna Ndour Faye, frappée également du tampon infâmant de responsable de «médias illégaux», criera à la conférence de presse du Cdeps hier, son amour pour la profession de journaliste et sa logique de ne jamais transiger avec ses principes. Sa démarche est noble, d’autant plus que nous évoluons dans une corporation où il est devenu difficile de se serrer les coudes et de faire cause commune.

Lire la chronique –Cultiver enfin la  transparence

Le ministre Sall s’essaie aux vêtements de la dame Anastasie, armée de ses ciseaux de la censure pour ouvrir un nouveau front avec les médias, ou je dois dire, certains d’entre eux. Après la pression fiscale, les résiliations unilatérales de contrat, le refus de payer les factures publicitaires et les prestations effectuées, la publication de cette liste de médias reconnus par l’Etat selon leur conformité au Code de la presse est un nouveau pas d’une entreprise de musellement de la presse et de fragilisation de toutes les plateformes où peuvent se faire entendre des voix contraires. Le ministre Sall vient de signer un acte totalement illégal, nullement conforme à la Constitution du Sénégal et au Code de la presse. Le Cdeps est en droit d’attaquer cet acte au niveau des juridictions sénégalaises pour abus de pouvoir, et nous ne ménagerons aucun effort dans cette lutte au niveau du journal Le Quotidien.

Le Sénégal était un paradis de démocratie, de liberté d’opinion et de presse, on peut comprendre que cela ne puisse pas passer dans le crâne d’un concitoyen qui végétait sur les plages de Marbella avant de monter à Paris et y avoir un business de téléphones portables, pour finir par être propulsé par effraction ou par magie du politique, dans notre Parlement puis à une station gouvernementale.

Notre soutien va à tous les acteurs des médias qui font les frais de l’arbitraire de l’Etat du Sénégal. On nous a tous vendu une rupture systémique, mais pour l’heure cette rupture est synonyme de bâillonnement de la presse, de réduction des libertés et d’atteinte au modèle démocratique sénégalais. Les temps sont durs pour nous, avec tout ce qu’il faut pour nous asphyxier économiquement et nous jeter à la vindicte populaire. Je me rappelle tragiquement les lignes du livre de Kathryn S. Olmsted intitulé The Newspaper Axis: Six Press Barons Who Enabled Hitler. Elle y montrait que les patrons des organes qui ont porté Hitler, auront été les premières victimes de l’entreprise de musellement de la presse sous le Troisième Reich. C’est tragiquement similaire au cas sénégalais. Je ne peux que rire quand c’est Alioune Sall qui quémandait des interviews aux reporters et cadreurs dans les allées du Parlement sénégalais, qui se veut bourreau de toute une corporation.

Quand des hommes disent non, ils sont debout. Vous aurez en face de vous des hommes libres, droits dans leurs bottes, amoureux du Sénégal et surtout qui ne flancheront pas. Ciseaux entre vos mains, cousez votre voile de la censure comme bon vous semble M. Sall. Je reste motivé par les mots de notre fondateur et premier soutien, M. Madiambal Diagne. Ce canard sera publié jusqu’à notre dernière chemise. C’est une question de principe, de liberté et c’est une certaine idée du Sénégal qu’il porte. Cela, le ministre Sall, promoteur de la censure et bourreau de médias, sera contraint de le comprendre.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn