Le tout-puissant régime à la tête du Sénégal a décidé depuis un certain temps de se faire hostile à tous les discours contraires et de se donner comme objectif de taire toute parole autre que la propagande du parti-Etat. Il faut mettre tout le monde au pas, personne n’a le droit de contredire les hauts d’en-haut. Leurs paroles sont marquées du sceau de la sacralité. Il est défendu à toute âme sensée de réfléchir, d’analyser ou de s’interroger sur la vie publique ou les sorties intempestives du Premier ministre, qui faut-il le rappeler sont bien trop souvent à côté de la plaque. Des censeurs modernes, galvanisés par une meute de harangueurs sots et de partisans plus que convaincus d’un projet qu’on peine à accoucher, se donnent pour mission de juger les discours et les opinions afin que la machine judiciaire s’enclenche pour faire la fête à tous les impertinents.

Lire la chronique – Une violence inouïe à tous les niveaux

Ce cirque d’émotifs zélés, ayant l’indignation à la fleur de peau, fait de nos nouveaux hommes d’Etat, à commencer par sa « sainteté » le Premier ministre Ousmane Sonko une personnalité d’exception qui surplombe plèbe et petites gens. Tout mot sortant de sa bouche doit être vu comme une offrande de sagesse à une horde de misérables qui n’ont le choix qu’entre des applaudissements ou des prières laudatrices. Louer un sauveur ou un « homme providentiel » qui, jusqu’à présent n’a montré à la tête de notre gouvernement aucune dynamique de transformation par le travail… C’est donc ça la formule secrète pour être loin des geôles, le Sénégal tombe bien bas.  Pour les faits d’armes sérieux, il faudra repasser encore et encore, le retard à l’allumage est passé par là. Nos héros d’une rupture radicale et nos chantres de la transformation se cherchent encore.

Lire la chronique – Le partage sans fin du butin

En moins d’une semaine, la valse des journalistes et homme politiques auprès de la police judiciaire du pays aura été jouée d’un rythme décadent. Pour un oui ou un non, c’est une chasse à l’homme en pleine jungle urbaine qui est instruite avec des interrogatoires d’une légèreté déconcertante. On reproche à des hommes publics leurs commentaires et avis sur la sortie d’un Premier ministre qui s’est livré à un spectacle pour ôter notre haute fonction publique de toute sa dignité, en l’assimilant à une vulgaire caste de faussaires qui aura ruiné notre pays, engloutie des milliards en connivence avec le pouvoir politique et flouer les partenaires au développement. On reproche à Cheikh Yérim Seck et Bougane Guèye des opinions que beaucoup de fonctionnaires partagent à coup sûr, mais leur réserve et leur respect de l’autorité empêchent de contredire sur la place publique. Sidérant d’autant plus qu’on jette sous les roues d’un bus fougueux des fonctionnaires qui, régime après régime, se tuent à œuvrer pour la crédibilité financière et économique du Sénégal. Ça donne le tournis si on peut se dire qu’un argumentaire aussi tiré par les cheveux, de la bouche du chef du gouvernement, peut prospérer dans un pays rigoureux dans la gestion de ses finances publiques. C’est tout de même, on ne peut plus sidérant que le Sénégalais qui doit être un des premiers à mouiller à fond son maillot se mue en saboteur en chef. C’est regrettable par le verbe maladroit et pernicieux (car, enrobé d’intentions politiques) de plomber toute dynamique de progrès qui aura pu impulser dans notre Sénégal après deux décennies d’un changement de paradigme avec les partenaires techniques et financiers (Ptf). Il sera amusant de voir sur quelle crédibilité financière et sur quelle légitimité managériale, il comptera faire financer son fameux « Projet ». Les acteurs qui se chargeront de faire un lobbying pour polir l’image du Sénégal auprès des agences de notation doivent déjà se frotter les mains.

Lire la chronique – L’art de détourner le débat public par des contre-feux

Quand la folie du pouvoir gagne, les levées de bouclier et l’indignation des masses rappellent à des entrepreneurs politiques qu’ils ne peuvent pas conduire un pays au gré de leurs fragiles émotions. La justice ne peut être également instrumentalisée dans des ballets ridicules qui la décrédibilisent, réduisent de son autorité et surtout la chahutent dans son essence même. Le classement sans suite des différentes poursuites contre Cheikh Yérim Seck, Bougane Guèye ou encore Kader Dia par le procureur de la République montrent que malgré le zèle du trône, le temple de Thémis ne saurait être le lieu où l’on donne caution aux faits du prince. « Quand la politique entre au Tribunal, la Justice sort par la fenêtre » disait le procureur Ibrahima Ndoye lors du procès de l’homme d’affaires Bara Tall. Je veux bien croire que ces mots sont toujours un viatique chez lui pour qu’il rende une justice sans cire.

Lire la chronique – Ode au dernier de nos Titans, Abdoulaye Baba Diao

Dans le cirque permanent qu’est devenu notre République, les entraves à la liberté se poursuivent de plus belle et sur tous les fronts. Les interdictions de sortie du territoire sans aucune notification se font dans la parfaite illégalité, avec une désinvolture frisant le ridicule. Il suffit d’avoir un nez trop gros aux yeux du prince ou de trainer des boutons pour qu’on empêche aux personnes de circuler. Madiambal Diagne est le dernier acteur public à faire face à une telle indécence. La police des frontières lui demandait de restituer un passeport diplomatique imaginaire avant de quitter le territoire hier soir. Après vérification et l’inexistence d’un tel document pour une personne qui n’en a jamais bénéficié, l’arbitraire se poursuivra en lui refusant tout simplement de sortir du pays. L’arbitraire sait être ridicule et insister dans la bêtise. On ne peut blâmer à un cheval dressé dans la haine de foncer têtes baissées sur une haie.

Tout est mis en œuvre pour nous empêcher de penser et d’agir librement. A ce rythme, nos vies seront régentées par les caprices d’un apprenti politique qui voit en l’Etat un jouet. Il doit savoir qu’être libre, c’est ne renoncer à rien. Quel que soit le prix, il y aura toujours des gens debout et prêt à lui apporter la contradiction. Et cela, quoi qu’il en coûte.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn