La pièce extraordinairement réussie de Tiago Rodrigues qui signe le texte et la mise en scène, raconte l’histoire d’une fille qui a laissé à son père le message qu’elle est partie vivre sur Mars. Un nouveau dialogue commence. Nous sommes en 2077. Suite au réchauffement climatique, la Terre est à bout de souffle, et la planète rouge apparaît pour certains comme la seule solution de construire une vie meilleure.

C’est l’histoire d’un père qui aime profondément sa fille et d’une fille qui aime profondément son père. Depuis toujours, ils sont très proches l’un de l’autre. Quand Ali reçoit le message de son départ sur Mars, il est sous le choc. D’autant plus que la première occasion de la contacter par message audio sera dans cinq mois, après la fin de la traversée. Adama Diop joue le papa. Avec sa cravate et son costume marron à plis, il vit la vie de cet homme instruit et distingué qui a toujours porté énormément d’attention à sa fille, Amina (merveilleusement interprétée par Alison Dechamps), mais peut-être encore plus à son métier, médecin hospitalier. Quand la nouvelle de Mars tombe, il ne peut pas y croire : «Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?», s’interroge-t-il à l’infini. Un souvenir indélébile lui revient. C’était avant que le réchauffement climatique se soit transformé une fois pour toutes en catastrophe écolo­gique. A l’époque, c’était encore possible de s’amuser à la plage. Même si sa fille, alors âgée de 7 ans, avait failli se noyer. Dieu merci, il a pu la sauver au dernier moment. Juste à l’idée de la perdre, le sol se dérobait sous ses pieds… Exactement la même émotion le submerge aujourd’hui, ap­prenant l’éloi­gne­ment définitif de sa fille.
«Début de message», ainsi démarre chaque conversation interplanétaire entre le père et sa fille. «Salut papa, tout va bien ! Ne t’inquiète pas trop. Je suis juste partie sur Mars, pas dans une autre galaxie !», dit-elle en riant. «Ici, tout est incroyable… Quand tu ne vois plus la Terre, tu plonges dans l’inconnu.» Capuche sur la tête, habillée d’un hoodie blanc, Amina raconte tout cela avec une innocence et une spontanéité inouïes. Visiblement, elle a moins peur de parcourir les centaines de millions de kilomètres pour affronter un lieu hostile que d’assister impuissante au quatrième effondrement sur Terre.
«On était déjà sur des planètes différentes»
De toute façon, «on avait déjà une relation à distance. On était déjà sur des planètes différentes», s’exclame-t-elle, désespérée que son papa croie toujours pouvoir sauver ce monde pourri de l’intérieur. En même temps, elle veut se libérer aussi de cette peur excessive que son père avait toujours pour elle, et qui la paralysait. Apparemment, il a enfin compris et saisi la dernière chance de s’approcher de sa fille, avec un échange profondément humain, malgré ou à cause des centaines de millions de kilomètres qui les séparent aujourd’hui. Une pièce réussie sur tous les plans : avec un texte (aussi de Tiago Rodrigues) limpide et des mots lumineux, aussi futuriste que réaliste, un décor bluffant de simplicité et de justesse, une mise en scène maintenant le suspense et libérant l’imaginaire. Et, au cœur de cet univers, deux comédiens incroyablement touchants, pétris de leurs missions respectives. Pendant qu’elle s’est engagée de faire partie des «Oubliantes», acceptant d’effacer toute mémoire liée à la vie terrestre et de participer à la «loterie de la reproduction», le papa s’accroche aux albums de famille et à ces moments précieux -censés jadis être inoubliables- où ils avaient chanté ensemble la chanson préférée de la maman disparue… La scène de La Distance est habitée et divisée par un tronc d’arbre mis à mort et un rocher de la planète rouge. Le père et la fille se trouvent à la fois séparés et ensemble sur ce plateau qui tourne comme un monde qui court à sa perte. Mais quand ils marchent à contre-courant du plateau mouvant, le metteur en scène a réussi à transformer le «moonwalk» de Michael Jackson en un «marswalk» de Tiago Rodrigues.
Rfi