Le passage d’imam Alioune Ndao devant la Chambre criminelle a été très attendu. Ses souteneurs ne voulaient pas se faire raconter sa déposition devant la barre. Dès les premières heures de la matinée, ils ont pris d’assaut la grande salle du Tribunal, pour écouter et soutenir le guide religieux qui, à l’instar de tous ceux qui lui ont précédé, a nié les faits. A la question de savoir s’il est un jihadste, l’imam n’a pas fait dans la langue de bois. «Je suis un jihadiste pur et dur», a-t-il répondu au juge, avant de préciser sa pensée. «Je n’ai pas une autre conception du jihad à part celle que j’ai apprise dans le Coran. Le jihad, c’est faire des efforts dans la religion, en renforçant ses connaissances islamiques, en travaillant durement pour le bien de sa famille, en donnant l’aumône aux pauvres. Le jihad par la force est l’apanage de l’Etat», conclut il en soulevant des murmures dans la salle.
Interpellé sur les événements de Diourbel, l’accusé livre son point de vue. «Je connais imam Abdou Karim Ndour. Après l’attaque de sa mosquée, il m’a joint au téléphone pour m’informer que les assaillants ont promis de revenir pour brûler sa maison. Je lui ai demandé de saisir la police. Le dimanche, j’ai fait convoquer 8 jeunes de mon daara pour leur demander d’aller apporter leur soutien à imam Ndour. Cependant, je leur avais demandé de ne pas utiliser la violence. Egalement, j’avais joint tous les membres de la Ligue pour leur mettre au parfum de la situation. Ensemble, nous sommes allés voir Serigne Mountakha pour trouver une solution à ce problème. Ce dernier, très occupé par les préparatifs du Magal, nous avait mis en rapport avec Serigne Souleye Gaye. Lequel nous avait reçus. Il nous avait rassurés que les jeunes mourides ne vont plus attaquer la mosquée. C’est tout ce que je connais des évènements de Diourbel», a-t-il martelé. Avant de souligner qu’il n’a jamais été au courant que des jeunes sunnites s’étaient réunis pour organiser un plan de riposte après l’attaque de la mosquée de imam Ndour.
Interpellé sur ses relations avec Mactar Diokhané, imam Ndao dit l’avoir connu alors qu’il était encore au collège Bassirou Mbacké. Selon lui, Mactar est venu le voir pour lui dire qu’il voulait approfondir ses études coraniques. Un acte qui l’avait touché.
Pourtant, selon le juge, Mactar Diokhané lui aurait fait parvenir une lettre lui demandant, avec les autres chefs religieux, de se liguer pour l’application de la Charia dans le pays. En réponse à cette accusation, Ndao déclare que Mactar Diokhané appelait dans cette lettre à l’unité de tous les musulmans, sans distinction. Mais il ne lui a jamais apporté une aide financière. La preuve : même son fils qui étudie dans son daara ne paie rien du tout. Selon le guide religieux, c’est Ibrahima Diallo qui l’a informé que Mactar est allé au Nigeria. Et que ce dernier ne lui a jamais fait état de son projet de voyage dans ce pays. Cependant, il reconnaît avoir reçu de l’argent de Ibrahima Diallo. «Ibrahima Diallo m’a prêté 1500 euros et m’a confié 25 billets de 500 euros, soit une somme de 8 millions de francs. Tout a été écrit sur du papier. Je ne l’avais pas interrogé sur la provenance de cet argent. Je savais qu’il venait du Nigeria. Mais je n’ai pas cherché à savoir ce qu’il faisait dans ce pays. C’est 5 jours après qu’il m’a remis l’argent que j’ai été arrêté par la gendarmerie», explique-t-il. Selon lui, il n’a «jamais parlé de jihad, conçu, planifié ou organisé un projet quelconque allant dans le sens de l’implantation d’une cellule jihadiste».
Imam Ndao soutient aussi que c’est la femme de Diokhané qui lui a fait part de l’arrestation de son mari au Niger. «Elle m’a dit qu’un homme l’avait jointe au téléphone pour l’informer de l’arrestation de Mactar Diokhané. Elle m’a manifesté son intention d’aller au chevet de son mari. Je lui ai demandé si elle avait des moyens. C’est ainsi qu’elle m’a informé que son mari lui avait laissé une somme. Et c’est avec cet argent qu’elle a remis une partie à Ibrahima Diallo. Je lui ai signifié qu’elle a commis une erreur quand elle a remis une partie de l’argent à Ibrahima Diallo», dit-il.
Pourtant à l’enquête préliminaire, Coumba avait déclaré : «Imam Alioune Ndao m’avait fait savoir que Ibrahima Diallo était de passage chez lui et ce dernier lui avait prêté de l’argent. Je lui ai fait savoir que j’ai donné 15 millions de francs Cfa à Ibrahima Diallo qui était en route pour la Gambie. Imam Ndao m’avait dit qu’il allait appeler Ibrahima Diallo pour l’inviter à veiller sur cet argent, même au prix de sa vie.» Mais aux yeux de l’imam, la dame s’est trompée dans sa déclaration.
Quand imam «était favorable au projet d’un Etat islamique au Sénégal»
A la question du juge de savoir pourquoi Coumba est venue lui parler de l’arrestation de Mactar, l’accusé croit que c’est certainement pour chercher des conseils afin de savoir qu’elle décision prendre. Le procureur de rappeler à imam Ndao les propos de Mactar Diokhané à l’enquête. Il aurait en effet dit : «J’ai ordonné à Ibrahima Diallo d’aller voir l’imam Alioune Ndao et de lui dire que c’est moi qui les avais mis en rapport pour discuter du projet sur lequel nous avions travaillé depuis le Nigeria. J’avais déjà acheté mon billet pour retourner au Nigeria. Dès son retour à Dakar, Ibrahima Diallo m’avait affirmé qu’imam était favorable à notre projet d’installer un Etat islamique au Sénégal. Il m’avait également apporté mon livre corrigé par imam.» Des allégations que l’imam a bottées en touche en niant avoir parlé de projet avec Ibrahima Diallo encore moins avec Matar Diokhané.
Par ailleurs, Ndao a reconnu avoir au moins tenu une conférence à Lac Rose en 2014-2015 sur invitation des membres de la mosquée et dont le thème portait sur le mouvement islamique. «En l’examinant, je l’ai traité par secteur. En ce moment, c’était l’Etat islamique qui était en vogue, Al Qaida, Daesh, entre autres», détaille-t-il en soulignant qu’ils voulaient savoir des informations et l’évolution de ces mouvements.