Deux agents de l’Administration pénitentiaire ont été arrêtés dans le cadre de la divulgation d’une correspondance du directeur de l’Administration pénitentiaire du Sénégal au Garde des sceaux, en lien avec l’état de santé du détenu Ousmane Sonko. Une telle situation est pour le moins choquante quand on s’imagine que des agents d’une administration aussi stratégique et sensible, se permettent de s’adonner au jeu des irresponsables de notre pays qui ont fini de tout désacraliser.

Qu’un vulgaire amuseur public qui court les plateaux télévisés ou qu’un révolutionnaire de pacotille diffuse de tels documents, si par malheur ceux-ci leur tombent entre les mains, a de quoi outrer. Qu’un minable avocaillon, à des milliers de lieues d’ici, se permette d’égosiller sur des documents administratifs sensibles dont il ne s’amuserait pas à accéder à ceux de même nature chez lui peut irriter. Toutefois, il faut avoir la gorge nouée et la peur au ventre quand on s’imagine un inspecteur de l’Administration pénitentiaire et un de ses adjudants qui tombent pour violation du secret professionnel, détournement de données à caractère personnel et autres manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique. Qu’est-ce qui ne marche pas pour que de tels cadres de notre Fonction publique fassent fuiter des communications de leur hiérarchie, même si celles-ci sont dans un ordre commun des choses.

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Un chef des établissements pénitentiaires qui rend compte à une tutelle ministérielle sur l’état de santé d’un prisonnier qui, par son statut de politicien, s’érigerait en «citoyen suprême» avec des droits spéciaux, est assez logique à mon entendement. Divulguer une telle correspondance pour en faire une arme auprès de l’opinion et convier à un bal des hyènes crieuses, est problématique à tout point de vue. Des politiciens désespérés et des communicants à deux balles, sans aucune éthique républicaine, peuvent manger de ce pain, mais que des agents pénitentiaires se servent à cette soupe passe mal.

Cette situation, pour grave qu’elle soit, renseigne à plus d’un titre, sur le délitement profond qui touche une certaine partie de nos administrations, au risque de s’avérer des menaces sérieuses d’effondrement de notre Etat sur un temps long. Il y a une tendance qui voudrait instaurer du laxisme dans la gestion de l’information sensible, des éléments confidentiels et tout ce qui a trait au secret-défense. On cherche à galvauder tout ce qui est secret, à vouloir le rendre trivial et accessible à tous, dans une fausse logique de se présenter en vigie de la démocratie. Le risque est de fragiliser les colonnes solides d’un Etat marchant de façon cohérente et parvenant à régir de façon continue tout un pays.

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Les autorités et acteurs du débat public sont pour la plupart emballés dans cette fausse idéologie d’une transparence à outrance qu’une certaine Société civile a pu imposer par une promotion de rapports bidons et de révélations chocs, une commande d’enquêtes et d’études sur des sujets pouvant émouvoir, voire indigner à outrance les opinions, et d’une réclamation à toute gorge d’une reddition des comptes. On ne peut que s’étrangler quand des autorités ou certains hauts fonctionnaires clament tout haut ne rien avoir à cacher sur certaines parties sensibles de leurs missions, pour se faire des bons élèves du jeu de la transparence. Qu’allons-nous devenir si tous les éléments qui doivent être tenus secrets, tous les documents, données, procédés, mécanismes et informations ne devant être connus de très peu sont à la portée de tout le monde ?

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Ils sont nombreux les Sénégalais qui, par la simple banalité d’un message transféré, tombent sur tout type de documents. Des décisions de juge, des arrêtés, des décrets, des communications internes aux Forces de défense et de sécurité, c’est toute une pelle de documents sensibles qu’on se plaît à partager avant même leur publication officielle dans un pays où, les voiles de pudeur ont été arrachés de toutes les postures commodes.

La défense nationale dans le cas bien sénégalais, en se référant à la loi n°70-023 du 6 juin 1970 portant organisation générale de la défense nationale, intègre autant des aspects militaires qu’une dimension protection de la Nation et de sureté de l’Etat. Par défense nationale au Sénégal, la protection de la sécurité en tout temps, de l’intégrité territoriale et de la vie des populations sont des constituants majeurs. Poser des actes qui menaceraient un quelconque aspect de la défense nationale est à condamner et sanctionner de façon ferme. Les décrets n°2003-512 du 2 juillet 2003 et n°2020-2365 du 23 décembre 2020 relatifs à l’organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l’Etat donnent une idée claire des informations couvertes par le secret de la défense nationale. Une diffusion de la substance de ces textes, en plus de l’instruction d’application n°057/PR/SG/DCSSI de janvier 2021 sur la protection du secret, mériterait d’être faite dans certains couloirs de notre haute Administration et dans certains corps d’élite pour éviter que tout de la sacralité de l’Etat ne soit balancé dehors. Avec le niveau d’outrage atteint, il faut se dire qu’il y a plus une méconnaissance des textes et de l’importance même des données maniées pour conduire à des postures aussi désinvoltes.

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Il faut éviter de faire le jeu des adeptes de la décroissance sécuritaire, prônant qu’avec des déballages à tout-va et des fuites massives de données délicates, une certaine contribution à la vivacité des démocraties se joue. Les régimes axés sur les sanctions drastiques, voire le tout-carcéral, ont leur valeur dans des contextes où n’importe quel illuminé, ayant accès à des données sensibles et touchant à la sécurité nationale, peut se permettre de les balancer sur la sphère publique. Au risque de nous faire étiqueter comme disciple de la dame Anastasie, il y a une retenue qui s’impose et une façon de gérer toute l’information qui a trait au secret-défense et à la sécurité. Ce n’est pas à des gens qui peinent à respecter le secret professionnel qu’on demandera d’avoir la lucidité de ne pas divulguer des informations confidentielles. Aux sanctions d’être à la hauteur, vu que le temps des purges d’Administration est bien révolu.

Les Etats-Unis ne se sont pas gênés pour mettre aux arrêts le jeune Jack Teixeira, suspecté d’être l’auteur d’une fuite d’une centaine de documents classifiés, exposant gravement une partie de l’establishment de la défense. Dans une logique similaire, l’Administration américaine avait été aussi intransigeante avec le soldat Bradley Manning, qui avait fait fuiter, via Wikileaks, plus de 700 000 documents, en le faisant condamner par une cour martiale pour violation de l’Espionage Act. Tout récemment, la France, malgré des levées de boucliers de journalistes, a mis en examen un ex-militaire pour violation du Secret-défense, après la garde à vue d’une journaliste ayant effectué une enquête sur un programme de renseignement en Egypte.

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Le ministère des Armées français s’est montré très ingénieux dans une opération menée à Gaza pour exfiltrer un médecin-colonel qui s’était déplacé dans la zone de conflit, malgré les interdictions de sa hiérarchie, lors de ses congés, pour y effectuer de la chirurgie plastique reconstructrice. Cet agent et «précieux colis» sera récupéré par le service Action de la Dgse, qui le ramenera au bercail au début du mois de novembre. C’est bien après qu’une telle opération a été bien exécutée que les premières révélations dont celles du Canard Enchaîné, commencent à tomber.

Dans un pays comme le nôtre, une langue au sein du ministère de tutelle ou un scan indiscret par un agent irresponsable ou aveuglément partisan (c’est selon !) aurait ébruité ce genre d’actions avant tout briefing d’une équipe d’intervention. Cette culture du «gran’place» et du «téléphone Galsen» (excusez l’expression) pousse à vouloir converser sur tout et divulguer tout ce que l’on pense connaître. Il y a des choses qui doivent être tues dans un Etat et par des fonctionnaires. Aujourd’hui, c’est une sorte de bulletin médical du malade imaginaire du Pavillon spécial de l’hôpital Principal qui a fuité, demain ça pourra être plus.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn