C’est un seigneur des finances publiques qui s’en est allé. C’est la disparition d’une incarnation de la méritocratie sénégalaise. C’est une stature qui nous a quittés, un repère qui s’est effacé, une boussole humaine qui a cessé de nous indiquer la direction.
Ceux qui n’ont pas croisé son chemin ne peuvent avoir aucune idée de qui était l’ancien ministre de l’Economie, des Finances et du plan. Mais Mamadou Moustapha Bâ était tout cela à la fois.
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Le Sénégal perd incontestablement un de ses plus illustres serviteurs. Un authentique sénégalais, un acteur majeur de la vie publique nationale dont les 30 ans d’impact sur la marche de la République seront à jamais incalculables.
D’une compétence égale à son intelligence et à son éloquence, ce digne fils du Nioro du Rip a passé toute sa vie professionnelle à veiller au bon fonctionnement de la machine économique et financière de l’Administration sénégalaise.
La vague de louanges, la surenchère de témoignages et la pluie d’hommages depuis l’annonce de sa disparition sont la démonstration que «Grand Moustapha», comme j’aimais affectueusement l’appeler, était également un ministre du «consensus et de la cordialité», tant son sens du dialogue, de l’écoute et du compromis transcendait les clivages. Il était la sémantique de la civilité et de l’humilité. C’était «la méthode Moustapha». Tout le contraire du patron bulldozer ou du dirigeant implacable.
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Mamadou Moustapha Bâ a fait son entrée dans l’administration économique et financière en admission externe. Stratège de sa propre carrière, et évoluant sans tambour ni trompette, il a gravi les échelons un à un. Sa nomination, le 17 novembre 2022, par le Président Macky Sall, à la tête du ministère des Finances et du budget a constitué la consécration d’une carrière professionnelle exemplaire.
Il était capable, avec la précision d’un scientifique et une prestance hypnotique, de vous décrypter n’importe quel chiffre des finances publiques sénégalaises depuis les indépendances.
Cerveau budgétaire de l’appareil d’Etat, inflexible régulateur des finances publiques et inépuisable fantassin des intérêts supérieurs de la Nation, «Grand Moustapha» a toujours défendu l’idée selon laquelle le respect de nos engagements envers nos partenaires techniques et financiers, en particulier le remboursement du service de la dette et le paiement des salaires, devait rester la première priorité de la trésorerie nationale.
Dans l’architecture de ses décisions, c’est le Sénégal, la qualité de sa signature et le bien-être des populations qui dictaient toujours l’orientation à prendre. Il était cet intraitable souverainiste économique qui a constamment refusé de se laisser dicter la manière de présenter les chiffres complexes et les résultats de notre économie nationale.
Il faudra certainement, un jour, faire une étude rétrospective de tous les grands dossiers traités par Mamadou Moustapha Bâ, pour prendre la pleine mesure de l’ampleur du bilan de l’enfant de Nioro dans la haute administration des finances sénégalaises. Et quelques souvenirs qui surgissent.
Notamment celui du projet de Rebasing de notre Pib, car Moustapha avait pleine conscience des limites théoriques de notre capacité d’endettement qu’il fallait améliorer. Il fut l’un des plus grands promoteurs de ce chantier national capital dont nous avions, ensemble, assuré le pilotage.
Il fut également l’architecte en chef de la résilience économique et sociale durant la pandémie du Covid-19. En sa qualité de Directeur général du budget, Mamadou Moustapha Bâ a joué un rôle capital dans la mise en œuvre du Plan de défense de l’économie sénégalaise. Ces performances nous avaient valu une croissance d’1, 3% quand toute l’économie du monde, y compris celles des grandes puissances, était en récession.
A cette époque, il s’est confronté à diverses contingences. Mais maître à bord, il a tenu bon, il a régulé, stabilisé et redistribué les espaces budgétaires disponibles, évitant ainsi à notre pays un plongeon majeur dans le précipice financier causé par la pandémie.
«Grand Moustapha» appartenait à cette catégorie rare d’hommes capables de rassurer et toujours prêts à s’impliquer pour trouver des solutions ingénieuses aux équations financières, avec une vitesse d’exécution presque dont peu de hauts cadres de l’Administration pourront un jour s’approcher. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait été nommé ministre des Finances et du budget à la suite de cette commotion planétaire en 2022.
Tout au long de sa carrière, l’ancien ministre de l’Economie, des Finances et du budget aura contribué à faire du Sénégal un pays respecté au sein de toutes les instances financières mondiales. L’homme dont la puissance de l’engagement au service du Sénégal a conduit toute sa vie, restera dans l’histoire comme l’un des plus grands argentiers du continent africain.
L’héritage de Mamadou Moustapha Bâ restera une source d’inspiration incandescente pour guider nos ambitions individuelles et collectives pour la construction du Sénégal du futur.
Voilà pourquoi je voudrais, à cet instant précis, dire avec force, qu’aucune adversité politique ni aucun désir de pouvoir ne justifieront que l’on ait pu livrer à la vindicte populaire et internationale, l’honneur et la dignité d’un patriote engagé, d’une âme des finances publiques sénégalaises, d’un emblème de l’excellence technocratique sénégalaise qui a été le mentor de tant de générations fonctionnaires.
En mémoire d’une vie qu’il a dédiée à la République et de son empreinte ineffaçable sur la marche du Sénégal, je propose au maire de Dakar, Barthélemy Toye Dias, et à son homologue de Dakar-Plateau, le ministre Alioune Ndoye, de baptiser l’avenue Carde, ce cœur de l’administration économique et financière sénégalaise qu’il aimait tant, du nom de Mamadou Moustapha Bâ. C’est le plus éloquent hommage que la Nation pourrait lui rendre.
Je salue la mémoire de cet immense serviteur du Sénégal et m’incline devant cet exceptionnel homme d’Etat. Adieu, «Grand Moustapha». Que la terre de notre Saloum commun te soit légère.
Doudou KA
Ancien Ministre de l’Economie, du plan et de la coopération