Ma mission récente d’acteur-clé de la production des semences de pré-base (arachide et riz, entre autres) à l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra), pendant plus d’une décennie, ainsi que mon expérience de près de cinq décennies dans cette institution m’autoriseraient, si elles ne m’obligent (une fois à la retraite), à prendre part au débat sur l’autosuffisance en riz entamé depuis 2017 qui, bien des années après, n’a pas donné les résultats escomptés, comme en témoigne le peu de recul des importations de riz au Sénégal.

Aussi, ma contribution sera surtout orientée vers un diagnostic des difficultés du terrain qui est le véritable point de départ qui doit guider les discussions. Cette voie moins aérienne pourra permettre d’apporter les corrections nécessaires au relèvement substantiel des capacités de production à l’échelle même de l’exploitation.

Etat des lieux : Zones principales de culture
Au Fleuve, il existe une disparité profonde des performances entre les exploitants, dans les différentes zones de production. Si au delta, on observe des rendements nettement au-dessus de la moyenne mondiale, découlant surtout d’une bonne maîtrise des itinéraires techniques, la haute vallée et la moyenne vallée se trouvent souvent à des niveaux de performance beaucoup plus bas. Ainsi, on assiste à des résultats très disparates, plombant la moyenne régionale.

A l’Anambé, contrairement au fleuve, l’efficacité de l’encadrement et le professionnalisme des encadrés ont jusqu’ici été de faible niveau, malgré toutes les potentialités de la zone (?).

En zone sud, la production des semences de pré-base, longtemps mise en veilleuse, a repris de plus belle pour les variétés spécifiques de la région, au centre de l’Isra. Mais le conflit a jusqu’ici retardé le développement rizicole de la région.

En zone pluviale stricte, surtout les variétés nérica sont pratiquées, la nouveauté de la culture exige une mise à niveau des acteurs, heureux de pouvoir désormais produire sur place le riz local qui manquait à leurs besoins alimentaires. Les conditions d’une agriculture arc-en-ciel  commencent à s’y dessiner au fil du temps.

Mais, il est important de signaler que la plupart de ces agriculteurs qui n’ont pas vécu la période des sociétés de vulgarisation, appuyées par la Sarv des débuts de l’Isra (Service d’application de la recherche et de la vulgarisation), présentent aujourd’hui de lourdes lacunes techniques, qu’il faudra lever.

Organisation de la production :
Les semences de pré-base : Leur fourniture relève de l’Isra qui libère la 3ème  génération, après un long processus de multiplication. Il existe au total 42 variétés homologuées dont les 22 sont présentes au fleuve.

Ces variétés, de nature très variée, présentent  des caractères agronomiques leur permettant de s’adapter dans différentes conditions écologiques :
– Haut potentiel de production ;
– Résistance à la verse ;
– Résistance aux insectes et maladies.
Cette panoplie de variétés permet au consommateur sénégalais d’avoir un choix extrêmement varié pour ses besoins culinaires. Elles présentent en outre un taux d’amylose deux à trois fois inférieur au riz importé. Ce critère fait d’ailleurs partie des exigences de l’homologation des variétés de riz, conformément à la législation semencière en vigueur au Sénégal.

Des variétés à 0% d’amylose sont actuellement à l’étude pour davantage faire face aux maladies métaboliques.

On peut aussi y noter la présence de variétés aromatisées par la voie de la génétique et non parfumées artificiellement, comme dans le cas du riz d’importation.

Tout le reste  revient donc à une question de manque d’informations et d’habitude alimentaire que le nombre croissant de diabétiques dans le pays devrait modifier.

Les semences de base et certifiées, issues des pré-bases et multipliées par des producteurs semenciers agréés, suivant leurs différents niveaux d’intervention.
Le matériel végétal ordinaire destiné à la production du riz de consommation, qui provient de la dernière génération de semences certifiées (R2) et qui concerne le plus grand nombre d’intervenants de la filière.

Trois groupes
d’acteurs aux rôles complémentaires se dégagent nettement :
La Recherche,  dont il est indispensable de renforcer les moyens et de revoir l’organisation interne pour lui permettre de faire face à une intervention de qualité plus importante. L’Isra et Africa rice, tous  deux obtenteurs et/ou détenteurs, peuvent, conformément à la réglementation semencière, assurer de concert l’ensemble des besoins en semences de premiers niveaux.

Les multiplicateurs agréés, presque tous concentrés dans le delta du fleuve où ils sont le plus souvent regroupés en associations ou fédérations d’associations de multiplicateurs et de distributeurs de semences vers les autres producteurs.
Ce deuxième maillon très important est composé de professionnels expérimentés qui atteignent des pointes de rendement de l’ordre de 13 tonnes à l’hectare, sur les variétés à haut potentiel de production (sahel 217, sahel 222…).
Les producteurs de paddy, qui représentent de loin le plus grand nombre, sont paradoxalement  les moins performants, sauf dans le delta.

Tout le travail de ces acteurs est soumis au contrôle de la Division des semences (Disem), chargée de l’application de la législation semencière sur l’ensemble du territoire. Sa mission va de l’octroi des agréments aux multiplicateurs, pour passer par le contrôle au champ et déboucher sur  l’analyse des lots  récoltés en vue de leur certification qui seule peut en autoriser la propagation officielle et légale.

Les améliorations nécessaires pour l’atteinte des objectifs nouveaux
Formation-Encadrement des acteurs En lieu et place de l’appui-conseil actuellement déroulé par les sociétés de développement, les producteurs ont aujourd’hui besoin de formation et d’encadrement pour bien comprendre et appliquer l’essentiel des itinéraires techniques nouveaux. Si l’agriculteur de Ross-Béthio parvient à un rendement moyen de 9 tonnes/ha et que celui de Matam ou de Bakel atteint difficilement la moitié, c’est parce qu’ils différent tout simplement au niveau de leur savoir-faire.

Application des itinéraires techniques modernes
Cette pratique passe tout d’abord par l’abandon des semences autoproduites qui ne donnent aucun espoir pour l’atteinte d’un rendement payant. Sans une bonne semence (intrant premier), il est impossible de valoriser les investissements qui seront apportés.
Le res­­pect du calendrier culturale ainsi que des différentes opérations techniques sont les éléments constitutifs  du rendement :
. Travail du sol
. Dose de semence sélectionnée
. Date de semis appropriée
. Calendrier d’irrigation étudié
. Formules et doses de fumure
. Désherbage chimique simplifié (sans équipement encombrant ou coûteux)
. Récolte, battage par petit outillage motorisé (faucheuse à riz et batteuse Asi)
Le décorticage est en général assuré par des riziers qui devront multiplier et moderniser leurs équipements afin d’amoindrir les pertes et augmenter la qualité.

Améliorations attendues des services de l’Etat :
. Le service semencier (Disem), dont le contrôle est indispensable à toute production agricole de valeur, nécessite un renforcement de ses effectifs et équipements techniques.

. Les aménagements méritent d’être réétudiés au niveau de leur qualité et coût à la lumière des déclarations de l’ancien ministre Pape Abdoulaye Seck qui semble parler en connaissance de cause.

. Les coûts hydrauliques, apparemment très élevés pour les agriculteurs, du fait des factures d’électricité hors de portée et du prix actuel du gasoil, surtout.
A ce niveau, je signale qu’une Mission italienne des régions de Vercelli et de Pavia (n°1 de la production  de riz en Europe) s’était proposée d’apporter au Sénégal leur  technologie d’irrigation  par déversement (sans énergie).
L’initiative est restée sans suite à cause peut-être de changements survenus dans le gouvernement. ( ?) Il est évident que cette nouvelle technologie simple et peu onéreuse réduirait drastiquement les coûts de production du riz et des autres spéculations.

.  Les équipements agricoles : Une attention particulière doit être observée à ce niveau. Jusqu’ici, les tracteurs affectés dans la région du fleuve sont de faible puissance par rapport au type de sol. Leur durée de vie est très réduite pour cette raison, mais aussi à cause de l’absence de services après-vente performants et de l’utilisation de diesel-oil et de pièces de rechange d’adaptation.

Aussi trouve-t-on un peu partout des cimetières de machines qui ne cessent de s’agrandir.

En conclusion, si les bonnes ruptures sont correctement observées par rapport aux pratiques du passé, comme le prône  le ministre de l’Agriculture et de l’équipement, le peuple du monde des chiffres se verra contraint de ranger un moment ses calculettes, au risque de rater l’heure du grand rendez-vous.
«J’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers.»
El Hadji Moustapha DIOP
 Agronome, Spécialiste en semences