Pour attirer plus d’étudiants d’ici à 2027, la France a choisi d’augmenter les frais d’inscription dans ses universités pour les étudiants extracommunautaires. Cette mesure sera applicable dès la prochaine rentrée. Une façon de ne pas souhaiter «Bienvenue en France» aux étudiants africains qui représentent 42,5% des inscrits dans les établissements supérieurs français. Dans les campus français, l’incertitude a supplanté l’espoir dans la tête des «chercheurs» de diplômes.

A quoi tient l’avenir des étudiants sénégalais en France ? Il tient à leur capacité à débourser 1 million 817 mille F Cfa et 2 millions 472 mille 957 F pour la Licence, le Master et le Doctorat. C’est une véritable équation à résoudre pour les étudiants sénégalais dont la France reste le principal pays d’accueil. A la rentrée de 2015, ils étaient 7 439 sur le sol français, mais ce chiffre est en nette régression comparé à 2010. D’après les statistiques de Campus France, ils étaient au nombre de 9 278 en 2010, soit une régression de 20%. Les étudiants sénégalais se tournent maintenant vers les pays comme l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Italie qui ont vu leur capacité d’accueil évoluer respectivement de 373%, 514% et 78% entre 2010 et 2015. Il y a 2 explications à cette évolution. Hormis l’attractivité de ces pays, la France ne facilite pas l’octroi de visa. En effet, sur 2 442 demandes de visa, seuls 1 292 visas ont été accordés en 2010 par la France. En 2015, ont été accordés 2 386 visas sur une demande de 4 147. Il faut noter que le nombre d’étudiants sénégalais en mobilité internationale est en baisse depuis 2010. De 12 mille 481 en 2010, ils sont 11 mille 483 en 2015. Sur cette même année, on a dénombré 3 185 inscrits en Licence, 3 482 en Master et 549 en Doctorat. Les domaines d’études qui attirent le plus les étudiants sénégalais sont les statistiques, les sciences sociales et le droit. Pour gérer les étudiants internationaux, la France alloue 3 milliards d’euros. Dans une étude réalisée par Campus France, il est établi que ces étudiants apportent 4,5 milliards d’euros à l’économie française.
Mais la France a décidé de remodeler son offre de formation. S’agit-il d’une première mesure pour «aider les Africains à rester sur le continent pour se former» en augmentant les frais d’inscription des étudiants «extracommunautaires» dans les universités françaises dès la prochaine rentrée scolaire ? Bienvenue en France ! C’est la nouvelle stratégie pour attirer plus d’étudiants étrangers. Son objectif est de passer à 320 mille étudiants internationaux aujourd’hui à 500 mille dans les universités françaises d’ici à 2027. Pour s’accorder une chance de réussite, cette stratégie va augmenter les frais d’inscription des étudiants extracommunautaires. Ainsi, dès la prochaine rentrée scolaire, il faudra débourser 1 million 817 mille Cfa au lieu de 111 mille 512 Cfa pour s’inscrire en Licence. Pour une formation en Master ou Doctorat, ça sera 2 millions 472 mille 957 Cfa alors qu’il était entre 159 mille 397 et 249 mille 263 Cfa.
Le Premier ministre français, Edouard Philip, trouve «absurde» et «injuste» qu’un étudiant extra-européen «fortuné paie les mêmes droits d’inscription qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et paient des impôts en France depuis des années» le 19 novembre 2018, lors de la présentation de Bienvenue en France. Seule­ment, En 2015, 298 mille 902 étudiants étrangers étaient inscrits en France. Parmi eux, les étudiants africains représentaient 42,5% du total. 25,7% étaient issus de l’Union européenne, 17% d’Asie, 9,1% des Amériques et 4,3% du Moyen-Orient, d’après Campus Fran­ce…

A la rentrée 2016, 109 mille 890 étudiants africains se sont inscrits à l’université, dont plus de la moitié issue du Maghreb (58 mille 325, soit 53%). Les Marocains (25 mille 669), Algériens (23 mille 238) et Tunisiens (9 009) occupent les trois premières places devant les Sénégalais (7 460). Près d’un étudiant africain sur deux est inscrit en Master (48,2%, 52 mille 952), pour 44,8% en Licence (49 mille 271) et 7% en Doctorat (7 667).
Avec ces chiffres, il est légitime de se demander la vraie cible de cette mesure. D’autant plus qu’obtenir un visa pour la France n’est pas chose aisée. En effet, l’étudiant qui veut y poursuivre ses études doit obligatoirement passer sur la plateforme Campus France. Il faut d’abord déposer une demande d’admission préalable de 50 mille Cfa. Ces frais sont non remboursables en cas de non octroi du visa de séjour. Monter son dossier et attendre qu’on se fasse choisir par une université. C’est de là que commence la procédure de demande de visa. Le fait de trouver une place dans une université française ne garantit nullement le visa.
L’étudiant qui ne dispose pas d’une bourse d’études doit présenter une attestation bancaire justifiant du dépôt d’un ordre de transfert, permanent et irrévocable, d’un montant minimum de la contre-valeur de 403 mille 413 Cfa par mois pour la durée du séjour. La remise de ce premier titre de séjour exige l’acquittement d’une taxe de 51 mille 820 Cfa sous forme de timbres fiscaux.
A leur arrivée en France, les étudiants étrangers doivent se présenter, dans un délai de trois mois à compter de la date d’entrée, aux services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration de leur département d’installation ; et ce, pour procéder aux formalités d’enregistrement. Une fois l’ensemble de démarches administratives accompli et en s’acquittant d’une taxe de 38 mille 045 F Cfa sous forme de timbres fiscaux, les passeports de ces étudiants étrangers se voient revêtus d’une vignette attestant l’achèvement des formalités. «Privilégier l’inscription de candidats aisés étrangers en augmentant les frais d’inscription, c’est implacablement réduire le nombre d’étudiants africains en mesure de s’inscrire en France», a déclaré dans une tribune un Collectif de professeurs d’université et chercheurs français. Il règne désormais un climat d’incertitude dans les campus français.

Khalifa Ababacar Ndiaye, président des étudiants sénégalais de Grenoble : «Une centaine de présidents d’université s’opposent à cette mesure»

«La France, comme un pays souverain, a le droit de décider de ses politiques économiques ou de l’enseignement supérieur et on pourrait accepter une telle mesure même si elle va à l’encontre d’une minorité que nous représentons. Mais la France représente plus que cela, de par sa position culturelle dans le monde et ses liens avec certains pays avec qui elle partage une culture identique de par la langue et une histoire commune. Cette position et l’ouverture qu’elle a toujours incarnées ne la permettent pas de commettre certaines injustices ou discriminations.
Cette politique d’attractivité avec certaines mesures comme la hausse des inscriptions pour les étudiants étrangers est contreproductive, car augmenter les frais d’inscription de manière exorbitante empêchera à des milliers d’étudiants qui viennent de pays moins nantis comme le Sénégal de poursuivre leurs études en France.
Et en tant que représentant d’étudiants, je dénonce cette mesure parce qu’elle est injuste, car les étudiants déjà présents en France et qui sont concernés en cas de changement de cycle sont privés de choix entre payer ou ne pas payer, car au pire des cas, un jeune qui est en ce moment au Sénégal s’il n’a pas les moyens de payer la somme requise peut rester dans son pays, mais celui qui est déjà là n’a pas le choix. Et on connaît tous le quotidien des étudiants étrangers en France.
Je pense aussi que les pays d’origine des étudiants étrangers peuvent faire quelque chose. En ce qui nous concerne, comme l’Etat sénégalais, à en croire une déclaration du ministre de l’Education, ne peut pas faire pression sur la France, il a le devoir d’accompagner financièrement ses étudiants en cas de mise en vigueur de cette mesure. Je pense que les étudiants qui sont déjà là vont, quoi qu’il en soit, restaient ici pour continuer leur formation. Et l’Etat français a annoncé des mesures d’accompagnement pour les étudiants qui n’ont pas les moyens. En tant qu’association, on est depuis l’annonce de la mesure en train de poser des plans d’action (manifestation, blocus) dans les universités contre cette dernière. Et d’ailleurs, plus d’une trentaine de présidents d’université se sont opposés à ce changement.»

Diakaria Timéra, étudiant : «Une manière de dire à ces étrangers : restez chez vous !»

«C‘est une mesure discriminatoire et sélective vis-à-vis des étudiants étrangers. Je ne comprends pas pourquoi cette mesure. Comment peut-on appliquer cette mesure uniquement aux étudiants étrangers et hors Union européenne ? A mon avis, c’est une politique migratoire. C’est une manière de dire à ces étrangers que nous sommes, rester chez vous et ne venez plus nous emmerder. Je ne sais pas pour un étudiant qui ne travaille pas comment il va faire pour pouvoir payer de tels frais augmentés à plus de 1 500%. Et dans cette affaire, je ne comprends pas non plus le mutisme de nos dirigeants. Ces derniers sont fautifs, car s’ils avaient mis les jeunes dans de bonnes conditions d’apprentissage, rien de tout cela n’allait arriver. Je suis déçu par le gouvernement français. Un avenir pas du tout prometteur pour les nouveaux dont je fais partie. Il serait très difficile pour nous d’assurer les études avec un tel pactole. Pour les anciens tant mieux, eux ils sont dans le système. La plupart d’entre eux travaillent à côté et ils pourront se faire des économies pour faire face à cette hausse, contrairement à nous qui ne travaillons pas, qui n’avons jusqu’à présent reçu nos titres de séjour pour se procurer un petit emploi à côté. D’ailleurs, même avec ces emplois pour un étudiant qui ne travaille qu’en temps partiel, comment va-t-il pouvoir économiser 2 770 € pour sa Licence et 3 770 € pour son Master. Si le gouvernement français ne revient pas sur sa décision, beaucoup d’étudiants étrangers venus à la recherche d’une formation qualifiée verront leur avenir fondre comme du beurre sous le soleil. Pis, ils vont perdre leur statut d’étudiant ; ce qui n’est pas du tout souhaitable. Je n’hésiterai pas à retourner au Sénégal si je ne parviens pas à avoir ces frais. Le Sénégal est un pays d’avenir, je n’ai aucun problème à y retourner.»

Alassane Diop, étudiant en Doctorat business administration Dba à Horizon University : «C’est un processus de réduction du nombre d’étudiants étrangers en France»

«L’Etat (français) veut se décharger du coût exorbitant qu’est la formation des étudiants étrangers. L’Etat jusqu’ici supporte les 2/3 du coût global de la formation des étudiants étrangers dans les universités publiques. Ce qui représente beaucoup d’argent vu le nombre d’étudiants étrangers en France, surtout avec un régime pas très social. L’Etat s’inscrit dans un processus de réduction du nombre d’étudiants étrangers qui se trouvent en France ou qui arrivent chaque année parce qu’il faut le dire, c’est une porte pour l’émigration. Beaucoup choisissent la France par défaut parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer le Canada, l’Angleterre ou les Usa. Si cette mesure est validée, beaucoup d’étudiants seront contraints d’abandonner leurs études faute de moyens quand on sait que l’étudiant étranger est autorisé à travailler 20h par semaine, ce qui lui permet à peine de payer son loyer et vivre. Ça peut être considéré comme une mesure discriminatoire certes, mais ça soulagera l’Etat du point de vue financier et non seulement limiter le nombre d’étudiants étrangers, mais aussi obliger les étudiants à arrêter de devoir tout le temps s’inscrire à une nouvelle formation pour renouveler leur (titre) séjour.»

Mamadou Ba, étudiant à Rennes  : «On va juste espérer que le gouvernement supprime ces nouvelles mesures»

«Personnellement, je pense que c’est une stratégie qui vise à chasser les pauvres étudiants qui sont déjà en France et dissuader en même temps ceux qui veulent venir continuer leurs études, surtout les étudiants qui viennent de l’Afrique francophone et du Maghreb. Les professionnels du monde universitaire sont même opposés à ces nouvelles mesures. Ils savent que si cela est appliqué l’année prochaine, ça va beaucoup affecter les universités. Déjà je n’ai pas la somme, l’année prochaine je dois m’inscrire en Master et c’est plus cher. On va juste espérer que le gouvernement recule et reporte ou supprime ces nouvelles mesures. Sincèrement, je ne pense pas m’inscrire si c’est maintenu. Je vais probablement trouver une école privée conforme à mes moyens.»