Brillant esprit, le Professeur en droit, Abdoulaye Sakho, pose un diagnostic limpide sur la suspension de 5 ans de Ahmad Ahmad. Le juriste sénégalais enseigne le Droit et l’Economie du Sport, entre autres, à l’Institut Edge à Dakar. Il s’est prêté avec pertinence à nos questions.Pr Sakho, quel commentaire faites-vous de la décision de la Fifa de suspendre le président de la Caf pour 5 ans ?

Juste constater la réalité de la sanction puis attendre la publication de la décision complète et sa motivation pour pouvoir commenter en connaissance de cause.

Juridiquement, la Fifa a-t-elle les prérogatives pour prendre une telle sanction alors que la Caf est une institution souveraine ?
Bien-sûr ! La Caf appartient à la chambre de jugement de la Commission d’éthique indépendante de la Fifa qui s’est prononcée. La Caf est tenue de respecter et de faire respecter les statuts et tous les textes de la Fifa. Avant d’appliquer elle-même ses propres règles, d’ailleurs soumises à la Fifa pour approbation avant leur adoption. Ce sont les normes élémentaires de toutes les organisations faîtières dans le monde. Par exemple, l’article 23 des Statuts actuels de la Fifa exprime clairement l’obligation pour les Confédérations membres et donc la Caf de respecter les principes de bonne gouvernance.

Mais la Caf risque-t-elle d’être fragilisée après cette claque surtout que c’est la personne morale qui est mise en cause ?
Le propre de ce que vous appelez une personne morale, c’est d’être régulièrement challengée sur ses actes dans l’exercice de sa mission. Je ne vois pas en quoi une sanction de suspension d’un dirigeant d’une structure pourrait fragiliser ladite structure. Au contraire, c’est peut être une bonne chose que de couper une branche infectée d’un arbre surtout si c’est la tête. Les faits, avérés ou pas, reprochés au président de la Caf devaient le conduire lui-même à céder la place le temps qu’une enquête indépendante soit menée pour le blanchir totalement.

Comment expliquez-vous tous ces scandales qui secouent les institutions du football après la Fifa, l’Uefa et maintenant la Caf ?
C’est une sorte d’inadéquation actuelle entre le niveau atteint par l’économie du football et les normes chargées de régir cette économie. Le sport est aujourd’hui un des secteurs économiques les plus dynamiques du monde. Mais malheureusement les normes qui le régissent sont très en retard au regard des exigences de cette économie contemporaine du sport. Son mode de gouvernance est encore celui des associations sportives, structures par excellence de l’activité désintéressée. Alors que le sport moderne est complètement dans le champ de l’échange marchand. Gérer toute cette économie dynamique avec les outils du siècle dernier, c’est compliqué. Aujourd’hui dans les grandes structures, les questions de gouvernance et de respect des normes par les dirigeants sont essentielles. Depuis les grandes crises financières (Enron et Sub­primes). Le monde du football commence à peine à s’y intéresser. C’est tant mieux !

Comment faire pour que pareil cas de détournement ne se reproduise ?
Multiplier les mécanismes de prévention. Parce que c’est un risque qui existe dans toute organisation humaine. Certaines ont réussi, d’autres pas encore.

Quels mécanismes alors mettre en place ?
J’ai vu récemment une vidéo du défunt Président ghanéen Rawlings. Il y demandait que son pays mette en place des outils et procédures qui feraient que même si le diable gouvernait son pays, il le ferait selon la volonté des populations. Je ne sais si c’est un fake ou pas ; mais ce qui y est dit est énorme pour une meilleure gouvernance des organisations humaines. Eh bien, les mécanismes dont la Caf a besoin devront s’inspirer de cet esprit. Ces mécanismes existent, sous le nom du concept anglais de «Compliance». Ils contiennent tous les éléments permettant d’asseoir la légitimité de la gouvernance du sport et son efficacité grâce à un dispositif. Il intègre généralement tous les éléments et principes de la bonne gouvernance des organisations sportives contemporaines.

Quel message voulez-vous adresser aux candidats à la succession de Ahmad ?
Permettez-moi de faire une petite adresse à tous les candidats par votre canal dans l’espoir qu’ils le lisent. On a besoin d’idées et de stratégies pour porter le football africain à la dimension du talent de ses sportifs qui brillent depuis longtemps dans les compétitions hors du continent. On a besoin d’idées et de stratégies pour organiser des compétitions dans le continent en vue du financement du football du continent. Pour transformer le football du continent en un secteur économique porteur d’avenir pour notre jeunesse parce que pourvoyeuse d’emplois et d’autres moyens d’épanouissement. Pour valoriser les talents ici et maintenant sur le continent et créer un véritable marché des transferts ici. On a besoin d’idées et de stratégies pour crédibiliser les compétitions sur le continent. Et éradiquer ces plaies que sont le mauvais arbitrage, la fraude sur l’âge et la corruption…
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