Lorsque le Premier ministre, dans le cadre d’une conférence de presse gouvernementale, accuse l’ex-président de la République d’avoir menti et triché dans l’exercice de ses fonctions, il n’a pas seulement insulté la personne de Macky Sall, mais aussi l’institution présidentielle, mais aussi la République. Lorsqu’il traite l’ex-Président de menteur et faussaire, il ouvre une porte qui devrait rester fermée, et donne ainsi l’autorisation aux partisans de celui-ci et aux analystes politiques incrédules de le contredire, en le traitant de même. Et cela, malgré ses mises en garde surprenantes : «Ces questions relèvent de la sécurité nationale…» Mais alors, pourquoi les étaler sur la place publique ? D’autant plus que le Premier ministre est aussi président de parti tout comme l’ex-Président et que se profilent à l’horizon les élections législatives où ils sont tous les deux pressentis comme tête de liste, et que, comme dit Pape Demba Thiam, économiste : «On ne fait pas de la communication politique avec de la finance.» Par ailleurs, la République est dotée d’organes habilités à gérer la question et a prévu les procédures à suivre -si les griefs sont avérés. Ce n’est donc pas au chef du gouvernement de porter l’accusation avec des mots aussi crus, et d’ouvrir en conséquence plus largement la porte puante et antidémocratique de l’intolérance, des disputes haineuses, des polémiques violentes, dans ce Sénégal où toutes les valeurs sont à terre, ce Sénégal où la dénonciation mensongère, les insultes gratuites et la délation sont devenues les occupations favorites, n’épargnant personne, pas même les institutions de la République, pas même les autorités religieuses et coutumières…
Lire la contribution – Le français langue d’islam
Hélas, de cette situation, le pouvoir actuel, au même titre que les précédents, a largement contribué ! Que n’a-t-on pas vu et entendu dans ce pays ? Que n’a-t-on pas subi comme dérapages sous les rires, les chahuts, les regards ahuris et les sidérations ?
Des facultés incendiées, des domiciles saccagés, des cars de transport en commun attaqués au cocktail Molotov, des dizaines de morts, des centaines d’arrestations… On a entendu dire que Senghor, Diouf et Wade devraient être fusillés. Que le pétrole et le gaz étaient pompés et vendus bien avant le démarrage de l’exploitation des gisements. Que l’ex-Président a volé tout l’or de nos mines et qu’il utilisait les tunnels construits par le colonisateur pour convoyer l’argent dérobé. Qu’un certain directeur a tenté de vendre la direction qui lui était confiée… On a entendu dire que les Gamou et les Magal sont des occasions de blanchiment d’argent sale, que les chefs de confrérie sont des faussaires, les résistants à la colonisation des complices du colonisateur…
Que n’a-t-on pas dit dans ce pays ? Et de la part de qui ? Des appels à l’émeute à l’assaut du Palais présidentiel, au saccage de biens publics. Des appels à une dictature «sérieuse, citoyenne et patriote», ainsi que la démonstration de la prééminence du «Projet» sur la Patrie et la démocratie, etc.
Aujourd’hui, hélas (qui l’aurait cru), le nouveau pouvoir -grand pourfendeur de la gouvernance tant décriée de Macky et adepte des protestations oppositionnelles-, devenu allergique aux critiques, interdit les marches de contestation, bloque des voyageurs à l’aéroport sans crier gare, convoque à la police les diseurs de déclarations qui lui sont défavorables, laissant les autres en liberté…
(Or, la critique fait partie intégrante du débat démocratique. Elle vise les actions, les idées ou les productions. Elle peut être aussi précieuse que l’or, si elle est bien pensée. Toutefois, qu’elle soit fondée ou non, bonne ou mauvaise, elle aide sa cible -si celle-ci est intelligente- à se maintenir sur le droit chemin, à avancer, ou bien le cas échéant, à déchoir. Elle est différente de l’insulte, de l’injure et du mensonge qui visent exclusivement la personne et son honneur. D’où l’importance du choix des mots.)
Lire la contribution – Les Lycées Nation-Armée pour la qualité et l’équité (Lynaqe) : Une nouvelle vision de l’éducation au Sénégal et l’avenir du Prytanée militaire de Saint-Louis
Et l’on arrête ceux qui réfutent les affirmations du chef du gouvernement, révèlent les errances et les contradictions du pouvoir Diomaye-Sonko et dissèquent ses contre-performances. On arrête les raconteurs de «la bataille du palais», cependant que les thuriféraires, grands démolisseurs d’opposants, applaudissent et racontent «la bataille de Kaffrine», ainsi que toutes les contrevérités qu’ils veulent, comme ils veulent, sur qui ils veulent, sans être inquiétés. On lapide Farba, Coura et Suzanne Camara, et l’on flatte Azoura, Mollah, Aïssa Camara, Bara et les autres…
Pendant ce temps, Touba patauge dans les eaux, le fleuve Sénégal déborde et envahit les terres cultivées, la mer vomit les corps sans vie de jeunes rêvant d’un ailleurs meilleur. Pendant ce temps, Cheikh Omar Diagne, qui a insulté la communauté mouride et irrité tant de fidèles, vaque librement à ses occupations. Pendant ce temps, les accusations et contre-accusations du ministre Cheikh Dièye et du directeur Cheikh Dieng attendent. Pendant ce temps, les populations souffrent, et le Sénégal, naguère si respecté, devient la risée du monde. Pendant ce temps, l’espoir s’effrite, et l’ivresse du pouvoir, semble-t-il, encore une fois, joue un sale tour au Peuple sénégalais désabusé.
On accusait le régime de Macky de mettre le coude sur les rapports d’audits incriminant ses partisans -hélas, comme dit l’autre, «le régime actuel est en train de mettre le coude sur les acquis démocratiques». On attendait un «changement systémique», on nous propose des «récompenses népotiques», des «sanctions iniques», des «arrestations systématiques». On avait promis la suppression de la caisse noire du président de la République et la réduction du train de vie de l’Etat, on assiste à des envols de l’avion présidentiel à n’en plus finir, des cortèges et des escortes aussi longs que la souffrance des Sénégalais. On parlait de «don de soi pour la Patrie», aujourd’hui la Patrie est zappée et c’est la «guerre des postes dans Pastef». Hélas, comme toujours dans ce pays, le parti a pris le dessus sur la Patrie, la réalité du pouvoir sur les promesses électorales, cependant que, comble de paradoxe, l’Administration prend la défense de la dame Aïssa Camara qui a agressé verbalement l’ex-couple présidentiel dans un vol de Royal Air Maroc… Et le découragement de gagner les cœurs. Et Gorgorlou, oublié, de ployer encore plus sous le poids de sa fatigue légendaire. Et le tambour des batailles politiciennes de battre la cadence. Xrum Xax de se ceinturer les reins. Assane Diouf de reprendre du poil de la bête. Y’en a marre de se réveiller…
Lire la contribution – Monsieur le ministre de l’Education nationale du Sénégal : Que reste-t-il encore de la prestigieuse Maison d’éducation Mariama Ba ?
Et s’amorce l’infernal piétinement. Et la routine de reprendre de plus belle, faisant naître dans les cœurs intelligents une folle envie de vomir face au cirque éternel qui enfonce davantage le Sénégal…
(J’entends les insultes. J’entends la réplique mille fois servie : «On a vu pire sous Macky et les autres !» Je réponds : «Peut-être, peut-être, mais il ne s’agit plus de Macky, ni de Wade, ni de Diouf, mais de Diomaye et Sonko !»)
Or, la priorité devrait être le changement des comportements et le relèvement des mœurs -par l’exemple. Car le développement est le fait des peuples instruits, disciplinés, pétris de civisme et de patriotisme, mais avec des dirigeants engagés, travailleurs, humbles et respectueux des lois, règlements et institutions de la République. Car la révolution, ce n’est pas un changement d’hommes, des gesticulations et des slogans, mais du travail, de la sueur, mais des transformations positives.
Alors, au nom de la République, refermons vite cette porte puante et toutes les fenêtres malodorantes, les caniveaux sales, les égouts dégoulinants, les rigoles infectes. Oublions nos haines et nos rancœurs, renonçons à nos intérêts égoïstes, à la gloriole, aux querelles, et privilégions la concertation et le dialogue, le respect de soi et des autres. Changeons nos comportements et mettons-nous au travail, tous, tant que nous sommes, pouvoir, opposition et Société civile, si notre engagement est sincère, si nous aimons ce pays, si le bien-être des populations nous tient à cœur. Alors seulement, de meilleures routes s’ouvriront à notre Peuple…
Abdou Khadre GAYE