Journaliste sportif et ancien Rédacteur en chef du quotidien Le Soleil, Cheikh Tidiane Fall a vécu plusieurs phases finales de Coupe d’Afrique des nations. Normal que cette 33e édition revêt une saveur particulière pour lui et les Lions qui viennent d’offrir au football sénégalais son premier trophée continental. Avec Le Quotidien, l’ancien responsable de la communication de la Fédération sénégalaise de football rejoue la Can 2021.Le Sénégal champion d’Afrique pour la première fois. Vos impressions à chaud ?
Un bonheur infini ! La fin d’une très longue attente. Le rêve devenu enfin réalité. La preuve qu’à force d’y croire, on finit par y arriver.
Est-ce que vous y croyiez au départ et pourquoi ?
Oui, j’y croyais en me disant qu’après la finale ratée de 2019 sur les bords du Nil, l’équipe avait certainement gagné en expérience et tiré les bonnes leçons. Il se trouve qu’elle s’était, par ailleurs, renforcée avec l’arrivée de joueurs comme Bouna Sarr, Nampalys Mendy, Pape Guèye, etc. qui offraient de nouvelles solutions tactiques à l’entraîneur.
Il se trouve, par ailleurs, que cette fois, la famille des acteurs du football semblait plus solidaire avec une dynamique nouvelle et consensuelle favorisée par les élections d’août à la Fédération sénégalaise de football.
C’est cependant surtout la richesse de l’effectif et la présence des meilleurs joueurs africains dans les différentes lignes. On peut citer l’épine dorsale, Edouard Mendy-Kalidou Koulibaly-Idrissa Gana Guèye-Sadio Mané, qui fondait cet espoir. Je souhaitais que cette fois-ci le sort ne soit pas contraire et que le Sénégal décroche enfin sa première étoile.
Après le premier tour, vous n’avez pas douté ?
Pas du tout, je n’ai jamais perdu de vue que l’équipe n’avait pas tous ses atouts dans cette première phase avec les nombreux cas de Covid-19 et des joueurs blessés. Il fallait donc relativiser la production de l’équipe et se dire que cela devrait mieux aller au fur et à mesure que le groupe retrouverait tous ses membres.
Je m’attendais à une montée en puissance de l’équipe pour la suite, ce qui s’est effectivement passé avec un jeu amélioré et des Lions conquérants. Il faut dire que pendant cette période, marquée par de fortes critiques de la presse sénégalaise et internationale et des doutes dans l’opinion publique, les joueurs et leurs encadreurs sont restés lucides et concentrés sur l’objectif. Ils nous rassuraient ainsi.
Finalement Sadio Mané, désigné meilleur joueur de la Can et qui a étalé surtout des qualités mentales, a mis tout le monde d’accord…
C’est la confirmation qu’il est l’un des meilleurs joueurs du monde, un leader technique et moral arrivé revanchard au Cameroun après les échecs précédents et fortement déterminé à offrir enfin le trophée au Peuple sénégalais.
Il n’a jamais douté durant tout le tournoi et le summum fut ce tir au but victorieux contre l’Egypte, là où beaucoup d’autres joueurs se seraient débinés après avoir raté un penalty durant le temps réglementaire. Une force mentale à toute épreuve prouvant que Sadio est à une période de grande maturité et de pleine maîtrise sur le plan technique et mental. La classe en un mot.
Comment expliquer cette longue traversée du désert du foot sénégalais pourtant qui ne manque pas de talents ?
Tout ne peut pas s’expliquer par le manque de chance. En regardant dans le rétroviseur, on peut se demander si cette longue traversée du désert ne s’explique pas quelque part par une certaine instabilité du football sénégalais, avec les nombreuses crises, les changements de dirigeants et d’encadrements techniques récurrents qui ont empêché de travailler dans la durée.
Les démons de la division n’ont pas permis de travailler sur un terreau fertile pour que les joueurs puissent pleinement exprimer leur potentiel. Il y a souvent eu des chamboulements après les échecs au lieu de partir des enseignements pour grandir et repartir du bon pied.
Vous avez vécu la finale ratée en 2002, au Mali. Au niveau émotion, quelle est la différence avec celle de 2022, au Cameroun ?
En 2002, c’était la première finale du Sénégal qui s’est jouée dans une ambiance particulière avec un public malien hostile au Sénégal et poussant à fond les Camerounais. Match équilibré cependant et finalement perdu aux tirs au but. Nous avions quitté Bamako avec beaucoup de tristesse d’avoir échoué si près du but.
A Yaoundé, les Lions se sont produits dans une ambiance différente et avec une faim de loup. Un fort sentiment partagé par les joueurs et les supporters qu’après les échecs des deux finales de Bamako et du Caire, il fallait faire mentir l’adage ‘jamais deux sans trois’.
En tant que spécialiste de la communication, comment avez-vous jugé la couverture de la presse sénégalaise lors de cette Can ?
Une couverture de très grande qualité et très diversifiée. Cela a permis aux Sénégalais de vivre pleinement la Can au jour le jour avec le plus fort contingent de journalistes étrangers et une organisation sans faille sous la houlette de l’Anps avec plus de 80 envoyés spéciaux. Sur ce plan-là, on pourrait dire que le Sénégal est aussi champion d’Afrique. Le président Abdoulaye Thiam et son équipe méritent des félicitations.
Je pense aussi que voir autant de journalistes sénégalais au Cameroun est aussi motivant pour les Lions. Merci à la presse sénégalaise pour ces émotions fortes, ce flot de sons et de couleurs.
Toujours en matière de communication, celle de Aliou Cissé, pourtant très critiqué, a été très positive avant et pendant la Can ?
Alors là, chapeau à Aliou Cissé qui a donné l’impression d’être enfin relâché avec une maîtrise remarquable de la relation presse. Il s’est régulièrement exprimé devant les journalistes avec beaucoup de sérénité, les mots justes et des réponses pertinentes tout en veillant à ne pas dévoiler le contenu stratégique des futurs matchs. Sur ce plan-là, on pourrait dire que le Aliou Cissé nouveau est arrivé. Pourvu qu’il maintienne ce cap.
Au niveau de l’organisation, les cas de Covid ont soulevé une polémique et ont failli gâcher la fête…
Il y a eu des suspicions, notamment pour les adversaires du Cameroun, ce qui est un remake du dernier Chan. Quoi qu’il en soit, la Can s’est globalement bien déroulée, mais la Caf doit porter une plus grande attention à cet aspect lors des prochaines compétitions si la crise sanitaire perdure.
Comme on dit : ‘Difficile est de rester au sommet.’ Comment voyez-vous l’avenir de l’équipe avec des échéances comme le Mondial 2022, la Can 2023…
Je pense que de beaux lendemains nous sont promis avec ce groupe exceptionnel de joueurs de qualité et ceux nombreux qui frappent à la porte. L’esprit de gagneur manifesté au Cameroun et la liesse populaire qui a suivi vont certainement porter l’équipe pendant longtemps encore. Après être monté au sommet de la pyramide, il est possible d’y rester en consolidant les acquis.
Au début des années 90, j’avais effectué à Yaoundé, un reportage sur «Le Cameroun qui gagne» pour le quotidien Le Soleil. Je suis soulagé d’assister à l’avènement du «Sénégal qui gagne». Pourvu que ça dure…
Quelles retombées, de manière générale, de cette première Can sur le foot sénégalais et le sport en général ?
Les retombées sont multiples et difficilement quantifiables. Au-delà de la cagnotte du vainqueur, le football sénégalais s’installe dans une dynamique vertueuse avec plus de reconnaissance et de confiance pour nos joueurs, quelles que soient les catégories dans lesquelles ils évoluent. Ils étaient déjà recherchés sur le marché international et cela va davantage être le cas.
Je pense aussi que l’élan unitaire et de solidarité des acteurs du football va se renforcer pour mieux engager les chantiers comme celui du football local qui a besoin d’un nouveau souffle.
Un mot sur l’équipe fédérale et son président, Me Augustin Senghor, qui entrent dans l’histoire…
Ils doivent être comblés d’avoir été les premiers à offrir au Sénégal ce trophée tant désiré depuis l’indépendance du pays. Au-delà du destin qui l’a voulu ainsi, je pense que cette récompense est bien méritée.
On a l’habitude de dire que la victoire appartient aux joueurs et que la défaite est généralement reprochée aux dirigeants et techniciens. Il me semble que pour ce cas-ci la victoire appartient aussi pleinement à Me Augustin Senghor et à l’équipe fédérale. Généralement on se focalise sur les aspects techniques et tactiques pour analyser les performances de l’Equipe nationale tout en oubliant les aspects logistiques. Le Sénégal est un exemple en Afrique dans la maîtrise de la logistique qui permet de placer les joueurs dans les conditions idéales de performances à partir d’une grande expérience de la Fédération et l’appui de l’Etat. Ce sont des acquis à consolider pour être durablement sur la voie de l’excellence propice aux victoires retentissantes.
Recueillis par Hyacinthe DIANDY
hdiandy@lequotidien.sn