C’est un euphémisme de dire que le phénomène migratoire a causé beaucoup de pertes en vie humaine en Afrique. Durant les deux décennies passées, une bonne partie de la jeunesse africaine, en quête d’un ailleurs meilleur, a été engloutie dans les eaux méditerranéennes. «Entre 2014 et 2017, il y a eu 15 mille 634 morts dans les côtes libyennes. Il y en a eu 20 mille entre 1988 et 2009, en 20 ans, soit 1400 morts par an. Aujourd’hui, en 2024, on nous parle déjà de 5000 morts», a révélé Babacar Sèye, président de l’Ong Horizons sans frontières, qui faisait une conférence sur le thème : «La migration des jeunes face au défi de la formation professionnelle», lors de la cérémonie de graduation des étudiants du Centre d’informatique et de gestion appliquée (Ciga). Pour illustrer ces chiffres, il a annoncé au moment où il animait cette conférence, le chavirement d’un bateau rempli de migrants dans les eaux mauritaniennes. Selon lui, le problème est complexe. «L’Europe s’active depuis la crise sicilienne à mettre en place une stratégie commune de gestion. Elle tente en vain de mettre un système de filtrage des migrants. C’est un problème complexe avec ses barricades juridiques, politiques. L’Europe a peur d’être détrônée socialement et culturellement. Depuis la chute du mur de Berlin, il n’y a plus d’idéologie. La seule idéologie qui existe aujourd’hui, ce sont les questions identitaires qui gagnent l’Europe», tente d’expliquer Babacar Sèye. Il ajoute : «Ils ne veulent pas une émigration extra-européenne.»

Malgré ces restrictions, les jeunes semblent toujours déterminés à tenter l’aventure. «Certains parents encouragent leurs enfants à l’émigration ou financent même leur voyage dont l’issue est incertaine.» Au regard de cette situation où le débat est campé sur la situation économique, le président d’Hori­zons sans frontières encourage les récipiendaires à se former avant d’entreprendre un voyage à l’étranger. «Pour voyager, il faut avoir une formation professionnelle», note M. Sèye.

Il ne faut pas oublier la forte croissance démographique de l’Afrique, qui entraîne aussi un taux de chômage important. «Des études ont montré en Afrique que plus de 60% de la population ont moins de 24 ans. En Afrique, le taux de chômage des moins de 24 ans dépasse 35%. D’autres études ont montré que d’ici 2050, 35% des jeunes qui ont moins de 35 ans dans le monde seront des Africains. D’ici 2050, plus de 40 millions de jeunes vont arriver chaque année dans le marché du travail», informe-t-il.

Pour Babacar Sèye, les défis sont hors norme pour pouvoir gérer cette bombe démographique d’ici 2050 avec une population qui atteindra 3 milliards d’individus. «L’Afrique doit créer plus de 500 millions d’emplois d’ici 2050. Le chantier est grand car d’ici 2050, 40 millions de jeunes vont arriver chaque année dans le marché du travail», ajoute-t-il.

Pour faire face à cette demande d’emplois, elle doit miser sur la formation professionnelle des jeunes. «Les défis sont majeurs. Au regard des enjeux démographiques, les réalités économiques font que la seule alternative crédible et possible pour lutter efficacement contre l’émigration clandestine, c’est de mettre l’accent sur la formation professionnelle», dit le président d’Horizons sans frontières. «L’heure est grave, l’urgence est absolue. Nous devons aujourd’hui en Afrique nous abonner aux obligations de résultats ne serait-ce que pour sauver cette jeunesse qui préfère mourir en Méditerranée que de rester. C’est un problème structurel et non conjoncturel, il faudra une nouvelle stratégie beaucoup plus efficace dans la lutte contre ce fléau. Nous devons orienter le débat vers la sécurité humaine, notamment la sécurité économique», croit Babacar Sèye.

Il faut rappeler que cette conférence sur la migration a été organisée lors de la cérémonie de graduation des étudiants issus des quatre promotions (2021-2022-2023-2024) du Ciga. Plus d’une centaine d’étudiants ont reçu leur attestation, en attendant de disposer de leur diplôme après des études sur différentes branches. «Chers étudiants, la journée que nous célébrons est historique. C’est le couronnement d’un succès qui traduit votre ambition et votre persévérance. Nous vous présentons nos chaleureuses félicitations. A travers ce succès, vous avez compris que seul le travail paie. Vous avez montré la voie aux futures générations pour leur dire qu’il suffit d’y croire pour y arriver. Je vous souhaite une carrière couronnée de succès», encourage El Hadji Mbaye.
Par Justin GOMIS – justin@lequotidien.sn