Le nouveau pouvoir sénégalais crie vouloir s’attaquer à la cherté de la vie et appelle, à toute occasion, le souhait de créer les conditions d’une autosuffisance alimentaire. Entre les discours populistes par moments et certains éléments de langage souverainistes, on attend de voir la feuille de route que le pouvoir Pastef déploiera pour rendre atteignable une autosuffisance alimentaire. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a instruit son gouvernement de lui soumettre un plan d’urgence opérationnel de lutte contre la vie chère. Ce plan proposerait des mesures hardies de baisse des prix des denrées de consommation courante, avec à la clé la mise en place d’un dispositif d’alerte précoce et de suivi des prix, niché à la Primature. L’ambition est là, mais on attend de voir ce «plan» à la date du 15 mai prochain, et ce qu’il pourra soulager dans le panier de la ménagère.

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C’est bien de crier sur tous les toits qu’il faut qu’à la table du Sénégalais lambda, s’y trouvent des produits abordables et à des prix accessibles. De même qu’il est tout aussi noble de militer pour l’atteinte d’une forme de souveraineté alimentaire pour que tous les produits que nous aurons semés, se retrouvent dans nos assiettes. Toutefois, il y a toute une mécanique sur laquelle cela doit s’appuyer, en dehors des slogans et des rengaines «émancipatrices» dont les conditions d’opérabilité laissent à désirer. Les programmes pour l’autosuffisance alimentaire n’ont pas manqué dans la marche de ce pays. Le régime du Président Abdou Diouf avait son option pour du consommer local. Le Président Wade voyait dans la Goana un moyen de nourrir tous les Sénégalais. La comparaison avec ce qui se fait au Maroc, à l’occasion d’une participation au Salon international d’agriculture de Meknès (Siam), a fini de me convaincre qu’on a beau vouloir, avec toute l’ambition du monde, développer l’agriculture sénégalaise et voir émerger des champions nationaux, on péchera toujours du fait d’un manque de volonté politique à protéger comme il faut les filières sensibles.

Un coup d’œil au fonctionnement des filières riz, lait, huile et sucre (produits de première nécessité pour tous les ménages de notre pays) donne une idée assez frappante du désordre régnant et de toutes les difficultés à confronter. L’autosuffisance a été un des chantiers phares de l’ancien Président Macky Sall à sa prise de pouvoir à la tête du pays. Des initiatives et efforts ont pu être déployés pour améliorer les capacités de production du pays, impacter sur les volumes. Macky Sall aura misé sur le financement d’infrastructures agricoles, allant des aménagements de terre à l’érection de pistes de production, en passant par l’accompagnement des agriculteurs en intrants et semences de qualité. Ce n’est pas pour autant que douze années plus tard, la filière riz fera un grand bond en avant, permettant de se satisfaire d’une production couvrant à moitié les besoins en riz de notre pays. Les importations de riz encore importantes attestent de cet état de fait. La production nationale en riz paddy oscillant entre 600 et 700 mille tonnes. On peut également regretter l’absence de vrais mécanismes de soutien aux petits producteurs tant dans la vallée du fleuve Sénégal que dans tous les autres périmètres rizicoles du pays (Anambé, Casamance).

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Pour toute la filière riz, un crédit de commercialisation entre 5 et 6 milliards francs Cfa est disponible par an au niveau de La Banque agricole (Lba) pour tous les industriels du pays. Une telle enveloppe, avec les coûts actuels, ne peut permettre d’acquérir que 35 mille tonnes de riz paddy pour un pays qui se rêve autosuffisant avec un volume nécessaire de riz paddy à produire par an autour de 2 millions de tonnes.

Ce crédit de commercialisation reste une goutte d’eau dans l’océan que représente la production de riz paddy. Le Sénégal se veut autosuffisant en riz tout en laissant le financement de 90% des producteurs du pays entre les mains de bana-bana et autres types de bailleurs. Le financement fait défaut, les aménagements d’espace pour la production sont à intensifier, car pour pouvoir produire 2 millions de tonnes de paddy, il faut aménager au moins 200 mille hectares avec une hypothèse de double récolte par an (en nous appuyant sur un rendement de 5 tonnes à l’hectare, obtenu par la politique d’autosuffisance en riz impulsée par le Président Macky Sall). A l’heure actuelle, un peu plus de 50 mille hectares sont aménagés dans tout le pays, avec également une absence de financement pour tous les acteurs de la chaîne de valeur (producteurs et transformateurs). Cela, compte non fait de l’accessibilité à la propriété foncière dont le Président Bassirou Diomaye Faye a évoqué la nécessité d’une réforme pour permettre aux petits producteurs d’avoir des actifs à mettre en collatéral pour demander des crédits consistants auprès des banques.

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La filière riz doit avoir ses mécanismes protectionnistes bien que les opérateurs dans l’importation pourraient avoir un autre regard. La question de l’huile et des graines d’arachide, commodité par excellence de l’histoire agricole de notre pays, mérite aussi d’être adressée. La collecte de graines au Sénégal et son exportation vers l’Asie ont fini d’être l’activité essentielle de la Sonacos. Voir un tel fleuron industriel, qui fut dans les années 1980 un grand groupe agro-industriel en Afrique, se reconvertir dans le négoce de graines a de quoi faire mal pour tout passionné d’entreprise et tout esprit pour peu nationaliste ou chauvin.

Notre pays envoie des graines d’arachide non taxées vers la Chine, au détriment de nos presses qui peuvent rester une campagne arachidière sans tourner à des niveaux commodes. Quand on se rend compte que l’huile semi-transformée au Sénégal est fortement taxée à l’export vers ces mêmes marchés asiatiques, on ne peut que militer pour un interventionnisme courageux pour que nos industries vivent et que notre production serve à nourrir nos populations. Je ne pense pas que la Chine s’embarrasserait d’un interventionnisme rugueux, si son mammouth agro-industriel Cofco se faisait léser dans une quelconque filière où il intervient. La Sonacos est une société avec les moyens logistiques et tous les outils pour être présente sur la vente de toutes les commodités comme l’arachide et l’anacarde, en plus de pouvoir offrir sur le marché local une huile de qualité à un prix accessible. Saborder un groupe industriel pour laisser le business de l’huile à des commerçants et opérateurs inondant nos marchés d’huile végétale de moindre qualité, avec tous les risques sanitaires, semble à regret être l’option. Toutefois, notre pays le paie cher.

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Ce qui est avancé pour le riz et l’huile, peut également être fait pour le lait et la tomate. Notre pays est submergé de produits importés, faiblement taxés dans une logique sociale. En plus d’exposer nos populations à des risques sanitaires majeurs, toute l’activité économique est plombée. Il y a un courage politique à assumer certaines mesures protectionnistes mûrement réfléchies.

Au-delà des slogans, le temps est sans doute venu pour le Sénégal de protéger réellement certaines de ses filières agricoles en y mettant les ressources qu’il faut. Une logique, avec des incitations à la consommation des produits sénégalais, doit être promue par un pouvoir qui fait du nationalisme un des déterminants de son action. Des actions de promotion ciblées de certaines productions du Sénégal, comme c’est le cas avec l’oignon pour permettre son écoulement, doivent être encouragées. Il y va d’une cohérence avec un objectif de souveraineté. Le Maroc l’aura fait et je ne pense pas qu’il regrette pour le moins du monde le choix de réussir à nourrir de façon autonome toute sa population.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn