Maire de Gorée, Me Augustin Senghor rappelle que si l’île est classée patrimoine mondial, c’est grâce à son histoire. Selon lui, il faut garder intact cet héritage avec les noms de rue hérités de la colonisation.

A Gorée, la plupart des rues portent encore le nom des colons…
Je peux dire que toutes les rues de Gorée portent à 90% le nom des colons européens et particulièrement de Français qui sont les derniers occupants de l’île. Il n’y a pas à proprement parlé de noms sénégalais à part les rues comme la rue des Bambara, la rue de Dakar. C’est vraiment des exceptions qui portent le nom de personne ou de communauté.
Quel est le symbole que revêtent ces noms ?
C’est un symbole particulier. Avant les indépendances, Gorée comme beaucoup de localités, notamment comme toutes les quatre communes françaises, était sous occupation française. Ipso facto les rues ont été baptisées aux noms des gouvernants, des Français qui occupaient l’île. C’est aussi simple que cela. C’est la même chose quand on va à Saint-Louis, voire un peu à Dakar dans certaines rues à Rufisque aussi. Il n’y a pas de symbole particulier qui soit attaché à cela, sauf que les habitants de l’époque naturellement étaient tournés vers la France, et donc les décideurs. Les collectivités locales donnaient des noms français aux différentes rues et places.
Dans sillage du mouvement «Black lives matter» qui fait suite à l’assassinat de George Floyd, des statues d’esclavagistes ont été déboulonnées. Il y a un débat partout sur cette question. Est-ce que ce n’est pas le moment de débaptiser ces rues ?
Sous cette question, je vais donner une réponse qui est assez mitigée parce qu’il faut savoir que Gorée est classée patrimoine mondial. Et si Gorée est classée patrimoine mondial, c’est par rapport à son histoire. Est-ce que ce serait cohérent de préserver cette histoire pour les générations futures et débaptiser ces rues et surtout d’effacer cette histoire-là ? Puisque qu’aujourd’hui pour pouvoir se souvenir de ces faits-là vraiment condamnables, on a besoin de laisser des traces aux générations futures pour qu’elles comprennent, qu’elles voient et touchent du doigt, du regard ce qui s’est passé il y a plusieurs siècles en avant. C’est comme si on nous disait puisqu’on veut effacer l’image de la violence sur George Floyd, démolissez la Maison des esclaves. Il faut savoir raison gardée, ne pas faire dans l’émotivité qui nous est toujours attribué par les autres civilisations, notamment les Européens, les Occidentaux et analyser lucidement ce qu’il faut faire. C’est un patrimoine, il se conserve avec ses plus et ses moins, c’est-à-dire avec ses choses positives et ses choses négatives. Et c’est en cela que la conservation du patrimoine historique et culturel nécessite des fois d’y réfléchir deux fois avant d’effacer ses traces. Sinon ça va nous amener vers l’oubli de ce que jamais l’humanité ne devrait oublier. S’il y a oubli, il y a des risques de répétition de l’histoire. C’est important qu’on préserve ça : Quand les touristes viennent, ils auront le droit de savoir ce qui s’est passé et qu’ils puissent créer un sentiment de repenti pour que les gens disent plus jamais ça. Je militerai à ce qu’on garde intacte Gorée en tant que patrimoine avec ses rues. Il y a une quinzaine d’années, une nouvelle politique d’adressage des rues avait été lancée. Le Conseil avait pensé qu’il valait mieux préserver ce patrimoine avec ses rues qui sonnent européennes pour montrer les stigmates et de la traite négrière et de la colonisation.