Au royaume de la post-vérité pastéfienne

Pour les tenants actuels du pouvoir, la politique n’entretient aucun rapport avec la morale ou l’éthique. En effet, après nous avoir vendu pendant longtemps une certaine manière de faire de la politique, il a fallu moins d’une année de gestion du pouvoir ponctuée de discours enflammés et de promesses creuses pour se rendre compte qu’avec Pastef, le produit n’est pas conforme à l’emballage. Ce pouvoir peine à répondre aux attentes légitimes de la population. Les Sénégalais sont confrontés à toutes sortes de difficultés grandissantes : la cherté de la vie, le chômage des jeunes qui explose avec ces vagues de licenciements dans les entreprises publiques, une des campagnes agricoles les plus catastrophiques sur les 20 dernières années.
En effet, il y a quelques semaines, sur le plateau de la Sen Tv, nous disions que le Sénégal est entré dans l’ère du «deugueur national». Ce qui avait fait sourire. Mais aujourd’hui, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), l’année 2024 a été marquée par une forte contraction des recettes publiques au Sénégal. Les recettes totales de l’Etat ont reculé de 234, 8 milliards de F Cfa, soit une baisse de 39, 8% des recettes fiscales. Les impôts directs, qui comprennent l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu, ont chuté de 28, 4% en décembre 2024 par rapport à l’année précédente. L’impôt sur le revenu, en particulier, a enregistré un recul significatif de 34, 1%, signe d’une baisse des revenus des ménages et d’une contraction de l’activité économique formelle. Quant à la Tva intérieure hors pétrole, elle a diminué de 55, 7% sur l’année, tandis que la Tva à l’importation a chuté de 53, 5%.
Toujours d’après l’Ansd, au mois de décembre 2024, l’activité au Port autonome de Dakar (Pad) affiche une contre-performance de 17, 1%, comparativement au mois précédent. Cette situation fait suite à la baisse simultanée des débarquements (-24, 9%) et des embarquements (-5, 0%) sur cette période. Sur le cumul des douze mois de 2024, l’activité maritime au Pad se dégrade de 14, 7%, comparée à la même période de l’année 2023. En effet, en 2024, le Port a perdu le tiers de son trafic. En décembre 2023, c’est 1 million 250 mille tonnes qui avait été débarqué à Dakar. Un an après, le chiffre est de 790 mille tonnes. Sur les embarquements, le Port est passé de 761 mille à 650 mille tonnes. Ces informations rendues publiques par l’Ansd et amplement relayées par la presse n’ont visiblement pas plu au Dg Wally Diouf Bodian. Sur sa page Facebook, Bodian, sans donner de chiffres de trafic, de chiffres d’affaires ou de bénéfices, dit que le Port de Dakar se porte bien et que les informations diffusées sont le fruit de l’imagination d’une presse dont les conventions de complaisance ont été résiliées.
Pastef a un sérieux problème avec la vérité
La contraction des recettes publiques en 2024 pose la question de la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. Avec un déficit budgétaire en hausse et des besoins croissants en investissements, le gouvernement devra trouver des solutions pour renforcer la mobilisation des ressources fiscales, tout en soutenant la croissance économique.
Cependant, les dénégations de Wally Diouf Bodian ne sont que la traduction d’une posture bien pastéfienne à propos de la vérité. Pastef a un sérieux problème avec la vérité, qui ne compte pas pour ce parti. Ce qui compte, c’est ce qu’il veut faire croire à l’opinion. Nous sommes à l’ère de la post-vérité. L’ère de la post-vérité, où les faits objectifs ont moins d’influence sur l’opinion publique que les appels à l’émotion et les croyances personnelles, s’est installée de manière inquiétante au Sénégal depuis l’avènement de Pastef. Cet état de la société se manifeste par la prolifération des fausses informations, des manipulations médiatiques et des discours trompeurs qui façonnent la perception du public et influencent les décisions politiques. Avec Pastef, plus le mensonge est gros, plus une bonne partie de l’opinion y croit, aidé en cela par des journalistes, chroniqueurs. C’est une indifférence à la vérité. Peu importe que ce qui est dit soit vrai ou faux, l’essentiel, c’est que ce soit dit et que suffisamment de personnes aient envie d’y croire. Nous sommes dans l’ère où la parole politique permet de dire tout et n’importe quoi, qu’il n’est plus permis d’être lié par le réel, le vrai. Cette semaine de début de Ramadan a vu la déferlante des sous-fifres de Pastef envahir les médias. C’est le moment choisi pour multiplier les campagnes de télévision afin d’expliquer et expliciter ce qui semble être quelque chose de bien banal et que tout le monde constate : Pastef commence à perdre la bataille de l’opinion. Pastef vient de comprendre qu’assurer la communication d’un parti au pouvoir, qui a pour le moment un bilan bien maigre, est bien difficile. Celui qui a le ministère de l’action est forcément différent de celui qui a le ministère de la parole. Or, étant donné qu’aucune action n’est posée dans le sens de satisfaire les préoccupations des Sénégalais, de nature à donner de l’espoir et de l’espérance aux citoyens, il faut basculer de l’action à la parole pour espérer renverser la tendance.
Dame Mbodj et le bilan illusoire de Diomaye pour les enseignants
Le rapport de la Cour des comptes a fait un gros flop. Ce qu’on a cherché à vouloir nous faire croire est différent de la réalité. Sur un rapport de quatre parties, la Cour des comptes a conclu à une conformité sur les 3. Sur la 4e, il a fallu que la Cour use de subterfuges pour ne pas dire que le Premier ministre n’a pas dit la vérité.
Il y a la loi d’amnistie et le coup politique de Thierno Alassane Sall qui ont fait mouche. Il est clair maintenant pour l’opinion que Pastef ne veut pas de la loi d’amnistie. Ce que cherche ce parti, c’est finalement tout faire pour protéger ses membres, ses soutiens et ses combattants, en nous amenant vers une loi interprétative qui n’est rien d’autre que la consolidation de la loi d’amnistie. En effet, une loi interprétative ne remet pas en cause les droits acquis. Qu’a fait Pastef durant cette période sombre de notre histoire ? Que cache ce parti pour ne pas vouloir abroger totalement cette loi dont on a dit que Macky Sall était le seul à vouloir ? En attendant, nous pouvons au moins nous contenter des aveux de ceux qui disent «avoir financé des cocktails Molotov», comme le ministre de la Microfinance qui avoue avoir été celui qui brûlait la ville de Bambey. Sans compter les casseurs et pilleurs qui ont été indemnisés avec l’argent public.
On peut citer dans cette post-vérité pastéfienne, Dame Mbodj qui déclare que le Président Diomaye Faye «a fait pour les enseignants ce que nul autre Président n’a jamais fait». Depuis que ce pouvoir est arrivé, quel est l’accord qui a été signé ? Quelle est l’indemnité que les enseignants ont reçue ? Quels avantages ont-ils en plus ? Quel lycée a été construit ? Inauguré ? Quel est le centre d’enseignement supérieur inauguré ? Ces 12 mois de gouvernance ont plutôt été marqués par des manifestations à l’université de Ziguinchor, qui sera même fermée. Ici, il est bon de souligner que ceux qui s’indignaient de la fermeture de l’Ucad après l’incendie de la Bibliothèque universitaire et de la Faculté de Droit, au nom du droit à l’éducation, sont bizarrement devenus très muets ; ils évoquent même des raisons de sécurité pour justifier cette fermeture. A Dakar, l’université Cheikh Anta Diop connaît des remous de temps en temps, pour des retards dans le paiement de bourses. Oui, en une année, ce régime a fait pire que les pouvoirs précédents avec les étudiants. Mais le mensonge et l’extrapolation, le fort des pastéfiens et de leurs soutiens, tendent à nous présenter la chose sous un autre angle.
Les 1500 milliards de Ngagne Demba Touré pour faire oublier les 1000 milliards de Sonko
Vient ensuite Ngagne Demba Touré. Invité de l’émission Quartier Général sur la Tfm, il a révélé que le Sénégal a perdu l’équivalent de 1500 milliards F Cfa en or frauduleusement exporté entre 2013 et 2023. Cela montre l’ampleur des pertes économiques dues à la fraude et à la corruption, amplifiées par un manque de transparence et de responsabilité dans les médias. Le petit fuyard de Bamako voulait certainement nous faire oublier les 1000 milliards que Sonko disait avoir débusqués dans un compte bancaire de l’un des dignitaires du pouvoir sortant. Les accusations sans preuves n’ont jamais construit une nation. Gouverner, c’est agir avec responsabilité et sérieux, pas balancer des chiffres en l’air pour alimenter la polémique.
Faut-il rappeler que ces 1000 milliards de francs Cfa sont aujourd’hui à l’origine de l’incarcération de Assane Diouf avec un dossier mis en instruction. Il est en prison pour avoir dit que le Premier ministre n’a pas dit la vérité sur ce sujet. Et le fait d’avoir confié ce dossier à un juge d’instruction au lieu de l’amener en flagrant délit témoigne d’une réelle volonté de mettre un contradicteur à l’ombre pour au moins 6 mois. 6 mois, c’est le tarif infligé à Abdoulaye Ndiaye, chargé de la communication de Farba Ngom ; lui aussi condamné pour diffusion de fausses nouvelles. Malheureusement, les universitaires et autres organisations des droits humains, prompts à s’égosiller sous Macky Sall, semblent regarder ailleurs. L’instrumentalisation de la Justice s’installe insidieusement. Le procureur Ibrahima Ndoye, pour qui nous avions un préjugé favorable à sa nomination, commence à décevoir et se positionne plus comme le procureur de Pastef, pour ne pas dire de Ousmane Sonko, plutôt que d’être celui de la République, c’est-à-dire de la société.
Sarré, le porte-parole qui ne parle que pour lui-même
Et que dire de Moustapha Sarré, le ministre porte-parole du gouvernement, qui traite l’ancien Président de «chef de gang» qui répondra de ses actes «devant la Justice», avant de se rétracter ? Sur Walf Tv, conscient de la bombe médiatique de ses propos, il rétropédale : «Je parlais pour moi, pas pour le gouvernement.» Pastef nous avait habitués à la politique du reniement, mais Sarré inaugure l’ère de la déclaration officielle transformée en simple opinion individuelle. «L’Etat du Sénégal devient ainsi le premier pays où les ministres improvisent en direct et corrigent en différé», commente mon ami Thierno Diop, qui ajoute : «Gouverner, ce n’est pas animer un débat télévisé. Un mot de trop, et c’est l’image du pays qui vacille. Ici, c’est l’amateurisme qui s’impose en doctrine. Un porte-parole qui ne parle que pour lui-même, c’est tout un symbole : un gouvernement où chacun dit ce qu’il veut, sans coordination, sans ligne directrice, sans conscience des conséquences. Si même le porte-parole ne sait pas pour qui il parle, alors qui dirige vraiment ce pays ?»
Ce ne sont pas des hommes d’Etat. Pastef ne connaît pas l’élégance, ni l’histoire de ce beau pays qu’ils essaient coûte que coûte d’enlaidir. Ils dépensent toute leur énergie à dire du mal de Macky et l’Apr, au lieu de se pencher sur les urgences du pays. Ils cherchent coûte que coûte à présenter le Sénégal comme un pays mal géré. Sauf que c’est un pays mal géré qui inaugure le plus remarquable des systèmes de transport, le plus envié des transports ferroviaires, l’un des plus beaux stades du monde (d’après Dame Mbodj), des autoroutes, des universités, des hôpitaux de renommée, un pays mal géré dont le pouvoir sortant a laissé 274 milliards dans ses comptes.
L’énergie que ce gouvernement utilise pour le bavardage et la politique politicienne, s’il l’avait employée dans les priorités, on n’en serait pas là aujourd’hui. Tant que ce pouvoir nourrit cet esprit de vengeance, de règlement de comptes et de haine contre ceux qui ne sont pas acquis à sa cause, nous risquons de ne pas décoller économiquement.
Toute cette incantation politico-judiciaire visant à dénigrer les dignitaires de l’ancien régime n’est en réalité qu’une manière d’éclipser leur incompétence et leur manque de vision, pour détourner l’attention des Sénégalais sur les vraies priorités (économie en panne, pouvoir d’achat faible, cherté du coût de la vie, pas de création d’emplois, licenciements massifs…).
Par Bachir FOFANA