La traque aux preuves des «massacres» du régime de l’ancien Président gambien prend une ampleur régionale. En plus des Ghanéens, des Togolais, il y aurait deux Sénégalais, dont un identifié sous le nom de Pape Diop, résidant à Dieuppeul, parmi les victimes du massacre de juillet 2005 par les hommes de mains de Jammeh. Baba Hydara, le fils du journaliste gambien, Deyda Hydara, assassiné durant le règne de Jammeh, en séjour à Dakar, s’est rapproché du Commissariat de police de Dieupeul pour signaler sa mort mais aussi pour chercher ses proches. Il invite le gouvernement sénégalais à se saisir de cette affaire car, dit-il, au-delà de Tabara Ndiaye, le nombre de victimes sénégalaises s’est maintenant porté à trois. Dans cet entretien, il revient sur les enquêtes menées par Human Rights Watch (Hrw) et l’Ong Trial International qui ont mis en lumière toutes ces informations mais aussi sur les actes qui sont en train d’être posés pour traduire Jammeh devant la justice.
Où est-ce que vous en êtes avec votre combat pour traduire Yahya Jammeh en justice ?
La Coalition «Jammeh to Justice» a été créée l’année dernière. Depuis, nous avons mené des recherches sur plusieurs assassinats commis par Jammeh et ses hommes de main.
Récemment, Humain Rights Watch et Trial International ont mené des enquêtes sur le massacre de 50 migrants parmi lesquels on compte deux Sénégalais dont un identifié sous le nom de Pape Diop ? Pouvez-vous revenir sur les détails de cette affaire ?
Oui. Comme je vous l’ai dit, nous sommes en train de mener des enquêtes et dernièrement nous nous sommes consacrés sur le cas de 44 Ghanéens qui ont été massacrés du temps de Jammeh. C’était en juillet 2005. 50 migrants avaient quitté la ville de Mbour pour rallier l’Espagne. Parmi eux, il y avait 44 Ghanéens, 5 Nigériens, deux togolais et récemment nous avons eu des informations complémentaires qui nous indiquent qu’il y avait aussi deux Sénégalais. L’un d’eux du nom de Pape Diop.
Lors de nos enquêtes, nous avons aussi su que Pape Diop était résident de Dieuppeul. Nous avons commencé à mettre toutes ces données en ligne. Nous sommes partis en Mauritanie, lors du sommet de l’Union africaine pour faire un lobbying auprès des chefs d’Etat présents et surtout ceux dont les citoyens étaient victimes de ces massacres. Les deux Sénégalais, c’est nouveau et important, car depuis Tabara Ndiaye qui a été tuée, les gens croyaient que c’était la seule victime mais avec ces deux Sénégalais tués, ça porte le nombre de victimes sénégalaises à trois. Leurs parents doivent être mis au courant, parce que durant toutes ces années, ils n’ont eu aucune nouvelle de leurs fils.
Comment se fait-il que ces deux Sénégalais soient tués, comme vous le dites, par les hommes de Jammeh, et que leurs parents ne soient pas au courant ou que leur disparition n’ait pas été signalée par ces mêmes parents ?
Les enquêtes ont révélé que cette pirogue partait pour Espagne, et après ils ont débarqué en Gambie à Bara. Quand ils sont arrivés en Gambie, les autorités ont cru que c’étaient des mercenaires. Pourquoi leurs parents n’ont pas su ? Les migrants ne parlent jamais de leur projet d’immigration. Nous, nous pensons que ces Sénégalais n’ont jamais dit à leurs proches qu’ils partaient pour l’Espagne. Raison pour laquelle, leurs parents ne savent rien de leur disparition.
Est-ce que vous avez cherché ici à Dakar à retrouver leur famille ?
C’est pour cette raison que je suis à Dakar. Je suis allé au Commissariat de police de Dieppeul et le commissaire m’a fait savoir que cette affaire doit être réglée entre les gouvernements gambien et sénégalais via les ambassades. Je signale que le gouvernement gambien n’a aucune information concernant cette affaire. Par contre nous, nous avons des informations. Malgré tout, le commissaire a suggéré d’aller à l’ambassade pour leur parler et voir ce qu’ils peuvent faire avec les données que j’ai en ma possession.
Est-ce que vous vous êtes rendu à l’ambassade de Dakar à Banjul ?
Ce sera ma prochaine démarche. Je quitte Dakar le dimanche (Ndlr : l’entretien a eu lieu le samedi 7 juillet 2018), mais nous voulons que le gouvernement sénégalais se saisisse de l’affaire, car il a toujours protégé ses citoyens. Deux citoyens de plus ont été massacrés, tués par les hommes de Yahya Jammeh dans des circonstances atroces et c’est un des rescapés de ce massacre qui nous a raconté de vive voix comment ces personnes ont été exécutées froidement dans la brousse par les hommes de Jammeh.
Où se trouve-t-il actuellement le rescapé ghanéen dont vous parlez ?
Il est au Ghana et, dernièrement, nous avons créé une association de victimes au Ghana, aussi. Et celle-ci s’est développée rapidement et nous avons pu voir le Président ghanéen, qui était du temps de Yahya Jammeh, ministre des Affaires étrangères. Et il a même traité de ce dossier à l’époque. Et il nous a dit qu’il n’avait pas aimé la manière dont cette affaire avait été traitée. Il nous a dit qu’il y a eu des enquêtes qui n’ont abouti à rien du tout. Sinon que l’ex-Président gambien a donné aux proches des victimes ghanéennes une somme de 500 dollars. Il avait dit qu’il voulait seulement aider les familles des victimes. Maintenant Nana Akufo Addo est devenu Président du Ghana, nous lui avons remis les dossiers des 44 Ghanéens tués. Il nous a promis qu’il fera le nécessaire. Il a même transféré le dossier aux autorités compétentes qui sont en train de l’étudier et maintenant nous attendons.
En tant que coalition de victimes gambiennes, avez-vous porté plainte contre Yahya Jammeh ?
C’est ce que nous essayons de préparer. Car avant de porter plainte, nous devons avoir des preuves tangibles et aussi savoir où nous pouvons porter cette plainte. Ce serait difficile de le faire en Gambie, car nous avons des problèmes avec les institutions judiciaires.
Quels sont ces problèmes ?
Lors du règne de Jammeh, presque toutes les institutions se sont affaissées. Avec le nouveau gouvernement, les autorités sont en train de réformer ces institutions y compris la justice. De ce fait, porter plainte contre Yahya Jammeh devant les juridictions gambiennes va être très difficile. Nous sommes en train d’explorer d’autres pistes comme le Ghana pour juger Jammeh dans ce pays. Nous espérons aussi que le gouvernement sénégalais va se prononcer sur cette affaire. Comme ça nous allons conjuguer tous nos efforts pour traduire Jammeh devant la justice.
Vous étiez en Mauritanie avec M. Reed Brody de Human right watch, lors du dernier Sommet de l’Union africaine à Nouakchott, pour rencontrer les chefs d’Etat et faire du lobbying. Est-ce qu’on vous a prêté une oreille attentive ?
(Rires) Deux jours avant le sommet, à notre arrivée, c’était déjà difficile de dépasser le poste d’émigration à l’aéroport. Après nous avons pu rallier notre hôtel. Le lendemain, nous sommes allés au Congrès, construit spécialement pour le sommet. Comme je suis un journaliste, je me suis présenté comme tel devant la porte et je rappelle qu’auparavant je me suis fait accréditer via une application en ligne et les organisateurs étaient d’accord pour mon accréditation.
Reed Brody a l’habitude d’assister au sommet, il s’y connait bien et il s’est conformé à toutes les démarches pour s’y présenter. Mais à notre surprise, on nous a refusé l’accès. Et ce, malgré que nous leur avons rappelé toute la procédure faite en amont pour se faire accréditer. Et moi je crois que les autorités mauritaniennes savaient qui nous étions. Nous avons commencé à appeler par-ci par-là, sans suite. Nous sommes restés au milieu du désert, car le sommet avait eu lieu en plein désert et il faisait 40° au dehors. C’était terrible. Nous avons attendu deux heures, en vain.
Au 2ème jour, nous avons encore appelé le responsable médias et presse de l’Union africaine. Et on nous renvoyait toujours à la même personne à la présidence de la République, car c’est de là qu’on validait les cartes d’accréditation. Moi, j’ai compris que c’était la Présidence qui ne voulait pas que nous participions à ce sommet.
Et vous n’avez pas pu entrer ?
Nous ne sommes jamais entrés dans la salle du Congrès. Mais quand-même nous avons fait un peu de lobbying en dehors du sommet. Nous sommes allés d’hôtel en hôtel. C’était bizarre.
Quelle est la prochaine étape ?
Nous n’allons pas nous arrêter (Ndlr : il se répète), nous allons continuer à informer les gouvernements concernés par ce drame. Nous espérons qu’ils vont travailler avec nous, parce que l’Afrique ne plus être un continent où les dirigeants tuent, massacrent et ensuite s’en tirent sans répondre de leurs actes devant la justice.
Actuellement, quelle est la situation des victimes gambiennes ?
Nous sommes en train de nous préparer avec la commission «Vérité, réconciliation et réparation», qui va commencer peut-être en septembre. Les autorités sont en train de faire les derniers réglages et bientôt cette commission va fonctionner.
Est-ce que vous bénéficiez du soutien du gouvernement gambien ?
Il nous donne toujours la même réponse. Il a créé la commission «Vérité, réconciliation et réparation». Mais en tout cas, nous les responsables de la coalition, notre préoccupation actuellement, c’est de préparer les victimes. Nous savons que ce n’est pas facile pour certaines familles qui ont perdu des proches de venir devant un tribunal et d’expliquer des faits douloureux qui se sont passés. Et c’est en cela que nous attendons le gouvernement, car nous allons le faire avec le gouvernement. Et jusqu’à présent, les autorités en charge de cette affaire ne nous ont pas contactés pour nous expliquer comment est-ce que nous allons procéder. Mais nous comprenons aussi parce qu’elles sont en train de nommer les membres de cette commission. Nous attendons mais elles doivent venir s’asseoir avec nous pour que nous puissions voir comment nous pouvons aider les victimes.