Baisse des loyers : une décision inopportune, inopérante et incohérente…

Monsieur le président de la République, améliorer le pouvoir d’achat des Sénégalais est louable à plus d’un titre. L’on ne peut alors que saluer cette initiative, qui arrive cependant après plus de dix années que vous êtes à la magistrature suprême de notre pays… Cependant, je ne peux manquer de me poser des questions sur la pertinence de la baisse unilatérale des loyers.
En effet, dans quel pays au monde, un Etat peut-il décider, «tout de go», d’imposer une baisse de revenus des opérateurs privés ? Le bon sens n’aurait-il pas voulu, après cette décision, que vous imposiez à Getran et à Teylium, la baisse du prix de vente de leurs appartements à Diamniadio ? C’est une simple question de parallélisme des formes. Monsieur le président de la République, tous ceux qui étaient autour de vous et qui ont applaudi, savent que votre décision est incohérente, inopérante, à la limite injuste. Il devait au moins y avoir dans la salle de la Présidence qui traitait du sujet, des personnes dotées de bon sens pour relever certaines incohérences, mais, même si vous leur disiez dit que «le Soleil se levait au Nord et se couchait au Sud», ils auraient applaudi… «Tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute», disait Jean de la Fontaine, Matteo Ricci le compléta par «un ami flatteur n’est pas un ami. D’ami, il n’a fait qu’usurper le nom»…
Monsieur le président de la République, l’harmonisation des standings et le chiffrage des valeurs réelles des bâtiments devaient être un préalable à votre décision. Même à standing identique, les prix du loyer varient en fonction des lieux, et la différence est telle qu’elle ne se loge pas dans une fourchette.
Je ne peux cependant m’empêcher de vous faire d’autres remarques :
Monsieur le président de la République, vous avez le levier de la fiscalité pour faciliter l’accès à l’habitat. Nonobstant, tous les coûts induits, soit sur le coût du matériel de construction, 18% de Tva sur les travaux de construction immobilière, 45% d’impôts sur les revenus immobiliers. Je peux comprendre que ce sera mission impossible avec le déficit déjà abyssal sur le budget 2022, près de 1000 milliards de F Cfa à aller chercher.
Monsieur le président de la République, vous avez également le levier sur l’accès au foncier. Etendue sur 550 km2 pour une population de près de quatre millions (4 000 000) d’habitants, la valeur du mètre carré dans la région de Dakar a explosé. Si le mètre carré, qui s’achetait au Plateau entre 400 000 et 500 000 F Cfa avant 2000, coûte aujourd’hui entre 1 000 000 et 1 500 000 F Cfa, il se vend aux Almadies entre 500 000 et 700 000 F Cfa, et nous sommes dans les mêmes proportions au Point E. Baisser les loyers suppose une réduction du prix du mètre carré à Dakar. Vous en avez toute la latitude avec les terrains du domaine national, de les octroyer au franc symbolique pour les promoteurs immobiliers, ce qui impactera sur le coût de l’habitat.
Monsieur le président de la République, sous le régime du Président Abdou Diouf, les loyers de la Sicap et de l’Ohlm furent baissés de 40%, obligeant les promoteurs privés à ajuster leur loyer à la baisse… Cette politique était accompagnée d’un recentrage de ces sociétés immobilières à leur mission traditionnelle d’offre de logements sociaux et moyens standing, la Banque de l’habitat accompagnait le financement des coopératives d’habitat et l’auto construction, avec l’appui de la Direction de la monnaie et du crédit (Dmc) pour les fonctionnaires. Monsieur le président de la République, les travailleurs immigrés seront certainement plus touchés par cette mesure. Ils se sont privés de tout, ils ont économisé centime d’euro par centime d’euro, ils ont bravé toutes les humiliations, le froid pour investir toutes leurs économies dans l’immobilier, afin de bénéficier d’une retraite paisible. Vous vous réveillez un bon matin, Monsieur le Président, pour leur servir : «Messieurs, vos revenus seront amputés de 30%.» Les propriétaires-logeurs ne sont pas tous de simples citoyens. Parmi eux, il y a une bonne frange de sociétés locatrices privées. Et là, nous retrouvons des opérateurs économiques qui ont contracté des prêts bancaires, qui ont investi et qui remboursent sur la base d’un calcul qui a fixé les prix de location et dates de remboursement, sans tenir compte des risques de perte d’emploi que cette mesure pourrait engendrer au niveau des agences de location.
Monsieur le président de la République, on ne règle pas une logique de marché (offre & demande) par des décisions unilatérales, on ne règle pas non plus le problème des Sénégalais en essayant de les opposer… Le bon sens aurait voulu que vous rapportiez cette mesure… et que vous demandiez peut-être à vos collaborateurs, en particulier la fameuse «Farce Force», de réfléchir sur le triptyque Foncier-Fiscalité-Financement, pour régler le problème d’habitat de nos compatriotes…
Patriotiquement…
Lansana Gagny SAKHO
Membre du Cabinet du Président
Pastef les Patriotes