Par Serigne Saliou DIAGNE –

C’est avec une plume trempée dans le dégoût et l’amertume que je rédige cette chronique. Encore une fois, l’autocratie aura sévi dans sa logique de faire taire toutes les voix dissidentes et tout argument contraire dans le débat public. En deux mois, j’en suis à ma quatrième chronique pour m’indigner de la fragilisation continue de notre démocratie, les menaces sur les libertés d’opinion et de presse, ainsi que la volonté d’annihiler toute forme de débat contradictoire. Ceux qui n’acceptent pas de jouer ou de danser à la musique foireuse d’un parti-Etat qui se veut Léviathan de toutes les consciences, sont poursuivis, traqués, intimidés. Toute lucarne est bonne pour les corbeaux de l’injustice afin de balancer des plaintes sans fondement et entamer des poursuites qui n’ont d’autre but que d’essouffler des opposants, des journalistes et des adversaires collectifs. Rien n’est plus injuste que la détention actuelle de Bachir Fofana. A force de plaintes, convocations et détentions qui ont tout l’air d’une stratégie pour «aseptiser» l’espace public, on n’est guère surpris lorsque la machine s’emballe vite.
Bachir Fofana est en garde à vue, suite à une plainte du président de l’Assemblée nationale, Malick Ndiaye. Il lui est reproché une diffusion de fausses nouvelles à propos de l’acquisition par le Parlement de véhicules. L’occupant du prestigieux strapontin de la Place Soweto s’offusque que soit interrogé le marché d’acquisition de véhicules pour ses collègues du Parlement. L’opération derrière l’acquisition de rutilantes 4×4 pour les «honorables» sieurs et dames doit choquer énormément dans un pays que les autorités disent avoir trouvé en ruines. Le fonctionnement actuel de notre Etat, se perfusant de dettes pour faire voguer la barque Sénégal, a de quoi alerter plus d’un, après la lecture du dernier rapport d’exécution budgétaire.
Il est plus que logique que dans un tel état de fait, tout journaliste qui détient des informations sur un processus d’acquisition de véhicules onéreux, et surtout nébuleux, livre à l’opinion ses trouvailles pour que nos gouvernants se conforment à l’impératif de transparence. Quid des récriminations du député Guy Marius Sagna et des complaintes des concessionnaires automobiles ? Avant que Bachir Fofana ne fasse ses excellentes et fracassantes révélations, le député Sagna de la majorité au pouvoir a voulu tirer la sonnette d’alarme et s’indigner des pratiques «d’un autre âge» qui ont court au Parlement sénégalais. De la distribution de «Sukëru koor» à l’acquisition par l’Assemblée nationale de sa flotte de 4×4, en passant par le partage de billets pour le pèlerinage à La Mecque, les récriminations n’ont pas manqué de la part du député de Ziguinchor. Cela atteste bien d’un certain malaise et d’une logique de rupture de ban pour dénoncer avant que le pire ne se produise. Face à tout cela, ce sont les mots de Bachir Fofana qui sont trop gros ou trop durs… Encore une fois, ce sont les acteurs de la presse qui sont les moutons noirs à abattre. On se demande par moments quand ce cirque tragique fait de piètres acteurs prendra-t-il fin.
Si le président de l’Assemblée nationale tient à la transparence et à se rétablir dans une quelconque vérité, il lui est loisible de publier la teneur de l’appel d’offres pour que l’entreprise choisie et le coût de l’acquisition soient connus. C’est ainsi qu’il ferait dans la transparence des dieux et jouerait surement le tambour des 3J (Jub, Jubal, Jubanti). Toute cette tracasserie judiciaire dont Bachir Fofana est l’actuel punching ball, n’est que distraction pour éluder la vraie question de la transparence autour du marché de l’acquisition de voitures au Parlement.
Bachir Fofana est un courageux journaliste et un brillant intellectuel qui, à chacune de ses sorties et à chacun de ses papiers, démonte sans concession toutes les forfaitures, met à nu les arnaques et surtout éclaire les lanternes sur des questions publiques majeures. Bachir Fofana est une vigie louable de notre vie publique, poussant décideurs et responsables au débat sérieux et rigoureux dans les prérogatives et l’exercice de leurs fonctions. Il joue bien sa partition dans le jeu démocratique sénégalais et utilise voix et plume pour contribuer à l’éveil des consciences. Nous sommes bien heureux au journal Le Quotidien de voir que chaque semaine, Bachir déconstruit des argumentaires, analyse des faits publics et incite à la réflexion sur des questions d’intérêt général, avec un souci du prestige du Sénégal et de la nécessité de bien servir cette terre de tous nos héros. Opposer à cet esprit libre la menace des geôles n’est que peine perdue, car il continuera d’avoir sur la vie publique nationale un regard avisé et donnera des critiques bien aiguisées qui seront d’une grande utilité à celui qui sait entendre. Qu’est-ce qu’un gouvernant s’il est sourd à la critique ?
Par ces lignes, je témoigne tout le soutien du Quotidien, de sa rédaction et de ma personne à Bachir Fofana. Il l’a dit avant de se rendre à sa convocation, il faut sourire. Sourire et faire face quand tout donne les tonalités d’un chaos qui refuse de reconnaître ses insuffisances. C’est face à l’incapacité de répondre aux critiques par des idées et des arguments qu’on travestit la Justice comme un instrument de terreur. De cette situation, Bachir Fofana sortira plus grand, il sourira à la face du fascisme rampant et saura l’exposer davantage. On comprend aisément qu’une personne versée dans des intérêts particuliers et de petits avantages de castes, classes ou corporations, révulse plus que tout une personne qui ne se soucie que de l’intérêt général, celui du plus grand nombre ! J’ose espérer qu’avant la fin de cette journée, Bachir soit libre et qu’il puisse faire briller ses idées sur les plateaux et dans ces colonnes avec son Contrepoint du samedi.
saliou.diagne@lequotidien.sn