Les premiers rideaux sont tombés sur les différentes scènes du théâtre électoral sénégalais en passant par la Direction générale des élections, le Conseil constitutionnel avec des détours au Cena et à la Cour Suprême pour certains. L’enjeu des représentations se joue dans une salle à ciel ouvert avec des farceurs dans l’art du stand-up, des comédiens se voyant dans les beaux habits de Dieu-le-Père, des spectateurs hystériques qui se confondent avec des faiseurs de miracles. Le théâtre comme la politique «est le désordre incarné et pour faire l’éloge du théâtre, il faut commencer par faire l’éloge du désordre». Ce désordre se matérialise en politique par la théâtralisation à outrance pour faire bonne figure et montrer sa détermination à prendre place au banquet de la Présidentielle, mais loin de la salle des banquets car «en politique une absurdité n’est pas un obstacle».

Sur les planchers de la Présidentielle du 25 février 2024, plus de 200 artistes politiciens se sont précipités pour retirer le cadre du scenario en se croyant investis de prédispositions hors normes pour satisfaire aux exigences de la Constitution et du Code électoral. Dans ce pays, «le théâtre est la métaphore de la politique. Côté scène, on joue à être roi, sans jamais oublier d’être soi, côté salle, on feint de s’oublier sans jamais cesser d’être là». Dans un premier sursaut de bon sens, des intermittents du spectacle ont jeté l’éponge sentant que la marche est trop haute pour prester devant les Sénégalais en remplissant les conditions du scénario (parrainages avec 44 231 spectateurs (électeurs) au minimum dans la grande scène nationale et au moins 2000 spectateurs dans sept scènes régionales). Le théâtre comme la politique est l’art de la sublimation et du fantasme, l’art de la transformation de l’imaginaire en réel. Il s’y joue des drames, de la comédie, des scènes de folie, une projection surréaliste du futur. Il transforme le roi en fou, le banni en héros, l’exilé en sauveur, l’incompétent en messie et l’indigent en grenier. Il y a dans cette comédie à la fois dramatique et tragique, trois classes de rêveurs d’un grand soir.

La première classe de comédiens, qui se mettent bien dans la peau du héros, n’est pas capable de remplir une cabine téléphonique, mais se met à la mode présidentiable et se dit qu’il faut transformer le Palais en salle de spectacle et rire de tout pour dire que le rire soigne. Celle-ci ignore que toutes «les matières premières s’épuisent à l’exception de la connerie», la connerie qui fait croire à des politiciens du dimanche que la Présidentielle est une farce et le président de la République un «bouffon», qu’elle est un moment de distraction pour les marionnettes en panne d’audience. Cet art de la métamorphose permet à des figurants de passer vraisemblablement l’obstacle du jury populaire et se soumettre maintenant à la sentence du jury professionnel. Pour les décorateurs, le casting ne semble pas reluisant, faisant les frais de la rigueur du contrôle des parrainages. Nos artistes se sont fait berner par des spectateurs (doublons externes, non-inscrits sur les listes électorales et jouets électroniques en panne de piles) qui n’avaient pas la qualité requise pour valider le scénario.

La seconde classe d’artistes a déjà goûté au bonheur des planches, connaissant les privilèges de la notoriété publique et jouissant des retombées du pouvoir et de l’Administration publique. Ayant connu les lambris dorés du pouvoir, cette classe semble se dire «le pouvoir ou la mort», la gloire éternelle pour vivre aux frais des contribuables. L’art comme la politique demandent du talent, des personnages et une scène pour se montrer. La sacralité du rôle final (président de la République» ne se mesure qu’à l’aune de la vérité des qualités et des capacités à se soumettre au jugement du jury populaire qui cherche à confier son rôle à un artiste qui a les aptitudes et le don de produire un spectacle capable d’émouvoir, de mobiliser et de redonner espoir sans se soustraire de l’exigence et des règles du code de l’art. D’anciens grands artistes (ex-Pm, ministres et Dg) se croyant dotés d’un talent artistique, se heurtent au mur implacable de la pratique du terrain. Pour eux, «la politique, c’est un des rares métiers du spectacle où l’on voit toujours les mêmes acteurs, le même scénario, les mêmes décors et les mêmes costumes, et personne ne dit rien» oubliant que «ne se décrète pas artiste qui veut» et que la politique n’a pas de pitié pour les prétentieux. Ils apprendront à leurs dépens que la politique n’est pas le salon de la maison, le bureau ou les plateaux de télévision, et qu’elle n’est pas «un jouet pour les petits riches qui ne prêtent à personne».

La troisième classe est celle qui se retrouve dans deux catégories de metteurs en scène «(…) ceux qui croient qu’ils sont Dieu et ceux qui en sont sûrs» Rhetta Hughes. Les dieux avaient prédit une victoire éclatante dès le premier tour au Pros, oubliant qu’«en politique comme à la voile, vouloir aller uniquement dans le sens du vent mène rarement à bon port, mais souvent à l’échouement» Michel Colas.

L’apprenti-Dieu «antisystème», s’est fait rattraper par la patrouille de la justice en passant de la désobéissance civique aux dépens de la Justice car «le piège pour lui a été de «(…) se sentir invulnérable, intouchable. Cela (lui a) conduit à négliger des choses que l’on juge à tort subalternes». Le grand seigneur Pros avait oublié que la popularité fait une star, mais pas un Président, et que «l’ambition dont on n’a pas le talent est un crime». Seulement, il n’a toujours pas compris que la validation de son scénario ne se fera pas dans les spectacles populaires ni à travers la sublimation de sa majesté par les moulins à vent dans les réseaux sociaux et les médias, mais par sa capacité à combattre ses adversaires dans son propre camp et prendre de la hauteur à la dimension de l’espoir qu’il suscite pour certains.

Certainement, il comprendra tardivement que l’Etat est un monstre froid et que la théorie de la terreur, qui ne peut servir aucune cause juste, a un effet limité dans le temps et dans l’espace. Le changement de sa stratégie, fondée sur la politique du sensationnel et de la délation, devrait le sortir de «la politique (qui) est devenue une pub, une mise en scène, un affrontement entre vendeurs où la cravate et la belle robe camouflent efficacement la vacuité et l’ineptie du discours» Jean Dion. La dernière classe est celle qui a la certitude d’avoir les attributs du seigneur. Elle repose sur un appareil politique au-devant des projecteurs depuis 12 ans, et qui fait les frais de l’usure du pouvoir, de l’inflation et de l’échec de la politique de Jeunesse. L’acteur principal demeure le Président sortant qui nous vend les talents d’un successeur, comptable du bilan, qui est sûr d’être le parfait messager pour perpétuer le legs et faire des miracles. Ses premières prestations suscitent des débats au sein de son propre camp avec des certitudes et des incertitudes, mais sa seule certitude demeure pour l’instant la validation du parrainage. Il devrait s’inspirer de cette phrase de Nelson Mandela : «Nous savons bien que nul d’entre nous agissant seul ne peut obtenir la réussite.» Au final, le casting aura permis de faire œuvre de salubrité publique en nous débarrassant des crétins prétentieux «qui se croient plus intelligents que ceux qui sont aussi bêtes qu’eux» et rappeler aux autres que, même s’ils se font offrir des costumes, ils n’ont pas l’étoffe d’un Président.

Au théâtre du Palais «le monde est une scène de théâtre, mais les rôles ont mal été distribués» Oscar Wilde.
Alassane DIALLO
azoudl@yahoo.fr