Nous étions rentrés de l’expédition de la Coupe d’Afrique de football organisée au Caire en 2019, avec une grosse frustration dans nos valises. Dans une chronique en date du 22 juillet 2019 intitulée : «Panser nos plaies d’Egypte», nous écrivions : «Nous y avions cru. Tout le Sénégal pensait que cette fois serait la bonne, car nous tenions le bon groupe et les étoiles semblaient s’aligner pour nous donner le graal. Le Sénégal n’avait qu’un objectif en allant au Caire, c’était celui de gagner la coupe. Nous ne voulions nous suffire de rien d’autre. (…) Depuis plusieurs années, les footballeurs ne rentrent plus de compétitions internationales en ruminant leur colère pour n’avoir pas été mis dans des conditions de performance ou que l’Etat a failli à telle ou telle mesure pour garantir le succès. Le Sénégal a fini de régler les petites querelles des vestiaires, jadis minés par des problèmes de primes, d’ego, de filles ou de sorties nocturnes de joueurs en virée dans les boîtes de nuit. Tout ce dont l’équipe aurait pu avoir besoin avait été mis à la disposition des responsables, par l’Etat du Sénégal. Le Sénégal qui n’était pourtant pas le pays le plus nanti des 24 pays nations dans la compétition, a mis ses joueurs et encadreurs dans des conditions que leur auraient enviées toutes les autres équipes. Le Sénégal devra aller chercher cette coupe en 2021, au Cameroun. Il faudra se préparer pour cet objectif et on ose espérer, une fois de plus, que les prédicateurs à la petite semaine se tairont. (…) Est-ce que les sacrifices recommandés çà et là et les prédictions et autres assurances ont permis aux joueurs de Aliou Cissé de soulever le trophée continental ? (…) Il nous faut nous préparer, il nous faut travailler, il nous faut être résilients, en mettant encore davantage de moyens à la disposition de l’Equipe nationale de football. Les résultats sont acquis avec de la chance, du talent mais sans les moyens rien ne sera possible.»
«On cesse toujours d’être le numéro un mais on ne cesse jamais d’avoir été le premier» (Frédéric Dard)
Le Président Macky Sall, qui aura à recevoir la délégation sénégalaise avant le départ pour aller prendre part à la Coupe d’Afrique des nations (Can) de football du Cameroun, ne devrait avoir qu’un seul et unique mot à la bouche : «La gagne.» Aucun scrupule, aucune convenance ne devrait être de mise. Il nous faudra afficher de manière claire et précise nos ambitions. Le Sénégal ne devra pas aller à la Can avec l’esprit que l’essentiel sera de participer, pour paraphraser le Baron Pierre de Coubertin, père de l’idéal olympique. L’objectif pour aller au Cameroun, plus que jamais, est de gagner. Nous avons tout pour le faire et franchement, «y’en a marre» d’avoir toujours à applaudir les autres alors que nous avons tout pour être applaudis à leur place.
Une fois de plus, le gouvernement du Sénégal est au rendez-vous. Le Sénégal dispose, de toutes les nations engagées, du plus confortable budget de participation à la Can avec une enveloppe de plus de 10 millions de dollars. Des pays plus riches, n’ont pas autant mis la main dans les coffres de leur Trésor public pour fournir les moyens d’une brillante participation à leur Equipe nationale. Le Cameroun, pays organisateur, affiche un budget officiel de 13 milliards de francs Cfa pour la Can mais quand on examine les différentes rubriques, on se rend compte que le Sénégal a fait mieux que tout le monde pour la prise en charge de ses joueurs.
Sur le plan sportif, le Sénégal se présentera à la Can avec le statut de première nation africaine du classement Fifa. Depuis de nombreuses années, le Sénégal est à la tête de ce classement international. Les statistiques de ses différentes équipes nationales de football pour les qualifications aux compétitions internationales et les matchs amicaux font du Sénégal le mastodonte d’Afrique. De ce point de vue, le Sénégal a battu tous les records de longévité africaine à un tel niveau de classement. Mais jamais nos footballeurs n’ont encore eu à soulever le trophée collectif continental de la Can séniors. Le Sénégal va présenter l’équipe la plus complète, sur toutes les lignes et qui fait rêver. Aliou Cissé a une constellation d’étoiles qui devraient illuminer la participation sénégalaise. Aucune équipe ne déplacera au Cameroun deux gardiens de buts du niveau de Alfred Gomis ou Edouard Mendy. Toutes les équipes du monde aimeraient par exemple avoir un Kalidou Koulibaly dans leur défense ou un Idrissa Gana Guèye dans leur milieu de terrain ou un Sadio Mané ou un Ismaïla Sarr ou un Bamba Dieng en attaque. Les yeux fermés, tout entraîneur de football devrait pouvoir sortir du groupe-Sénégal une équipe performante. Il appartiendra à ces joueurs de tenir leur rôle et de faire honneur à leur belle réputation. Il ne saurait être concevable qu’ils ne montrent pas en Equipe nationale le même niveau d’engagement ou d’investissement personnel dont ils font régulièrement montre dans leurs clubs professionnels. Le Sénégal, avec pratiquement le même groupe de joueurs que lors de la Can du Caire en 2019, avec le même sélectionneur (Aliou Cissé), le même ministre des Sports (Matar Ba) et la même équipe à la tête de la Fédération de football (Augustin Senghor et compagnie) devra avoir appris de ses erreurs, de ses turpitudes et de ses déconvenues. Aucune excuse ne saurait être admise en cas de nouvel échec.
On ne leur apprendra rien en leur disant qu’en sport, l’histoire ne retient que le nom des vainqueurs. «Seule la victoire est jolie», clamait le navigateur Michel Malinosky, après le final de la Route du Rhum en 1978. Certaines catégories de footballeurs sénégalais comme les joueurs du beach soccer ou les footballeurs malentendants ont remporté, au courant de l’année 2021, des trophées continentaux. Que Dieu fasse que l’équipe A de football suive leurs pas ! La victoire au soir du 6 février 2022, sera encore plus belle, gagnée en terre camerounaise, au nez et à la barbe d’autres Lions qui ont la prétention d’être «indomptables» ! Les Ivoiriens avaient, en 1992, d’autant plus savouré leur première victoire en Can, qu’elle avait été acquise à Dakar. N’est-ce pas que la rivalité sportive donne une saveur singulière à certaines victoires ?
Une coupe pour enfin croire en nous-mêmes
Pendant la campagne décevante de la Coupe du monde de football de 2018 en Russie, nous écrivions, le 26 juillet 2018, dans une chronique intitulée «Les Lions, l’image séduisante du Sénégal», que les performances sportives devraient nous permettre de nous libérer d’un certain mauvais caractère, le «Sénégal bashing». Nous avons cette manie ou cette tare à nous auto-flageller ! Ce n’est pas fermer les yeux sur ce qui ne va pas, mais il faudrait reconnaître qu’il nous arrive assez souvent de faire la fine bouche. 52 autres pays africains auraient véritablement aimé être à la place du Sénégal, alors que si on en juge par les infrastructures sportives, les investissements publics comme privés dans le domaine du sport, la taille de l’économie ou la démographie, le Sénégal n’aurait pas pu jouer les premiers rôles en Afrique».
Aujourd’hui, force est de reconnaître que c’est au Sénégal où se fait le meilleur du continent. Tous les autres Africains envient les efforts prodigieux réalisés par le Sénégal, en si peu d’années, pour se doter d’infrastructures publiques (autoroutes, trains, aéroports, hôpitaux, stades, compagnies aériennes, production énergétique). Les succès en matière sécuritaire et de paix sociale et de stabilité politique continuent de faire la réputation du Sénégal. Nous autres sénégalais, sommes assez conscients de pouvoir faire mieux mais on ne taira pas l’émerveillement de nos amis africains qui nous demandent avec un brin d‘admiration : comment avez-vous pu réaliser tout cela sans pétrole ni gaz ? Il ne se trouve pas un Africain qui n’aimerait pas avoir un pied à terre dans ce pays ! Le Sénégal a sans doute besoin d’une liesse populaire, célébrant une grande victoire sportive, pour continuer de croire à son unité, à sa spécificité et à la communion populaire. C’est le lieu d’appeler à une meilleure démocratisation des conditions de déplacement des supporters de l’Equipe nationale. En effet, le sens de l’équité devrait faire qu’il ne doit plus être observé que le gros des supporters transportés, logés et nourris exclusivement aux frais du contribuable sénégalais provienne du fief politique ou des coteries politiques de tel ou tel autre responsable de l’Etat ou de la Fédération sénégalaise de football.
Par Madiambal DIAGNE – mdiagne@lequotidien.sn