Les nouvelles qui nous parviennent du Mali ne sont guère bonnes malgré les jours qui se succèdent. Depuis 2020 et le premier coup d’État qui sera suivi d’un autre en 2021, le pays a adopté un virage autoritaire qui voit tous les espaces de liberté fermés ou drastiquement réduits. Le Mali s’enlise dans une transition dont on ne perçoit pas l’issue, avec chaque jour une junte qui renforce son assise et montre en même temps qu’elle est incapable de répondre aux préoccupations des citoyens sur ce qui relève du minimum vital, par exemple l’accès à l’électricité. Dans ces conditions, le limogeage de Choguel Maïga est presque anecdotique. Il a joué et perdu. D’ailleurs, tous ceux qui se compromettent avec l’autoritarisme mâtiné de populisme, au nom des principes soi-disant nationalistes, patriotiques ou que sais-je encore, vont perdre à la fin, car leurs alliés de circonstance ne sont ni pour la démocratie ni pour la liberté. Et ceci au fond, est normal pour une dictature dans laquelle mon ami Yoro Dia a l’habitude de rappeler que la vertu première est le silence. Les médias indépendants, les militants politiques et la vraie société civile – pas celle-là, en Afrique, rentière de la tension -ne peuvent prospérer que dans une grande prise de risque. Les autoritarismes dans le contexte de démocratie illibérale ou dans des espaces plutôt fermés comme le Mali, prospèrent dans la réduction au silence de toute voix dissidente.

Lire la chronique – Le Pen, Trump, Sonko et leurs juges

La dernière nouvelle qui me préoccupe, venant du Mali, est la fermeture le 26 novembre de Joliba TV News, une chaîne privée locale, par la Haute autorité de la communication du pays, et le retrait de la licence du média. Cette décision fait suite à une plainte déposée le 12 novembre dernier par le Conseil supérieur de la communication du…Burkina Faso. Selon les faits rapportés par diverses sources concordantes, l’entité burkinabè avait porté plainte contre Issa Kaou N’Djim, un homme politique malien, qui émettait des doutes sur la véracité des allégations de déstabilisation du Burkina Faso, émanant de la junte de Ouagadougou. Le concerné est depuis, arrêté et emprisonné et reste en attente de son procès prévu en décembre. Il se trouve qu’une plainte déposée par un organe public du Burkina conduit à l’emprisonnement d’un militant au Mali pour un motif d’une légèreté qui ferait sourire si tout ceci n’était pas au fond tragique. La tragédie courante en Afrique est qu’on peut aller en prison pour des accusations aussi saugrenues. Et les pétitionnaires des libertés et défenseurs des droits d’hier peuvent se muer en complices de forfaitures au nom des intérêts du moment. Il faut dire qu’entre alliés de l’Aes, on se donne les coups de main qu’on peut. Car au Burkina Faso aussi, la situation des libertés est préoccupante. La junte aux méthodes plus que douteuses, a purement et simplement annoncé que la transition durerait 5 ans, donc l’espace d’un mandat, si le pays était dans un cycle démocratique et électoral normal.

Lire la chronique – Mon Général, je vous salue

La réaction de Mohamed Attaher Halidou, journaliste de Joliba TV est pleine de sagesse et de dignité. Ses propos sont une bouffée d’oxygène pour tous les militants qui se mènent des combats avec hargne et courage pour que la répression des idées et des opinions divergentes de celles des Princes ne deviennent pas une norme. Il exhorte à ne rien lâcher en Afrique quand la menace s’institutionnalise. Ici j’ai un mot pour les messagers du soir, adeptes des honneurs fugaces et des ajustements d’alliance, qui parcourent les lieux de vie pour transmettre les menaces, les intimidations et les promesses de bagne. Je leur dis le même mot qu’il y a 14 ans, un soir à l’hôtel Concorde Lafayette ; le même qu’il y a dix ans sur notre corniche de Dakar, souvent belle, parfois hermétique. Le journaliste Attaher Halidou, diplômé du Cesti, nous dit, comme pour nous dicter le beau verbe de la résistance : « L’histoire est un juge implacable. Toutes les compromissions se payent, toutes les transitions aussi. À Joliba TV, on préfère perdre une Licence mais jamais la Hac ne nous dictera notre conduite professionnelle. Jamais, Joliba sous notre direction, ne sera une caisse de résonance.» Naturellement, je soutiens la direction et les journalistes de Joliba TV, car ils sont ici des remparts de la liberté et portent en eux un espoir : celui de ne pas céder face aux injonctions des puissants. La presse est au seul service de la patrie républicaine, et partout où la peste brune s’impose, elle vise à éteindre ce lumineux phare de la liberté qu’est le journalisme crédible et indépendant, pour lui opposer la nuit de l’ignorance. Dans la même veine, je soutiens les démocrates maliens qui exigent sans satisfaction depuis le 20 juin que les onze leaders politiques arrêtés alors qu’ils n’ont eu qu’un seul tort : se réunir au domicile privé d’un leader de l’opposition malienne.

Le Mali est un pays qui m’est cher. J’y suis allé à de nombreuses reprises, parfois seulement pour humer l’odeur du Joliba, me nourrir de ses messages spirituels et regarder la colline de Koulouba, de ma niche précieuse du Badala. Je compte dans ce pays de nombreux amis brillants, engagés et soucieux du progrès économique et social de cette belle nation plurielle. Aux hommes et femmes politiques, artistes, intellectuels dont j’entends d’ici l’écho des souffrances dans la dignité, je promets que demain des matins calmes arrivent, et la flamme de la démocratie et de la liberté jaillira de nouveau. Mes pensées affectueuses vont à celui qui se reconnaitra, aîné, ami précieux.
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn