AVIS D’EXPERT – Bounama Dièye sur l’affaire Gana Guèye : «Avec l’intermédiation, ce genre de problème va souvent se poser»

Ancien membre de la Fédération sénégalaise de football, Bounama Dièye, qui s’y connaît en matière de transfert de joueurs, apporte des éclairages par rapport à l’affaire Gana Guèye.
Vos premières impressions par rapport à l’affaire Gana Guèye (voir notre édition d’hier), avec cette commission de 3 milliards Cfa qui divise la famille et l’agent intermédiaire…
Vous savez que maintenant la Fifa a supprimé la licence d’agent de joueurs car jugeant que ces derniers amassaient trop d’argent. Si aujourd’hui la Fifa a décidé de supprimer ces licences c’est parce que les montants étaient exorbitants. Il y a une période où c’était compliqué avec l’inflation sur les transferts. Le marché était déréglé. Et cela aurait pu tuer le football. C’est ce qui explique qu’on voit aujourd’hui la présence des familles : les mamans, papas et autres frères des joueurs dans les négociations concernant les transferts de joueurs. Si par exemple la négociation est compliquée, la famille peut, comme c’est dans le cas de Gana Guèye, faire appel à un agent reconnu par la Fifa. C’est ce qu’ils ont fait en faisant appel à cet expert et ce dernier a mené les négociations, sous réserve que quand il sera payé, il devra verser une commission à la famille. C’est ce qu’on appelle la rétro-commission, ce sont des arrangements internes. A l’arrivée, l’intermédiaire (qui a reçu 3 milliards 275 millions Cfa) n’a pas voulu donner à la famille du joueur sa part. C’est ce qui explique cette sortie dans la presse.
Apparemment, c’est cette rétro-commission qui pose problème…
En effet. Faut savoir d’abord que pour que l’agent intermédiaire (Gana n’a plus d’agent personnel) puisse parler au nom de Gana Guèye, il faut qu’il ait un document du joueur qui le mandate. Une fois qu’il est mandaté, il est la seule personne qui est officiellement dans l’affaire. Et dans le contrat, normalement les deux parties (l’agent et le joueur) savent combien doit être la commission. Maintenant, comme vous l’avez constaté, c’est dans la rétro-commission que se trouve le problème. Si la famille a des documents qui prouvent que l’agent devait leur donner leur part, c’est défendable. Mais s’ils n’ont pas de preuves, ça devient compliqué.
La famille de Gana menace de saisir la justice. Mais avant est-ce que la Fifa peut intervenir ?
D’abord la Fifa pouvait intervenir si Gana Guèye (transféré à 30 millions d’euros) avait refusé de payer à son agent. Dans ce cas-là de rétro-commission, la Fifa peut aussi intervenir, mais comme je l’ai dit plus haut, cela doit être sur la base d’un document. En fait, il faudrait que dans le contrat que Gana a signé avec l’agent qu’il soit précisé que ce dernier reverse à telle personne tel montant de la commission. Il faut que cela figure dans le contrat pour que la Fifa puisse intervenir. Si cela ne figure pas dans le contrat, c’est compliqué. Mais je présume que si le frère de Gana menace de saisir la justice, c’est parce qu’il a des preuves.
Avec cette tendance qui est à l’intermédiation, ne risque-t-on pas d’avoir beaucoup de contentieux du genre de l’affaire Gana ?
Mais c’est sûr. S’il n’y a pas d’accord avec l’agent pour les rétro-commissions à sa famille, ce sera compliqué. Le gars peut dire qu’il n’a jamais été question de cela. Et j’ai l’impression que s’il tourne en rond, c’est qu’il n’y avait certainement pas un accord écrit. Sur le plan international, les choses ont changé. C’est pour cela que les joueurs prennent maintenant leurs enfants, frères ou la famille pour qu’ils puissent bénéficier du transfert. Et ces derniers n’ont pas besoin de licence. Mais des transferts de ce genre les obligent quand même à s’entourer de toutes les garanties en sollicitant des conseillers juridiques. Malheureusement, ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que tout le monde est là-dedans. Et de plus en plus, on perd l’expertise. Conséquences : avec cette tendance à l’intermédiation, ce genre de problème va souvent se poser. On risque d’avoir beaucoup de cas similaires à l’affaire Gana Guèye.
hdiandy@lequotidien.sn